Depuis des siècles, les almanachs offrent à leurs lecteurs le calendrier des fêtes à célébrer ou des saints à honorer comme celui des foires. Ils distraient avec des histoires drôles, des contes traditionnels, ils informent avec des recettes de cuisine ou des conseils en jardinage… la liste serait longue encore.
Surnommé « le livre du pauvre », les almanachs se vendaient bien dans les milieux populaires au XIXème siècle. Le Félibrige comprit rapidement qu’il avait là un créneau idéal pour diffuser son action de renaissance de la langue provençale écrite. De nombreux « armana » furent proposés, le plus célèbre étant « l’Armana Provençau », publié en Avignon. Roumanille en assurait l’édition, avec des collaborateurs qui avaient pour nom Mistral et Aubanel entre autres.
Dans le Vaucluse, un autre almanach provençal vit le jour vers 1880. Répondant au beau nom de « Lou Cacho-Fio », il était édité à Carpentras. C’est en feuilletant celui « per lou bel an 1898 » que j’ai découvert, dans un article consacré aux inscriptions sur les « mostro-soulari » (cadran solaire), ce paragraphe étonnant :
Dominus vester venturus sit.
- Ignouras l’ouro
Ounte voste Segne vendra
Aquelo paraulo de l’Evangèli, nous vèn de Mevouioun, acoumpagnado d’uno gento pouesio emé d’un tros de proso goustous ; e se legi, parèis, sus la davanturo d’un relougur de Vilo-Francho. »
Le Cacho-Fio était dirigé par un abbé - je suppose donc que la traduction du latin vers le provençal est bonne et me contente de traduire le provençal :
« Vous ignorez l’heure
à laquelle le Seigneur viendra
Cette parole de l’Evangile nous vient de Mévouillon, accompagnée d’une aimable poésie et d’un morceau de prose savoureux ; on peut la lire, paraît-il, sur la devanture d’un horloger de Villefranche. »
Je n’ai pas perdu de temps pour rechercher s’il y avait eu un jour un horloger à Villefranche, et me suis précipité pour découvrir la poésie et le morceau de prose. Quelques pages après, voilà ce que je pouvais lire :
Moun chin à testo blanchio. Japa mai mouardo pas, E me tira la manchio Quand langui de gousta. Jamai n’ai vist un chin Que siagué plus couquin |
Pèr de mans estrangieras Se laissa pas touca Lou gousta di bergièras Pourria pas lou tenta. N’ai pas besoun de fiéu Me sega rèn que iéu |
A l’aureilho bèn fachio, E lou pèu bèn rasa, Dessus n’a pas’na tachia Que poua lou degaha, La coua’n tiro-bouchoun E lou mourre bèn round. |
L’i’a rèn qu’oumé ma chiato Que se counvenon pas ! Elo d’un cop de pato Se crei de lou grifa Eu li sauto dessus Se lanço à cors-perdu. |
A de bravos manieros, Quand revira l’avé, Fai veni la darrieros Pièi garda tout souré ; Jiàmai pourrias trouva Un chin mièi eileva. |
Quand vau en quauca fiero, Mai de cinq cènt marchiand Me pagarien de biero Pèr m’achiata Pièd-blanc ; Moun chin à trop boun uei, Lou vende pas d’encuei. |
Poème simple, au ton légèrement narquois, dont le sens est facile à comprendre. Mais il faut bien une traduction :
Mon chien a la tête blanche. Il aboie mais ne mord pas, Et me tire par la manche Quand il languit de manger Jamais je n’ai vu un chien Qui soit plus coquin |
Par des mains inconnues Il ne se laisse pas caresser Les bergères ne pourraient pas l’attirer Avec leur goûter. Pas besoin de laisse Il ne suit que moi |
Son oreille est bien faite, Son poil bien court, Sans une tache Qui pourrait le gâter, La queue en tire-bouchon Et le museau bien rond |
Il n’y a qu’avec ma chatte Qu’il ne s’entend pas ! Elle d’un coup de patte Croit pouvoir le griffer Lui se lance à corps perdu Pour lui sauter dessus. |
Il a de bonnes manières Quand il ramène le troupeau Il fait revenir la dernière bête Puis garde tout seul Jamais vous ne pourriez trouver Un chien mieux dressé |
Quand je vais à une foire Plus de cinq cents marchands Me paieraient une bière Pour m’acheter Pied-blanc Mais mon chien a trop bon oeil Je ne le vends pas d’aujourd’hui |
Encore plus étonnante était la signature qui suivait :
Memi de Taufagna ! de Mevouioun !
Quel magnifique pseudonyme !
Mais qui pouvait bien se cacher derrière ce nom de plume ?
Il faut absolument découvrir qui était le conteur de Mévouillon qui habitait le quartier de Tofagne en 1898. Et en faire le portrait !
L’enquête sur le Memi commence. Vous pouvez écrire au journal pour le dénoncer...
Quelques pages plus loin, la même signature figurait après le morceau de prose intitulé :
« La Capello de Sant-Jan ».
C’est l’histoire d’un loup, d’une vieille femme et de sa chèvre. Elle commence à la page suivante.