Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d’enfance à Eygalayes, je vois l’image du facteur Bontoux avec son képi bordé d’un galon rouge, sa canne se terminant par une pointe de fer, sa veste épaisse « également bordée de rouge. Il faisait tourner fièrement sa canne tout en marchant, avec sur le dos un sac retenu par une bretelle.
Il était chargé de la distribution dans les fermes et hameaux, tandis que le facteur receveur de l’agence postale s’occupait du village.
Le facteur Bontoux armé de sa canne à pointe ferrée franchissait les fossés marneux allègrement et rejoignait la route, laquelle donnait accès à un chemin de ferme. Arrivé en vue de la maison, celui-ci agitait au bout de son bras le courrier. La fermière l’apercevait et venait gaiement à sa rencontre. Elle lui offrait quelquefois la « goutte ».
Le chemin de la ferme était assez long et pénible à parcourir. Bontoux imagina une boîte aux lettres rustique composée d’une large pierre plate posée sur de gros cailloux qui lui assuraient une stabilité horizontale et protégeaient les papiers du vent et de la pluie.
Cela déplut fortement au fermier qui, rencontrant le facteur dans les champs, lui tint un langage revêche :
« sies un founctionari, deves veni à l’oustaou »
(tu es un fonctionnaire, tu dois venir jusqu’à la maison)
Sous ces paroles aigres, vous pouvez lire la jalousie du fermier peu rétribué en comparaison du « fonctionnaire » supposé recevoir un traitement mirifique.
Le fermier, pour faire sentir sa colère, dit au facteur :
« si continues a ne pas veni à l’oustaou, me vaou abouna aou journaou »
(si tu continues à ne pas venir à la maison, je m’abonnerai au journal)
Le père Bontoux haussa les épaules sans riposter à ces propos piquants et continua tranquillement sa tournée. Après avoir détruit sa « boîte aux lettres », le facteur a repris chaque jour le chemin de la ferme.
Nb : cette histoire m’a été racontée par Lucien Samuel, ancien maire d’Izon-la-Bruisse, aujourd’hui décédé.