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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Quand nos ancêtres allaient chez le juge ou le notaire
Jugements de police — 20 décembre 1841 et 8 janvier 1842
Article mis en ligne le 3 janvier 2018

par DETHÈS Romain

Nous continuons d’explorer la vie des habitants de Séderon et du canton en publiant des transcriptions d’actes de notaires ou de juges de paix [1]

Le juge de paix de Séderon [2] doit trancher sur un vol de bois qui eut lieu à la coupe du Taïs. Cette affaire opposa Charles Dethes à Jean Borel en 1841…
Rappel : La justice de paix [3] apparaît avec la révolution suite aux nombreux cahiers de doléances qui dénonçaient la justice seigneuriale. Il fallait alors réformer le système judiciaire, le rendre proche des citoyens, simple et moins onéreux. Un juge de paix par canton fut mis en place dès 1790. Ses attributions étaient vastes et il pouvait intervenir pour la nomination de tuteurs et mener les délibérations de conseils de familles, recevoir les serments des gardes-champêtres, facteurs, trancher sur des litiges de voisinages, rendre des jugements de simple police… Les archives de la justice de paix du canton de Séderon constituent une source riche d’anecdotes, d’histoires et nous renseignent sur les tribulations quotidiennes de nos ancêtres…

Canton de Séderon — N°184 — à Séderon le 20 décembre 1841

Nous Jean François Alexis Monnier, Juge de Paix du Canton de Sederon, avons rendu le jugement interlocutoire [4] dont la teneur suit, en la cause d’entre Charles Dethes, propriétaire cultivateur habitant à Sederon d’une part, Jean Borel, cultivateur habitant à Barret de Lioure, au quartier de Maquegne, assigné défendeur d’autre part.
Ouï ledit Charles Dethes demandeur comparant en personne lequel a conclu à ce qu’il nous plaise condamner ledit Jean Borel a lui payer une somme de 25 francs à titre de dommages intérêts résultant de ce que ledit Jean Borel s’est permis de lui prendre et enlever environ cinq charges de bois que lui Dethes avait placées à un fagotier [5] à la coupe du Taïs, terroir de Barret de Lioure avec offre d’en faire la preuve en cas de négative.
Ouï ledit Jean Borel défendeur comparant aussi en personne, lequel a dit : que la demande que lui forme le sieur Dethes doit être déclarée non recevable et mal fondée attendu qu’il ne lui a pas pris de bois comme il le prétend, que si on lui a vu prendre du bois à la coupe du Taïs, c’était du bois qui provenait de son lot  ; et a conclu à être mis hors de cause sur la demande.
Sur quoi nous Juge de Paix, trouvent les parties contraires en fait et jugeant la preuve offerte par le demandeur utile et admissible, permettons à Charles Dethes demandeur de procéder par témoin que Jean Borel défendeur lui a pris du bois à la coupe du Taïs — disons que les témoins à produire seront par nous entendus à notre audience du 8 janvier prochain à dix heures du matin
– sommons les parties de s’y trouver en personne pour être présentes à l’audition et voir prononcer le jugement qui s’en suivra de par réserves.
Prononcé à Séderon en audience publique et en présence des parties le 20 décembre 1841.

Canton de Séderon — N°1 — à Séderon le 8 janvier 1842

Nous Jean François Alexis Monnier, Juge de Paix du Canton de Séderon, avons rendu le jugement par défaut, dont la teneur suit.
En la cause d’entre Charles Dethes, propriétaire cultivateur habitant à Séderon, demandeur, d’une part, Jean Borel, cultivateur habitant à Barret de Liourre assigné et non comparant, d’autre part.
Ouï ledit Charles Dethes, lequel a exposé qu’en vertu de notre jugement interlocutoire en date du 20 décembre dernier, il a fait assigner deux témoins pour déposer sur les faits retenus par notre dit jugement  ;
et attendu que ledit Jean Borel défendeur, quoique sommé de comparaître à l’audience de ce jour pour assister à l’audition des témoins, n’a point comparu en personne.
En conséquence nous donnons défaut contre ledit Borel et disons qu’il sera passé outre et par nous procédé à l’audition des témoins.
Les témoins assignés sont Henri Jullien âgé de 21 ans, cultivateur habitant à Séderon et Xavier Arnaud âgé de 31 ans, propriétaire cultivateur demeurant audit lieu de Séderon  ; lesquels après avoir prêté serment aux formes ordinaires de dire toute la vérité, rien que la vérité et déclaré n’être parent, alliés, serviteurs ni domestiques des parties, sauf ledit Xavier Arnaud qui a dit être l’oncle du demandeur  ; on fait leurs dépositions l’un après l’autre et hors la présence l’un de l’autre, même ledit Arnaud attendu que le défendeur n’ayant point comparu il n’a pas été reproché [6].
Il résulte des dépositions des témoins que le 9 décembre dernier lesdits Henri Jullien et Xavier Arnaud étaient allé ensemble à la coupe du Taïs  ; qu’arrivés au bas de ladite coupe, où se trouvaient deux fagotiers, Xavier Arnaud dit à Henri Jullien que ces fagotiers appartenaient à Charles Dethes  ; qu’ils allèrent ensuite se mettre à l’œuvre pour couper du bois et qu’un moment après ils aperçurent deux hommes avec deux montures qu’ils chargèrent à ces fagotiers  ; et qu’ils reconnurent parfaitement que c’était les mules de Louis Borel père conduits par Jean Borel son fils, et un autre individu qui demeure avec eux.
En fait : par exploit du 18 décembre dernier le demandeur avait fait citer le défendeur en paiement d’une somme de 25 francs, pour lui tenir lieu de dommage intérêt à raison d’une certaine quantité de bois que ce dernier lui avait pris. A l’audience Borel défendeur nia le fait et Dethes demandeur ayant offert la preuve nous rendîmes un jugement interlocutoire ordonnant que cette preuve serait faite à l’audience de ce jour  ; et le défendeur n’a point comparu mais l’audition des témoins en a pas moins eu lieu. Il résulte de ces dépositions que réellement ledit Jean Borel a enlevé deux charges de bois à un fagotier appartenant à Dethes demandeur.
En droit : la demande est-elle fondée et doit-on en adjuger les Sieurs  ?
Attendu que quoique la demande eut été constatée par le défendeur lors de la première comparution des parties, elle n’en est pas moins pleinement justifiée par la déposition des témoins produits  ; et que quoique le défendeur n’ait point comparu à l’audience de ce jour pour assister à l’audition des témoins ou pour les reprocher, cela ne saurait arrêter l’action de la justice.
Par ces motifs, nous juge de paix susdit, faisant droit  ; condamnons ledit Jean Borel, défendeur, à payer audit Charles Dethes demandeur la somme de 2 francs, à laquelle nous fixons la valeur du bois par lui pris au fagotier dudit Dethes le 9 décembre dernier et le condamnons en outre aux dépens liquidés à quatorze francs septante cinq centimes, non compris l’enregistrement, l’expédition ni la signification du présent.
Ainsi jugé et prononcé à Séderon en audience publique, en présence du demandeur et pas ledit Jean Borel, le 8 Janvier 1842 et avons signé avec notre greffier.

Pour la petite histoire : de temps immémorial, la forêt a toujours représenté une ressource vitale pour nos ancêtres : son bois, son gibier, ses fruits, ses plantes, ses pâturages, toutes ces richesses qui permettaient aux hommes de vivre, manger, se soigner. A partir du XIᵉ siècle, la croissance démographique va entraîner progressivement des défrichements : extension des terres cultivables, constructions de maisons mais aussi débit de bois pour le chauffage et la fabrication d’outils. A partir de là, le bois revêt une importance majeure et source de conflit entre habitants, communautés villageoises, seigneurs. Dans les délibérations consulaires de Séderon sont ainsi mentionnés divers contentieux à propos du bois entre Sederon, Barret-de-Liourre et Villefranche. Afin d’endiguer le phénomène naissant de déforestation et permettre à chacun de faire valoir ses droits, il était important de légiférer sur la question. Aussi en 1700, les consuls de Séderon furent «  chargés de faire cesser les abus que les fourniers font au bois de la combe du met  »  ; dès lors les fourniers qui prélevaient le bois de façon abusive s’exposaient à une amende. Après la Révolution Française, les villages qui détenaient les forêts «  communales  » établirent des programmes «  d’affouage  » imposant des restrictions quantitatives sur les prélèvements de bois. De nos jours, la protection des forêts est devenue une préoccupation de premier ordre et nous sommes bien loin du temps des procès pour quelques fagots de bois dérobés…
Romain DETHÈS