Exceptionnel, le site de Bergiès l’est surtout par la multitude des fonctions installées sur le domaine, mais aussi par ses caractéristiques géologiques et topographiques.
Le premier plan cadastral de Barret de Lioure (réalisé en 1813) nous permet de comprendre la situation dominante du sommet qui culmine à 1367 m.
La section C (dénommée Baïs et Macuaigne dans la cadastre) est située dans l’angle Nord-Est de la commune en limite de Villefranche-le-Château (au nord), Séderon (à l’est), la section B et le chemin de Barret à Villefranche (à l’ouest), le chemin initial de Barret à Séderon (au sud), puis la Méouge avant son entrée sur le territoire de Séderon.
Caractéristiques générales
Entièrement orientée vers l’Est, cette vaste section est divisée dans le sens Ouest-Est par une barre rocheuse qui sépare deux grands vallons donnant naissance au réseau hydrographique de la Méouge. Elle est dominée (au Nord) par la Montagne de Bergiès qui culmine à 1367 m. Au-delà du col de Macuègne (1068 m), on pénètre dans le domaine alpestre de Barret de Lioure.
Toponymie : Bergiès, Berges, Montagne de Barges, Barges ?
L’origine du lieu-dit Bergiès est très simple : le vaste plateau incliné vers l’ouest et qui se termine au sommet de la montagne de Bergiès ou Berges (IGN) à 1357 m est dénommé montagne de Barges (Cassini) ou simplement Barges (Etat-Major) cette plaine était (et est toujours) un domaine de pâturage d’où son nom à l’origine Berger, déformé lors des différentes transcriptions écrites [1].
Un regard depuis Bergiès vers la partie septentrionale de Barret de Lioure
Au nord-ouest de la plaine de Bergiès, se situe l’adret de Lachaud. C’est le seul lieu de la commune où adret est utilisé. L’adret est le lieu exposé au soleil. En provençal adré (en ancien provençal adrech) signifie « en direction de… » (du latin ad directum).
Dans le cas présent, on insiste sur le caractère ensoleillé du lieu en précisant adret de Lachaud pour bien marquer que le lieu est très chaud par rapport à son environnement immédiat, balayé par le mistral. L’adret de Lachaud est une petite plaine inclinée vers le sud (pente douce de 1210 m à 1160 m), allongée le long de la limite avec Villefranche et limitée au nord-ouest par le Petit col (1157 m).
Au sud-ouest de Bergiès, une petite surface caillouteuse a été dénommée la Crau dans le cadastre rénové. La référence à une région bien connue des Bouches-du-Rhône est évidente. On trouve, immédiatement sous la Crau, l’exceptionnel synclinal de Séderon (bien qu’il soit entièrement sur le territoire de Barret de Lioure) dont la description et l’illustration sont amplement évoquées par Christian Montenat [2].
De cette situation élevée on découvre le remarquable Grand vallat de Baïs. Plus grand espace sans obstacle de la commune, Baïs est bordé par le synclinal au nord et Massugeaye au sud. Il s’étend de 1200 m à l’ouest (voie d’accès à Bergiès) jusqu’à 900 m en limite de Séderon. Sa forme générale est triangulaire et avoisine une surface totale de 200 hectares. Au centre du vallon, un ruisseau recueille les eaux de ruissellement et de sources et se jette dans la Méouge quelques centaines de mètres après dans le territoire de Séderon.
Baïs (Cassini avait transcrit Baix, et la carte d’Etat-Major indique Grange de Bays) a pour origine baisse – lieu situé en bas-. En provençal, on appelle la baisso tout lieu situé en bas par rapport à l’auturo – lieu situé en haut -. Ph. Blanchet est d’avis que « les graphies avec ou sans tréma sur le i sont aléatoires et changeantes. La bonne orthographe est baïsse(s) avec tréma, car elle rend compte de la prononciation à la provençale ». A Barret de Lioure, on prononce préférentiellement baye comme aussi Massugeaye !
Quatre bâtiments (une bergerie en amont et trois granges vers l’aval de Baïs) sont toujours occupés et furent, jadis, des exploitations agricoles importantes. L’une de ces habitations fut occupée par une famille Bonnefoy, notaires de Barret de Lioure et Séderon avant la Révolution de 1789, et qui prit le nom de Bonnefoy de Baïs à partir de 1747. Un des descendants, Louis Alfred, félibre, y est né en 1855.
Autrefois voué à une agriculture assez intensive, Baïs est aujourd’hui fortement boisé depuis une reconversion à partir de 1990 environ (pins, merisiers, douglas), tandis que la bergerie, située au pied du synclinal dans la partie haute du vallon, est devenue une habitation permanente.
En limite de Baïs et de Séderon, au sud-est de Baïs, on trouve deux petits territoires dénommés Ubac de Baïs, pour quelques hectares à l’ombre de Massugeaye, et la Justice contre la limite de Séderon. Cette dernière dénomination et sa position frontière inclinent à penser qu’il s’agirait peut-être du lieu où se rendait la justice au cours du Moyen-Age ?
L’accès à Bergiès
Pour atteindre le sommet de Bergiès, il faut partir du col de Macuègne [3] (1068 m) carrefour névralgique de la commune.
Il donne accès à un vallon étroit (400 m), orienté ouest-est, très long (près de 2 Km) dont le nom fut d’abord Maucuègne (Cassini), ensuite Macuaigne (cadastres et carte d’Etat major) et enfin Macuègne (carte IGN), son appellation actuelle.
L’interprétation du nom de lieu est assez simple : Cassini avait sans doute été bien renseigné par les habitants qui considéraient cette partie du village comme étant un mauvais – mau- coin –cuègne et ce pour plusieurs raisons : on bascule vers l’Est et le climat alpestre et on passe le point haut de la route entre Montbrun et Séderon. Ce col a d’ailleurs fait l’objet, dans le troisième quart du 19ème siècle d’importants travaux puisqu’il a vu la construction de la route départementale n° 46 (aujourd’hui D542) et celle de la route de l’Homme Mort vers Sault (D63).
Macuègne est le siège des trois exploitations agricoles importantes dénommées Macuègne haut (Acquaviva), Maison Borel (Quenin) et Macuègne bas (Marchand).
L’altitude au col (1068 m) descend à 862 m au niveau de la Méouge.
La limite Sud de Macuègne est soulignée par le ruisseau de Touissas.
Au Nord de Macuègne, et sur la même longueur, une crête étroite (100 m de largeur maximum) dénommée Massugeaye sépare le val de Macuègne du Grand Vallat de Baïs.
Massugeaye pourrait tirer son nom de massugo – massue en provençal – en raison de sa forme allongée plus large à son extrémité Est. La crête de Massugeaye culmine quasi sur toute sa longueur vers 1100 m avec des pentes Nord et Sud équivalentes d’environ 100 m. La face Sud est couverte de broussailles avec de rares cultures et des résurgences de sources, tandis que la face Nord est davantage boisée.
A l’extrémité Est de Massugeaye on trouve la Tuilière qui indique la présence d’une fabrique de tuiles (et de briques). Cette dénomination est peut-être très ancienne (époque romaine) car on a trouvé d’abondantes traces d’occupation romaine dans ce quartier lors de l’aménagement du carrefour de la route de la Pigière et du Jabron à la fin des années 1990 [4].
Revenons vers l’ouest pour découvrir le col de Lombard (1200 m) exposé au vent humide qui descend des Alpes du sud, souffle sans violence mais régulier au-dessus de la Provence [5]. Il traverse les Alpes de Haute Provence, le Var, le Vaucluse et les Bouches du Rhône puis disparaît vers la Camargue. De direction nord-est, il s’associe à la bise et est alors froid et sec. Le col de Lombard est particulièrement exposé au nord-est-est. Le Lombard sévit surtout en automne.
Une belle combe fait suite au col de Lombard : la combe Grenière porte bien son nom car il s’agit d’une parcelle particulièrement fertile, allongée du nord-ouest vers le sud-est de 1250 à 1200 m. Elle est propice à la culture de lavande.
Au nord du col de Lombard, une petite zone est dénommée Mège. Inclinée vers l’ouest de 1200 à 1150 m, quasi carrée, elle constitue une zone propice au pâturage des moutons.
Le site exceptionnel de Bergiès
La plate-forme sommitale de Bergiès est occupée par une antenne-relais de télévision, de radiodiffusion, un relais satellite militaire, un cosmodrome, une aire de départ de parapente et une aire d’aéromodélisme. Nous allons y revenir.
Le chemin d’accès a été rénové en 2013 avec aménagement de garages et parking.
1. Une géologie didactique
« L’anticlinal [6] de Séderon » a été particulièrement décrit par Ch.Montenat [7]. Il s’agit là d’un cas d’école. Nous lui empruntons l’essentiel de la description : « La route de l’antenne de télécommunication… mène à un point de vue exceptionnel sur l’anticlinal de Séderon. Crevé par l’érosion, c’est une vaste dépression remplie de marnes sombres de l’Oxfordien. Vers le haut, ces marnes passent, par l’intermédiaire d’alternances de bancs calcaires et de lits plus marneux du Kimmeridgien, au versant abrupt du Tithonien ».
« Ces crêtes, décalées par plusieurs failles bien visibles, cernent de manière quasi-continue le versant nord de l’anticlinal ainsi que ses terminaisons est et ouest. En revanche, son flanc sud, intensément faillé, est moins visible dans le paysage (flanc nord de Massugeaye). Prairies, landes et bosquets de pins occupent les pentes de la dépression marneuse ».
Complétons cette description pour souligner que ces couches géologiques appartiennent à l’ère Jurassique supérieure, soit entre -145 et - 135 millions d’années.
2. Une aire de pastoralisme séculaire
Le plateau de Bergiès fut de tout temps occupé par les troupeaux de moutons d’où son appellation. Aujourd’hui encore la famille Montaud-Borel, propriétaire d’une grande partie du domaine, y fait paître ses agneaux.
3. TdF, premier occupant du sommet
En 1965, Télévision de France (TdF) installe une antenne-relais au sommet de Bergiès. L’endroit est particulièrement propice pour un « arrosage » à grande distance, sans aucun obstacle. Pour atteindre l’endroit, il est nécessaire de construire une route car le chemin d’accès depuis Macuègne s’arrête au col de Lombard.
TdF se charge de l’aménagement du chemin au travers des propriétés privées avec l’autorisation des propriétaires et promesse d’indemnisation, qui ne sera jamais réalisée !
4. Une aire de départ de parapente
Au début des années 1990, la Fédération Nationale de Parapente installe une double aire de départ, l’une vers le nord et le local régional de la Fédération, l’autre vers le sud avec une zone d’atterrissage sur Séderon à proximité du garage Conil.
5. Une zone d’évolution pour l’aéromodélisme
Quasi simultanément aux parapentistes, des amateurs d’aéromodélisme découvrent les possibilités d’évolution sans contraintes de leurs engins volants. Ils y viennent de régions éloignées parfois de plus de 200 km. Pour ne pas gêner les hommes volants, ils s’installent un peu en dessous des aires de départ.
6. Une antenne relais de téléphonie mobile
Le développement de la téléphonie mobile vers la fin du XXème siècle attire le fournisseur d’accès Bouygues qui installe une antenne au sommet de Bergiès. On regrettera bien entendu que les autres opérateurs n’aient pas eu la volonté de s’associer au projet ce qui aurait solutionné bien des problèmes de… communication !
7. Un relais satellite militaire
La mairie de Barret de Lioure sera très étonnée de constater un beau jour de 2010 qu’un bâtiment nouveau a été érigé au sommet de Bergiès. Le secret… militaire avait été bien gardé. Après enquête, il apparut qu’il s’agissait d’un bâtiment recelant des instruments satellitaires de l’armée.
8. Un cosmodrome
C’est sans doute aujourd’hui la construction la plus originale du site de Bergiès. On le doit à l’opiniâtreté d’un passionné d’astronomie, Denis Correcher.
Il faut remonter à 2006 pour trouver la première intervention de Denis Correcher auprès de la mairie de Barret de Lioure. Il y présente un dossier particulièrement précis et complet pour justifier son souhait de construire un observatoire au sommet de Bergiès.
Nous passerons outre les multiples contraintes qu’il dut surmonter pour arriver à ses fins.
On soulignera cependant qu’il a construit les trois bâtiments durant toutes ces années avec un courage exemplaire, installant sa caravane à proximité du chantier et transportant tous les matériaux nécessaires à la construction des deux coupoles et de la salle de réunion.
La ténacité de Denis Correcher a été appréciée par les autorités départementales, le Conseil général, la Communauté de Communes des Hautes Baronnies (CCHB) et bien sûr la municipalité de Barret de Lioure qui se sont ligués pour que l’entreprise privée connaisse un dénouement favorable.
L’observatoire pourra être commandé à distance via le réseau internet : coupole de 5,50 m à étage, abritant un télescope Newton 406 mm (diamètre du miroir primaire, tube serrurier à F/D., réalisé intégralement (sauf optiques) par D. Correcher et une seconde coupole de 3,50 m abritant un télescope Meacte LX200 de 356 mm. Le local technique (6,80 x 8,40 m) servira à l’accueil, y compris des personnes à mobilité réduite et surtout à des vidéo-projections.
Soulignons que le site de Bergiès est particulièrement adapté à cette activité car il n’est pas « pollué » par des lumières urbaines, comme le sont 2/3 de la population mondiale et jusqu’à 98 % des habitants d’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale.
Depuis août 2014, le site est opérationnel.
Informations pratiques :
- site : www.observatoire-cosmodrome.net
- courriel : correcherdenis chez hotmail.fr
9. Il ne manque qu’une table d’orientation
Le sommet de Bergiès se prête admirablement à l’installation d’une table d’orientation car la vue y est dégagée sur plusieurs dizaines de km, voire 100 km à 360°. Vers le nord, on découvre une grande partie des Baronnies, avec au plus près Mévouillon et Villefranche-le-Château ; vers l’est la vue porte jusqu’à la chaîne des Alpes du sud et au pied de Bergiès Séderon et la vallée de la Méouge ; le regard vers le sud découvre la Montagne de Lure, le Négron et le plateau d’Albion avec le Tay et la route qui mène au col de l’Homme Mort, mais en se rapprochant le grand vallon de Baïs et Macuègne ; vers l’ouest, entre Fonzaud et le Buc, le mont Ventoux se détache dans toute sa splendeur.
10. L’action des autorités publiques
Il importe de mettre en évidence l’effort financier considérable consentit pour mettre en valeur le site de Bergiès. Comme signalé ci-avant, l’accès au sommet a été réalisé en 1965 par TdF mais les propriétaires riverains n’ont jamais été indemnisés.
Comme la voie se dégradait d’années en années et que des accidents graves s’étaient déjà produits, la commune de Barret de Lioure et la CCHB ont pris la décision de rétablir une route d’accès convenable. Barret de Lioure a d’abord dû déposer une Déclaration d’Utilité Publique et a pris en charge l’indemnisation des expropriations pour un montant de 15.000 euros environ ce qui lui conserve la propriété du chemin sur 4,5 Km, tandis que la CCHB se chargeait du montage financier et de la direction des travaux.
Le coût total de ces derniers s’élève à 92.300 euros H.T dont 38.350 euros accordés par le Conseil général de la Drôme. Ils comportent le goudronnage sur l’entièreté de la voie d’accès, la création de plusieurs voies de croisement, d’un parking à proximité du sommet, la pose de glissières de sécurité.