Bandeau
L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Cantoun Prouvençau
Article mis en ligne le 30 juin 2020
dernière modification le 19 août 2022

par sandy-pascal

Voilà un texte qui ne respecte pas la concordance des temps : parler de La festo di Trepassa (la Fête des Morts) au début de l’été a quelque chose de décalé. Mais notre Trepoun est ainsi programmé : juin, décembre…

Ce n’est pas une raison pour ne pas le publier. Surtout qu’il a une histoire, il a été écrit par Eugène Simon, le père d’Henri Simon et d’Hélène Rispal, qui tous deux habitent Séderon.

Eugène Simon a écrit de nombreux articles pour le journal le Méridional, édition du Vaucluse. Ces articles étaient présentés dans une chronique mensuelle, Li letro de moun clouchié, qu’il signait Lou Campanié. Voici celui paru dans le journal du 5 novembre 1964 :

La festo di Trepassa

Li cementèri, d’aquest tèms, sèmblon de jardin, mounte se veson tòuti li coulour, e se sento tòuti li redoulençi. Se póu plus parla d’un endre de dòu e de tristesso, en estènt que lou dòu e la tristesso s’escoundon quasimen souto uno tapissarié requisto. Oublidan que memamen aqui li paure e li riche, si demoro soun pas pariero : èici un monumen s’abouro coume uno mount-joio dins la planuro, eila uno pèiro nuso estendudo subre la terro e de fes que i’a cuberto d’erbo.

Coume dins la vido vidanto n’i ’a que recebon forço vessito* ; n’i ’a d’autre, pecaïre, que rès jamai ven li veire e parla em’éli.

Coume i’a ’n groupamen que ié dison lou Souveni Francés, ai pensa que sarié bon d’engimbra un groupamen dóu Souveni Prouvençau. Noun sabe encaro mounte soun, e quant n’i ’a ’encaro, li cros de tòuti li que soun noum ei couneigu dins nòsto Istòri. Faudrié pensa à lis ounoura, à n’en faire la tiero de si noum, e naturalamen en proumié faudrié li counèisse e li faire counèisse.

Belèu assajarai un autre cop d’escriéure lou retra de quàuquis un que, à tèms passa, aduguèron glori au terraire nostre : escrivan vo pintre, ouratour vo predicatour, soudard, prince vo pacan. Se voulèn counserva nosto persounalita e que lou noum meme de Prouvènço s’esvaligue pas dins lou toumple de l’óublit, es necite se clina sus li libre que ramenton la vido, li gau, lis obro de li qu’an viscu dins noste païs e que ié soun sèmpre resta fidèu, memamen quouro s’éron enana dins d’encountrado luenchenco pèr tourna, au lindau dòu vieiounge, dins l’oustau de soun brès.

Entre sourti dóu cementèri rescountrère un miéu ami em’uno caro entristesido qu’ère pas acoustuma de ié veire. Me quiché la man pièi me digué : « Coume l’éurre sus la rousco de l’aubre e que pòu pas viéure se l’en destacon, lis ome déurien sèmpre resta li pèd sus la terro meiralo. Quouro se fison, quàuquis un, i paraulo enganivo de Paris e que s’aluenchon e que travaion eilalin e que de cop que i’a gagnon forço dardeno, un bèu jour s’avison que li parisen o lis aparisenqui se soun trufa d’éli. Fau leissa sis oustau e si mort e quouro vèn lou dous de nouvembre, de que faire senoun aluca em’envejo aquéli qu’an l’ur de poudé veni ploura sus si mort e floureja si cros ? ».

CAMPANIE

*vessito = coquille probable pour vesito

[Les cimetières, en ce moment, semblent des jardins où se voient toutes les couleurs et où se sentent tous les parfums. On ne peut plus parler d’un lieu de deuil et de tristesse, puisque le deuil et la tristesse disparaissent pratiquement sous une exquise tapisserie. Nous oublions que, même ici, les demeures des pauvres et celles des riches ne sont pas pareilles : là un monument s’élève comme une borne dans la plaine, là une pierre nue étendue sur la terre, souvent recouverte par la végétation.

Comme dans la vie, certaines reçoivent de nombreuses visites ; d’autres, pauvre d’elles, personne ne vient jamais les voir et leur parler.

Comme il y a un groupement qu’on appelle le Souvenir Français, j’ai pensé qu’il serait bon de créer un groupement du Souvenir Provençal. Je ne sais pas où ils sont, et combien existent encore, les tombeaux de tous ceux dont le nom est connu dans notre Histoire. Il faudrait penser à les honorer, à faire la liste de leurs noms, et naturellement il faudrait d’abord les connaître et les faire connaître. Peut-être essaierai-je en une autre occasion d’écrire le portrait de quelques-uns qui, par le passé, firent la gloire de notre terroir : écrivain ou peintre, orateur ou prédicateur, soldat, prince ou paysan. Si nous voulons conserver notre personnalité et que le nom même de Provence ne se dissipe pas dans le gouffre de l’oubli, il est nécessaire de se pencher sur les livres qui rappellent la vie, les joies, les œuvres de ceux qui ont vécu dans notre pays et qui y sont toujours restés fidèles, même lorsqu’ils sont partis dans des lieux lointains avant de revenir, au seuil de la vieillesse, dans la maison de leur naissance.

En sortant du cimetière je rencontrai un de mes amis ; il faisait une triste figure que je ne suis pas habitué à lui voir. Il me serra la main puis me dit : « comme le lierre sur l’écorce de l’arbre et qui ne peut vivre si on l’en détache, les hommes devraient toujours rester les pieds sur la terre maternelle. Quand ils croient, quelques-uns, aux paroles séductrices de Paris, qu’ils s’éloignent pour travailler là-bas et que parfois ils y gagnent beaucoup d’argent, un beau jour ils s’aperçoivent que les parisiens et les emparisianés se sont moqués d’eux. Ils ont dû abandonner leurs maisons et leurs morts, et quand vient le deux novembre, que faire sinon regarder avec envie ceux qui ont le bonheur de pouvoir venir pleurer sur leurs morts et fleurir leurs tombeaux.]

55 ans après, l’article d’Eugène Simon témoigne d’une belle actualité :

  • dans les rangs des généalogistes, n’a-t-on pas commencé à photographier les cimetières, spécialement ceux des villages et hameaux abandonnés, afin que la mémoire des tombeaux et des pierres tombales – et des inscriptions qui y sont gravées – ne soit pas perdue à jamais.
  • quant à la crainte exprimée par l’auteur, celle qu’un jour le beau nom de Provence vienne à disparaître, n’est-elle pas en train de se réaliser ?

Disparaître… et pour être remplacé par quoi ? Par Sud !

Sud ! Une appellation qui, selon les illuminés qui gouvernent la région limitrophe de Séderon, serait plus propice à attirer la manne touristique…

Lorsque la triste nouvelle est arrivée, fin 2018, j’avais exprimé mon humble avis sur la question dans Prouvenço d’Aro, le mensuel en langue provençale. Ça ne servait à rien, sauf à soulager un peu… en voilà un extrait :

Sièu bèn countent !

… Vène de reçaupre la revisto de la regioun… Sus la cuberturo, i’a un titre : « Ici c’est le Sud ».

E dedins, i’a tout un doursié. Vau pas faire ma lengo de p… en racountant que ié poudèn legi li testimoni de touti lis espounsourisa de la Regioun que soun, de-segur, d’acord emé lou grand cap que promou l’evenimen. De « pequin », chausi à l’asard, porton tambèn soun estrambord à l’ouperacioun. Pas uno souleto voues en desacord. Es bèu quand l’unanimita soustèn un grand proujèt.

Iéu, emé moun pego-soulet « ni Sud ni PACA » sus ma veituro, dève faire méfi, belèu que sarai moustra dou det, o que li gendarmo me contourrolaran coume un dangerous empachaire de vira en round…

… dounc Sud, vai falé se ié faire.

Entre dous mau, belèu fau chausi lou mai pichot. Quand vese lis apelacioun di nouvèlli Regioun franceso : Nouvello Aquitàni (vaqui lou mouderno pèr oublida lou passat), Grand Est, Aut de Franço, me dise qu’aurien pouscu èstre remès à nosto vertadiero plaço :

Regioun Bas de Franço

[Je suis bien content… je viens de recevoir le magazine de la Région. Sur la couverture, il y a un titre : « ici c’est le Sud ». A l’intérieur, tout un dossier – je vais pas faire ma langue de p… en racontant qu’on y lit les témoignages de tous les sponsorisés de la Région, lesquels sont évidemment d’accord avec le grand chef qui promeut l’événement. Des péquins, choisis au hasard, apportent aussi leur enthousiasme à l’opération. Pas une seule voix discordante. C’est beau quand l’unanimité soutient un grand dessein.

Moi, avec l’auto-collant « ni Sud ni Paca » sur la vitre arrière de ma voiture, il va falloir que je fasse gaffe. D’ici à ce qu’on me montre du doigt, ou que les gendarmes me contrôlent comme un dangereux empêcheur de tourner en rond…

… donc Sud, faudra s’y faire.

Entre deux maux, il faut sans doute choisir le moindre. Quand je vois les nouvelles appellations des régions françaises : Nouvelle Aquitaine (voilà du moderne faisant table rase du passé), Grand Est, Hauts de France, je me dis qu’on aurait pu être remis à notre vraie place :

Région Bas de France]

* * *

Vous l’aviéu p’anca di ? Mi sièu enfelibra. Belèu n’aviè plus gis agu de felibre à Sederoun, despiei Alfred Bonafé-Debais…

Eugène Simon, èu, tamben n’en fugué un, de felibre !

[Je ne vous l’avais pas encore dit ? J’ai adhéré au Félibrige. Peut-être n’y avait-il plus eu de félibre à Séderon depuis Alfred Bonnefoy-Debaïs…

Eugène Simon, lui aussi, était félibre !]

Il était né à Monteux en 1902, dans une famille modeste qui émigra en Algérie en 1912.

Son père travaillait aux Ponts et Chaussées. Pour diriger les chantiers, sa fonction de contremaître lui imposa d’apprendre au moins quelques rudiments d’arabe, mais au foyer familial, c’est en provençal qu’il s’exprimait.

Grâce à quoi Eugène put garder un lien affectif avec sa terre natale du Comtat Venaissin, et surtout découvrir dans leur texte original les œuvres de Mistral. Le curé de Montagnac, son village proche de Tlemcen, lui enseigna le grec et le latin. Et dans la rue, il apprit aussi l’arabe.

Après son service militaire fait au Liban, il entreprend des études supérieures.

Avocat en décembre 1930, Eugène installe son cabinet à Belcourt, un quartier d’Alger très populaire où européens et arabes étaient mélangés. C’est dire qu’il avait choisi d’être un avocat des petites causes…

Sa connaissance des langues lui permet d’être également interprète, en arabe et en espagnol, auprès des tribunaux.

Il ne quittera Belcourt qu’en 1962, à la veille de l’indépendance de l’Algérie, pour venir poser ses bagages à Avignon. Là, son engagement en faveur de la culture provençale ne pouvait que se renforcer. Il en enseignera la langue, et jouera un rôle important au sein de l’école félibréenne d’Avignon, Lou Flourege, jusqu’à en devenir le cabiscou (le président).

Il a laissé une œuvre écrite importante. Parmi ses ouvrages, citons :

  • la Provence et l’Afrique [Aubanel, Avignon – 1960], en français
  • Avignoun de-tras lis Escrivan [L’Astrado, 1970], ouvrage qui fut couronné par l’Académie Française
  • Li viage e l’estrangisme dins la literaturo prouvençalo [L’Astrado, 1971]
  • Li Sarrasin dins la literaturo prouvençalo [L’Astrado, 1974])
    (les deux précédents sont dans le catalogue de la bibliothèque de Séderon)
  • Sant Francès d’Assise e la Prouvenço [L’Astrado, 1973])
  • ses articles parus dans le Méridional : Li Letro de moun clouchié (53 articles parus dans Le Méridional-La France, d’octobre 1963 à mai 1965), Quàuqui retra de Prouvençau (11 articles parus dans Le Méridional-La France, d’octobre 1965 à mars 1966)

Il a aussi longtemps travaillé à la rédaction d’un ouvrage très particulier, qui lui tenait à cœur : un lexique provençal-arabe classique, dans lequel il voulait mettre en exergue les influences réciproques des deux langues.

Ce travail est resté à l’état d’un imposant manuscrit… Eugène Simon est décédé en octobre 1975, sans avoir pu l’achever.

 
 

« touto sa vido pèr Prouvenço a fa ço qu’a pouscu »

« au cabiscou Simon, sis ami flouregian »

[plaque – cimetière de Séderon]

* * *

La platano

Pour continuer à baigner dans la même atmosphère automnale, quelques lignes extraites d’un autre article d’Eugène Simon où « la » platano, mot-arbre du genre féminin en provençal, symbolise la sérénité pour ceux qui ont « proun tira de camin » :

« Sièu pas, coume n’i a de bèu, d’aqueli que dounarien dous printèms pèr un autouno.

Pamens m’agrado mai-que-mai aquelo sesoun que Outobre èi soun lindau tant poulit. E pèr ièu, ai jamai rescountra d’autouno senso platano.

Touto ma vido – e n’ai tira de camin ! – l’ai viscudo à l’oumbro di platano. N’i avié dins la court de l’escolo, à moun oustau, davans moun burèu. Mai que d’autris aubre, me sèmblo un retra de la vido : au printèms li fueio que regrèion a cha pau sus li branco qu’aurien cresegu morto, fargon, sènso trop espera, uno capo verdo que oumbrejo li passejaire ; quauqui mes, e adeja li fuèio rousseiejon e jaunejon e, souto li ventoulado, s’endavalon dins li prat, dins li jardin, li draio…

… Quouro li tron an fa proun peta, e la chavano proun brama dins nosto vido e proun abouca de pantai e revessa d’ilusioun, queto envejo de calamo e queto malancounié ! Belèu pèr aco, quouro arriban au vespre de la vido nous agrado tant aquelo sesoun que precedis l’iver »

Campanié – 14 novembre 1963

[Je ne suis pas, comme il y en a beaucoup, de ceux qui donneraient deux printemps pour un automne. Toutefois cette saison, dont octobre est le si plaisant seuil, me plaît beaucoup. Et pour moi, je n’ai jamais rencontré d’automne sans platane.

Toute ma vie – et j’en ai fait du chemin ! – je l’ai vécu à l’ombre des platanes. Il y en avait dans la cour de l’école, devant ma maison, mon bureau. Plus que d’autres arbres, il me semble être une image de la vie : au printemps, les feuilles qui reverdissent petit à petit sur les branches qu’on aurait cru mortes font, sans trop attendre, une chape verte qui donnent de l’ombre aux passants ; encore quelques mois, et déjà les feuilles roussissent et jaunissent et, sous les rafales du vent, tombent dans les prés, les jardins et les chemins…

… Quand le tonnerre a assez claqué, la tempête assez gueulé dans notre vie et assez fait s’écrouler de rêves et dissiper d’illusions, quelle envie de calme et quelle mélancolie ! c’est peut-être pour cela que, lorsque nous arrivons au soir de notre vie, nous plaît tant cette saison qui précède l’hiver].

André POGGIO