Grâce aux registres paroissiaux et aux registres consulaires, nous poursuivons notre voyage dans le temps pour approcher la vie quotidienne, les coutumes et les préoccupations des Séderonnaises et des Séderonnais qui vécurent il y a trois siècles de cela…
Durant l’année 1701, on relève 27 actes dans les registres paroissiaux de notre village : 14 naissances, 3 mariages et 10 décès.
Parmi les naissances, on compte 7 filles et 7 garçons. Comme nous l’avions constaté dans notre précédent article, le rythme des naissances n’est pas uniforme sur l’année. Près de 29% des naissances ont lieu en janvier ce qui induit une conception en avril. En effet, l’Eglise recommandait l’abstention de tout rapport charnel pendant le carême, soit le mois de mars. Ainsi, dès la fin de celui-ci, nos ancêtres reprenaient leurs activités…
Les prénoms à la mode cette année-là sont toujours Anne pour les filles et Pierre pour les garçons juste devant Joseph.
Les trois mariages recencés en 1701 ont lieu en février, avril et juin. A cette époque, on ne se mariait pas en temps de pénitence. Aussi, deux périodes : l’Avent et le Carême étaient proscrits par L’Eglise soient les mois de décembre et de mars (avec quelques variations pour ce dernier, Pâques étant une fête mobile). Février, juste avant le Carême et avril, juste après étaient donc des périodes favorables à la nuptialité. Il en était de même pour juin, mois au climat agréable et qui précède les gros travaux estivaux. En effet, à une époque où l’on vit presque exclusivement de l’agriculture, pas question de « faire ripaille » à un moment d’activité intense ce qui exclut les mois de juillet, août et septembre. Le vieux proverbe de l’époque confirme ces pratiques nuptiales : « A Pâques on marie les ânes, à la Saint-Jean, les bons enfants »…
En ce qui concerne les décès, recensés dans les actes de sépultures de nos registres paroissiaux, on en compte 10 en 1701. Ils concernent huit personnes de sexe masculin et deux de sexe féminin. On constate que deux hommes et une femme sont âgés (selon l’estimation du prêtre) de respectivement 50, 60 et 70 ans. Deux autres décès concernent deux enfants de 10 ans. Les 5 autres sont ceux d’enfants âgés de 10 jours à 12 mois. 50% des décès sont donc ceux d’enfants de moins d’un an. Cette triste constatation, s’explique par divers facteurs : lésions reçues lors de l’accouchement, hygiène, maladies, accidents. A cette époque, seuls les plus résistants et chanceux parvenaient à l’âge adulte.
Les registres consulaires [1] nous livrent également des informations sur les évènements qui ont marqué la vie locale en 1701.
Les deux consuls du village sont alors Estienne Jullien et Charles Bonnefoi élus le 26 décembre 1700. Ils convoqueront 11 fois l’assemblée du village au cours de l’année 1701 pour traiter différentes affaires.
Lors de l’assemblée du 1er janvier, il est « arreste que nul habitant ni autres estrangers ni mesmes les fourniers ne pourront aller prendre ni faire aucunnes rames [2] a la combe du met a peyne de cinquante livres damande applicable a l’hospital. »
La proposition du Sr Reynaud de « faire travailher a la descouverte de la mine du plastel a ses depens et lhorsqu’il aura treuve la mine demande que la communaute lui donne 200 livres des frais qu’il aura faitz » est acceptée « parce que ce seroit un notable proffict pour tous les habitants ».
Le 23 janvier, suite au séjour dans le village du Régiment d’Infanterie des Vosges les 3 et 4 janvier, il fallut faire tuer du bétail pour nourrir les soldats. L’absence du boucher André Laurens et de sa femme obligea les consuls « d’achepter deux boeufs de Louis Dethes pour le prix de 28 écus ». A Esprit Roubaud et Jean Bonnefoi fut confiée la tâche de les tuer avec les 6 moutons qu’ils achetèrent à Gaspard Bonnefoi.
Par ailleurs, suite au départ du régiment, le consul Estienne Jullien « fust insulte par le fils d’Antoine Jullien au mittan de la rue appres avoir frappe sa porte a coups de pieds pour le faire sortir a cause qu’on avoit faict un logemant de soldat chez lui disant qu’il n’estoit pas obligé de loger soldat et que sa quallité l’exemptoit ». Il alla jusqu’à frapper « ledict consul le menassant de le voulloir tuer et qu’il menasse toujours de le faire » s’il devait à nouveau loger des soldats. Il fut donc préconisé par le conseil de la communauté de soutenir le consul voire de « le descharge de la dicte charge pour ne courir risque de sa personne ».
Enfin, le conseil décida qu’il « seroit necessaire pour l’advantage de tous les habitants » de rétablir le « marché encien questant establi au lieu tous les jours de mardy affin que par ce moyen lesdicts habitants et commercants pourroient travailler pour gagner quelquechose. Et pour cest effet faudroict faire advertir les lieux circonvoisins que ledict marche se commencera le mardy que le conseil treuvera a propos ».
Le 24 février, les consuls « en consequence des pouvoirs donnes a eux par les precedentes delliberations concernant l’establissement de garde pour la concervation des fruicts (…) dudict Séderon et Gueisset ont treuve Anthoine Beauchamp qui cest offert de faire fonction de garde pour un an moyennant 40 livres avec les bans qui pourra acquerir ». Après délibérations, le conseil, accepta l’offre d’Anthoine Beauchamp « d’estre garde terre pour un an aux gages de 36 livres a condiction qu’il sera tenu de desnoncer les dellinquants qui auront endhomage les fruicts des habitants au greffe … et quant aux bans, ledict Beauchamp en aura les deux tiers. Et a l’esgard des chèvres, les consuls tacheront de treuver un garde a la meilheure condiction que faire se pourra auquel tous les habittans qui voudront entretenir des chevres seront tenus de les metre sous sa garde et payer le gardienage ».
Le 25 février, Anthoine Beauchamp prête serment entre les mains du Lieutenant de juge Jullien. Il « promet de soigneusement prendre garde a la concervation des fruicts semes et a semer durant la courante annee et jusques au premier de mars de l’annee prochaine 1702 comme aussi prendre garde que les bestiaux (…) n’ailhent pas paistre au devens de St Baudille ni que personne y couppe aucun bois sy ce n’est que de buisson ; d’autre part que les estrangers ne viennent avec leur trouppeau ni autres au bois de la combe du Met, que les fourniers ni ailhent pas prendre de boys pour chauffer le four ni le tuilhier y en faire prendre pour son four et finallement les habittans ni peurront faire aucune rames. Lhorsque ledict Beauchamp treuvera des dellinquants, savoir au devents de St Baudille pourra prendre comission au greffe pour constraindre chacung contreuvenant pour un escu (…) a l’esgard de la couppe du bois faira sa desnonce au greffe et en advertira les consuls (…) et pour ce qui est de la combe du Met gagera les estrangers quand il le pourra faire (…) et quand aux fourniers pourra saisir leurs bourriques pour les faire metre en sequestre pour estre executtes suivant les peynes que la communautte y a ci devant impose par les actes passes audicts fourniers ».
Le 2 mars, « dans la chambre du greffe de la communauté, a la requeste des Sieurs consuls pardevant Louis Jullien Lieutenant de juge dudict Séderon » est proposé de délibérer sur le choix d’un boucher « pour servir ceste communautte pour une annee a commancer au jour et feste de pasques prochaines pour raison de quoi se seroit presente Jacques Laurent Borel de Barret qui a ci devant servy audict Sederon pour boucher qui a offert de servir pendant ladicte annee a ladicte boucherie avec lequel a esté marchande le prix de la livre de chair de mouton, bœuf, brebis et toute chair de laict et ensuicte convenu ledict Borel quil promet de livrer la chair de mouton a 3 sols la livre, les brebis a 14 patas et le bœuf a 2 sols de bonne et nette chair … les leucades de mouttons et de brebis a raison de 3 sols le ventre et le sant pour une livre la teste et les peids une livre de chair de brebis, sans pouvoir livrer lesdictes testes, pieds ni leucades (… ) fournira de mesme viande en cas de passage de gens de guerre audict cas lui sera fourni un homme pour couterreller sa debicte et lui sera aussi fourni l’argent pour faire les achapts des bestiaux qui lui seront a ses fins necessaires ». Il est précisé par ailleurs que « pendant laquelle annee les habitans ne pourront vendre, debicter ni livrer aucune chair (…) sy ce n’est qu’aux jours des foires dudict lieu : celle de la Magdellene et de St Barnabet a peyne de confiscation pour la premiere fois et de dix livres d’amande aplicable la moitye a l’hospital dudict lieu » l’autre moitié de l’amende et des produits confisqués étant destinés au boucher.
Le 1er mai, le conseil de la communauté choisit Pierre Audibert « pour garde du bestailh » durant l’année.
Le 7 août, une imposition est levée pour payer « les deniers du Roi et du pays et autres deniers qu’il convient payer à Sisteron et ensuite les intherets des creanciers de la comunaute ».
Le 2 octobre, le conseil note qu’il est urgent de trouver de nouveaux fourniers car malgré les appels lancés à la population, personne ne s’est présenté « attendu que le terme des fourniers precedants a finy le jour de St Michel dernier ». Par ailleurs, Jacques Laurens Borel, boucher de la communauté, se plaint que « plusieurs habitans s’ingerent de tuer et debicter publiquement brebis et chèvres » ce qui est préjudiciable à son activité et il demande au conseil de le décharger de sa fonction si rien n’est fait contre les contrevenants.
« Surquoy ledict conseil a dellibere et charge les consuls de chercher dans le lieu ou aux voisinages des personnes pour occuper a la charge de fourniers a la meilheure condition que faire se pourra (…) Quand a la proposition concernant le boucher ledict conseil a dellibere de soubtenir le boucher et affin de faire cesser les contrevantions ledict conseil a nomme et comis [ ?] lequel avec les officiers de justice pourront se saisir de la chair en contrevantion pour la faire confisquer et poursuivre les dellinquans. »
Le conseil a aussi « bailher a André et Jean ? masson de repparer le repos de la fontaine a sime du pré de la cour pour 3 livres et fournissant par eux la chaux, sable et pierre ».
Le 16 octobre, les consuls ont enfin trouvé les nouveaux fourniers « appres plusieurs cries faictes par tous les lieux et carreffour dudict Sederon… Blaise Arron et Anthoine Lambert ont este derniers enchérisseurs sur le pied de 5 charges avoine ». Leur proposition est acceptée et ils sont donc les nouveaux fourniers « durant une annee qui a commence le jour de la St Michel dernier et finira semblable jour de l’annee 1702 … et promettent de bien et deubement tenir de bois a suffisance pour cuire et bien apprester le pain que les habitants fairont cuire au four et quil prendront leur droict de fournage du pain a raison de soixante pour un (…) »
Le 26 décembre, les nouveaux consuls sont élus : Jean Louis Reinaud et Jean Mourier. Les anciens consuls de l’année 1701 Estienne Jullien et Charles Bonnefoy sont nommés estimateurs « comme est acouttume ». De plus, le « conseil a nome et elleu » Dominique Bonnefoy et Joseph Reinaud pour « hodicteurs de comptes durant ladicte annee 1702 ». Quand à la charge de trésorier, celle-ci est mise à l’enchère « pour recevoir celluy quil en fera la condiction meilleure des aujourd’huy ».
Enfin, il est rappelé qu’il est interdit « aux habitants dudict Séderon et a toutes autres personnes de mener aucun bestail audict devans de St Baudille ny dy couper aucun bois a paine de dix livres damande (…) que les habitants aussy ne pourront couper ny prendre aucune rame dans le bois de la combe daumet a paine de dix livres pour la premiere fois et en cas de residive a la confisquation du bestailh ». Par ailleurs, l’assemblée précise que « les revandeurs du pain et du vin ne pourront revandre quaporpotion du cous et prix courant des telles danrees et suivant le tarif que les consuls et desputes de ladicte communautte en feront a paine de confisquation des danrees en vante appliquable aux pauvres sur le champ et finallemant qu il soit deffandu aux habitans de tenir aucune chaivre que par l attache dans son propre fonds a paine de confisquation ».
Ainsi se termine notre petite incursion à Séderon durant l’année 1701. Peu à peu, nous découvrons les coutumes, les modes de vie et les préoccupations des Séderonnaises et des Séderonnais. Mais le voyage ne fait que commencer et gageons qu’il nous réserve encore bien des surprises…
Dans nos autres bulletins de l’Essaillon :
– Les petits évènements qui ont ponctué la vie de nos ancêtres en 1700 –
– Les petits évènements qui ont ponctué la vie de nos ancêtres en 1702 –
– Les petits évènements qui ont ponctué la vie de nos ancêtres en 1703 –
– Références -
- Registres paroissiaux de Séderon, Mairie de Séderon.
- Registre des délibérations consulaires, Archives Départementales de la Drôme, (cote 2E14187).
A partir du XIIème siècle, les villes et villages du Royaume s’émancipèrent peu à peu du pouvoir seigneurial. Reconnues par toutes les coutumes provinciales et locales ainsi que par les instances royales, ces communautés reposaient alors sur l’assemblée villageoise composée des chefs de famille. Cette assemblée, face à la complexification de la gestion communale, dut se structurer pour établir un bureau chargé de l’administration communale. C’est ainsi que l’on vit apparaître les représentants des ces communautés que l’on appelait consuls en Provence. Elus pour un an par l’assemblée de leur village, ils étaient en général au nombre de deux avec les mêmes pouvoirs et attributions. Ils étaient chargés de diverses tâches et missions : organiser la police, les mises a l’enchère des charges de bouchers, fourniers, bergers communaux, veiller aux intérêts et à la sécurité de la communauté, assurer l’entretien de la voirie et l’assistance aux pauvres… Les consuls pouvaient être de simples paysans propriétaires, des artisans ou des notables locaux. L’assemblée se réunissait plusieurs fois par an en fonction des sujets à traiter et bien souvent avec la permission du représentant du seigneur. Les consuls présidaient le conseil et étaient assistés d’un trésorier chargé de percevoir les impôts, d’auditeurs des comptes qui vérifiaient la bonne gestion de la communauté et d’estimateurs qui avaient la tâche de répartir les impôts sur les habitants. Ces assemblées donnaient lieu à des procès verbaux consignés sur des registres par le greffier qui bien souvent était le notaire du lieu. Toutes les localités n’ont pas la chance d’avoir ces précieux registres. En ce qui concerne Séderon, nous avons les délibérations allant de 1611 à 1642 et de 1674 à 1712 avec quelques lacunes. Les registres antérieurs à 1611, ceux de 1643 à 1673 et de 1713 à 1789 ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Peut-être ont-ils été détruits ou perdus. Si toutefois, vous trouviez un de ces registres lors d’un vide-grenier ou autres brocantes, n’hésitez surtout pas à nous en faire part. Leur valeur monétaire reste bien symbolique comparée à leur intérêt historique capital pour mieux connaître l’histoire de notre cher village… |