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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Les thermes de Montbrun-les-Bains
Article mis en ligne le 1er juin 2018
dernière modification le 31 décembre 2019

par ANDRIANT Sandy-Pascal

1° partie : Historique

Historique de l’exploitation

L’activité thermale à Montbrun-les-Bains a une longue histoire… D’après l’étude du Docteur Henri Lazare (Lazare, 1876) « les eaux thermales étaient connues bien avant l’ère chrétienne », et « doute, par conséquent, que les Romains qui ont laissé dans le pays de nombreuses traces de leur occupation, aient usé de ces eaux ». La première étude chimique des eaux de Montbrun-les-Bains date de 1821 : le docteur Coudray soutient le 17 août 1821 sa thèse intitulée « Étude sur les eaux minérales de Montbrun-les-Bains » devant l’Académie de Médecine de Montpellier.

Les premiers bains de Montbrun-les-Bains sont édifiés au XVIIe siècle, et fonctionneront jusqu’en 1860 avec l’eau de la source « Plâtrières ». Ils proposent entre 10 et 20 cabines de bains et douches. Suite au rapport favorable de l’Académie Impériale de Médecine du 12 janvier 1858 « sujet des eaux sulfureuses de Montbrun », et à l’avis favorable du Conseil Général des Mines du 1er avril 1859, l’Arrêté Ministériel du 12 mai 1859 accorde « ’autorisation d’exploiter pour usage médical et livraison au public » les deux sources minérales « Plâtrières » et « Rochers ». En octobre de cette même année, M. Sollier, architecte à Apt, forma la société « ’exploitation générale des eaux minérales de Montbrun – Sollier et Cie », en acquérant les deux sources et les bains, alors possessions des frères Reynaud, ainsi que des terrains alentour.

Le véritable essor du thermalisme à Montbrun-les-Bains commence un peu plus tard, au Second Empire, quand le marquis de Suarez d’Aulan, écuyer de Napoléon III, fait édifier en 1864 un « éritable » établissement thermal, avec cabines, salles de douches, salles d’inhalation, pulvérisateurs, etc.

Source des Roches
Salle d’inhalation

Le Marquis s’inspire du modèle de Baden-Baden pour édifier son Hôtel des Bains.

Baden-Baden
Montbrun-les-Bains
Napoléon III et l’Impératrice Eugénie
© Essaillon

La station semblait alors promise à un bel avenir avec l’inauguration prévue par l’Impératrice Eugénie, mais la guerre de 1870 et la chute du second Empire modifient le cours de son destin (Popoff. 1996).

Pour l’occasion, le Marquis avait ajouté un Hôtel et un Casino à son établissement thermal.

L’établissement thermal sera fermé en 1913 pour causes circonstancielles : la Première Guerre Mondiale entraînera, entre autres événements, la désertion des cures thermales…

 ° 

Les Médecins-Inspecteurs dans la tourmente électorale

Un des premiers médecins-inspecteurs en exercice, le Dr BERNARD, produit dès 1862 une plaquette double-page, dans laquelle il vante les nombreux mérites des Eaux de Montbrun. Le contenu de sa plaquette intitulée « Des Eaux MinéralES de Montbrun (Drôme) et de leur Action au point de vue Physiologique et Pathologique » sera reproduit dans la seconde partie.

Ce Dr BERNARD, manifestement très impliqué dans les soins aux curistes et la promotion des Eaux de Montbrun, renvoie dos à dos les écoles hippocratique et pyrrhonienne pour se tourner vers l’école naissante : l’homéopathie théorisée par le Dr Hahnemann en 1810.

Il exercera régulièrement à la satisfaction de tous, jusqu’à ce que le Marquis d’Aulan n’appuie très fortement et soudainement la candidature d’un certain Dr VIDAL.

Mais revenons un peu sur la particularité du ce canton.

  • Au milieu du XIXe siècle, Séderon (chef-lieu de canton) comptait 700 habitants tandis qu’avec ses nombreux commerçants et artisans Montbrun en dénombrait 1300.
  • Le canton de Séderon faisait partie de la 3e circonscription de la Drôme qui regroupe les arrondissement de Die et de Nyons. Le canton a 3 élus qui lui sont propres :
    – deux conseillers d’arrondissement qui sont élus pour six ans et siègent au Conseil d’arrondissement de Nyons ;

 un conseiller général élu pour neuf ans qui siège au Conseil général de la Drôme à Valence. Les trois conseillers sont élus au suffrage universel.

  • Seul grand propriétaire du canton, le Marquis d’Aulan – dont le fils aîné, Arthur (1833-1915) avait épousé la petite-fille de François de Larderel, père de la géothermie – avait acquis les sources thermales de Montbrun et y poursuivait d’importants travaux d’aménagement.
    (d’après GONTARD)

Le 19 juin 1864, le Marquis d’Aulan est élu conseiller général du canton. Le même jour Reynaud-Lacroze, notaire de Séderon, est élu conseiller d’arrondissement ainsi que le Docteur Bernard, la semaine suivante, à l’issue du 2e tour. Notons au passage que ce docteur est parallèlement médecin-inspecteur des Thermes et qu’il signe le rapport d’activité de l’année 1864 ci-dessus.

Mis à part les retards dans l’envoi des rapports annuels d’activité des thermes, souvent rappelés par le Sous-préfet, l’administration ne signale aucun défaut majeur concernant le Dr Bernard.

Mais la défaite de Sedan en 1870 et la capitulation de Napoléon III vont changer les influences politiques.

En 1875, le Préfet de la Drôme profite de sa demande de nomination d’un médecin-inspecteur titulaire auprès du Ministre pour vanter l’implication du Comte d’Aulan dans le projet.

« […] L’établissement thermal de Montbrun, qui dans l’origine, n’avait qu’une médiocre importance voit sa prospérité se développer chaque année grâce aux améliorations considérables que son / propriétaire, Mr le Comte d’Aulan, ne cesse d’y apporter.[…] » (18/03/1875. AD 26)

Deux ans plus tard, c’est M. le Comte d’Aulan en personne qui propose la candidature du Dr au Préfet.

Paris 8 mai 1877

à Mr Duvernay, secrétaire général de la Préfecture

de la Drôme, remplissant les fonctions de Préfet,

Monsieur le secrétaire Général

J’ai l’honneur d’adresser par le même courrier à Monsieur le Préfet, la demande de Mr le Docteur Vidal, à l’effet d’être nommé médecin-inspecteur de mon établissement de Montbrun les Bains.

D’après ce que m’écrit de lui un célèbre praticien qui le patronne, Mr le Dr Chauffard, je me décide à le présenter à l’administration préfectorale, ainsi que je l’ai fait vis à vis du Ministère de l’Agriculture et du Commerce.

Je désire vivement qu’aucun obstacle ne vienne entraver sa prochaine nomination et je vous serai reconnaissant de veiller à ce que la pièce en question ci-jointe, soit renvoyée au Ministère de l’Agriculture et du Commerce dans le plus bref délai et accompagnée d’un avis favorable de la Préfecture.

Il serait peut-être opportun de mentionner, pour éviter un échange de correspondance ultérieur entre la Préfecture et le Ministère, que la demande ci-incluse faite par le Docteur Vidal, est la seule qui vous ait été adressée, car on ne peut considérer comme sérieuse, celle qui a été formulée par Mr de Villelongue, médecin à Lachau et à laquelle Monsieur le Préfet a bien voulu ne pas donner de suite, comme j’avais l’honneur de le lui demander.

Veuillez bien, je vous prie Monsieur, donner vos soins à la prompte expédition de cette affaire, en ce qui concerne la Préfecture, car la saison balnéaire commence le 1° juin prochain et il serait préférable que Mr le Docteur Vidal occupât d’une façon régulière dès le début, la position qu’il demande.

J’ai l’honneur de vous offrir Monsieur le secrétaire général la nouvelle assurance de ma considération distinguée.

Mr d’Aulan.

51 rue de Varenne

Paris

Avec un tel appui, la décision ministérielle ne tarde pas.

Paris 7 juin 1877
Ministère
de l’Agriculture
et du Commerce

Monsieur le Préfet, j’ai
l’honneur de vous informer que, par arrêté
de ce jour, j’ai nommé Mr le Dr Vidal
(Joseph) inspecteur de l’établissement
thermal à Montbrun, en remplacement
de Mr le Dr Flavart, démissionnaire.

J’invite Mr Vidal à se mettre le plus tôt
possible à votre disposition, afin que vous
puissiez procéder à son installation

Recevez, Monsieur le Préfet,
l’assurance de ma considération la plus
distinguée.

Lors de sa nomination en 1877, il n’a même pas 28 ans. La fiche signalétique qu’il remplit indique qu’il n’a eu son diplôme que le 29 janvier 1877. On comprend mieux qu’il se soit prévalu de la recommandation du Dr CHAUFFARD.

Cependant tous les rapports le concernant sont élogieux.

M. le Docteur Vidal, qui est un homme très instruit et très intelligent, a pris à cœur son service et a su, par son caractère affable et obligeant, s’attirer l’estime et les sympathies des baigneurs qui fréquentent l’établissement thermal de Montbrun.

A Nyons, le 19 novembre1880.
Le Sous-Préfet de Nyons

Il est par ailleurs très impliqué dans la vie de son village natal aveyronnais dont il est conseiller municipal. Camboulazet est à mi-chemin entre Rodez et Albi. Il quitte donc Montbrun chaque année, sitôt la saison terminée. Ce qui occasionne systématiquement des réclamations préfectorales à propos du retard dans l’envoi de son rapport annuel qui divague entre le Maire, le Directeur des Bains et le Comte d’Aulan…

VIDAL Jacques

† 27-04-1849

BAUTHELON Marie
VIDAL François Joseph

o 20-12-1849 à Camboulazet (12)

4E 41-4 NMD 1849

On apprend par une enquête du Sous-préfet, suite à une réclamation du médecin, que « M. Vidal, médecin titulaire, n’a pas occupé, je ne sais pourquoi, son poste, pendant les saisons de 1882 et 1883. » L’établissement a donc fait appel, pour la saison 1884, à l’officier de santé local, le Dr Bernard [à nouveau !] auquel a été attribué le cabinet de consultation, objet de la réclamation de Vidal.

La saison 1884 commence bien mal et se termine encore moins bien puisque Vidal ne la termine pas.

Le 23 juillet 1885, le Préfet le considère donc comme démissionnaire et envisage la candidature du Dr Bernard.

Coup de théâtre le 12 septembre 1885. M. d’Aulan demande la réintégration du Dr Vidal.

L’épilogue du 23 septembre donne toute la mesure de l’appui du Marquis à ce jeune médecin frais émoulu de la faculté.

Valence, le 23 7bre 1885

M. le Ministre du Commerce,

Je reçois et je m’empresse de vous transmettre sous ce pli les lettres par lesquelles M. le Sous-préfet de Nyons confirme les renseignements que je vous ai déjà donnés au sujet de M. le Docteur Vidal, Médecin-Inspecteur de l’établissement thermal de Montbrun les Bains.

M. Vidal s’est rendu cette année à Montbrun afin de faire de la propagande en faveur de M.d’Aulan, propriétaire de l’établissement thermal qui est candidat aux élections législatives.

Dans ces conditions, je crois devoir vous prier M. le Ministre, de vouloir bien adopter mes propositions du 1° juillet dernier tendant au remplacement de M. le Docteur Vidal, médecin inspecteur des eaux minérales de Montbrun par M. le Docteur Bernard.

Il serait à désirer que cette annonce fut prise avant les élections du 11 octobre prochain.

(Lettre du Préfet de la Drôme au Ministre. AD 26)

On comprend mieux dans de telles conditions que Vidal soit définitivement retourné en Aveyron !

Sandy-Pascal ANDRIANT

A suivre : « 2° partie : Les affections et les curistes. »

Sources :

  • Dossier provisoirement coté 05 M 185 des Archives Départementales de la Drôme
  • (Extraits de Ressource en eau thermale de la station de Montbrun-les-Bains. Rapport final. BRGM/RP-53084-FR Décembre 2004. pp. 36-38)
  • Le comportement politique dans les Baronnies Drômoises de 1864 à 1914.
    Maurice Gontard. Publications de l’Essaillon. Séderon, 2007
  • Tableau généalogique de la famille Harouard de Suarez d’Aulan : jean.gallian.free.fr
  • Études Drômoises. N° 42. Juin 2010.
  • Wikipedia