Anne-Marie Barras nous a raconté par quel heureux concours de circonstances les archives du félibre de Séderon sont parvenues jusqu’à nous. L’inventaire des documents qu’elles contiennent est dressé ci-dessous. Les lettres de Frédéric Mistral en sont les pièces les plus précieuses. Il y a aussi des photos qui permettent de donner un visage à Bonnefoy-Debaïs.
Ces documents terminent en beauté les recherches menées depuis plusieurs années. Je dis « terminent » car depuis la parution du livre en 2013, nous n’avons jamais cessé de parcourir les bibliothèques pour tenter de découvrir de nouveaux documents concernant notre poète. La recherche avait été fructueuse, les nouveaux matériaux étaient prêts et mis en forme pour la sortie d’un second volume dont j’avais même fait l’annonce (Trepoun n°57, p. 43).
L’intégration des informations apportées par les archives personnelles de Bonnefoy-Debaïs a retardé la parution du livre qui est programmée maintenant pour l’été prochain.
Tous ceux qui ont aimé le poète, le narrateur des scènes de la vie séderonnaise, y trouveront de nouvelles raisons d’émerveillement. Émerveillement double pour ceux qui, n’ayant pas été totalement privés de l’apprentissage du provençal, auront ainsi l’occasion de lire la langue originelle de nos ancêtres.
Inventaire des archives
Photos
- Alfred Bonnefoy-Debaïs – seul, tête nue, avec manteau
- Alfred Bonnefoy-Debaïs et sa famille
- Alfred Bonnefoy-Debaïs (« avec Mireille » – note Mme Castell [1])
- Alfred Bonnefoy-Debaïs, Joseph Loubet et sa famille
- Octave Bonnefoy-Debaïs, enfant
- Mireille (Hélène) Bonnefoy-Debaïs et son fiancé Georges Faron
Documents manuscrits de Bonnefoy-Debaïs
- Ceci est mon testament – 3 décembre 1909 – 1 feuille recto verso
- Ceci est mon testament – 3 décembre 1909 – 1 feuille recto, signée Marie Catherine Nickel, femme Bonnefoy-Debaïs
- lettre à Georges Faron – Alfortville le 5 novembre 1918 – mon brave et vaillant ami…
- lettre à Georges Faron – Alfortville le 11 novembre 1918 – le beau jour de la saint Martin…
Documents reçus de :
Bonnet (Baptiste)
- carte postale-photo de la statue de Bonnet (œuvre de J.P. Gras) portant en dédicace « 12 d’avoust 1913… Au pouèto, à l’ami, au fraire Bonafe Debais – Batisto Bonnet »
- Un exemplaire du livre de Bonnet « vie d’enfant », avec la dédicace :
A Bonofé-Debaïs
moun brave fraire pacan e moun bon ami doune aquest libre clafi de uni remèmbra d’enfanci. De tout cor. Batisto Bonnet |
Faure (Maurice)
- carte visite à en-tête du Sénat : Paris, 14 de janv. 1914 – Sièu un pau tardiè, moun bon coumpatrioto droumen e vièi ami felibre…
Gardet (Jacques)
- carte de visite sans date :… vos vers sont charmants…
Loubet (Joseph)
- photo 4, avec au dos la dédicace « souvenenço dòu maset de l’Armenian de Magalouno (setèmbre 1913) – au beu pouèto e car ami Bonofe-Debais » et la signature « Jòusè Loubet (e soun oustalado) »
- 6 pages dactylographiées au recto, intitulées « obsèques de Bonnefoy de Baïs » ; en première page, mention manuscrite : discours au nom des anciens membres du Félibrige de Paris et des amis et admirateurs du poète – 18 Xbre 1919.
Mistral (Frédéric)
- enveloppe contenant 18 lettres ou cartes, d’octobre 1889 à janvier 1914.
Souvenirs de
Fréderi Mistral à conserver avec amour pour Mireille |
Suarez d’Aulan (le Comte de)
- carte de visite sans date : remerciements et bons souhaits
Le Père Procureur du Couvent de la Grande Chartreuse
- carte de visite sans date ni écriture
Objets
Médaille : Jo Flourau de Paris – joio ; gravée BONNEFOY DEBAÏS – 1891
Diplôme : Escolo Moundino Toulouse – medalho d’argent as Jocs Flourals de Mantenenço –… jun de 1902
Médaille – avers : ville de Toulouse / revers : Escolo Moundino Jocs Flourals
La Genèse du Vot de Sederoun
Les lettres de Mistral sont les pièces les plus précieuses des archives. Car, complétant la correspondance de Bonnefoy-Debaïs conservée au Musée Mistral, elles donnent un éclairage précis sur le dialogue entre le modeste écrivain, toujours étonné de ce qui lui arrive, et le maître de Maillane. On peut ainsi reconstituer sommairement la genèse du Vot de Sederoun, que nous avons eu le plaisir de publier dans le Trepoun, 115 ans après l’édition originale !
En décembre 1894, Mistral est à Paris. Bonnefoy en profite pour lui rendre visite. Il a, dans ses papiers ou peut-être seulement dans la tête, une esquisse de son Vot de Sederoun. A la lecture de la première lettre, on comprend qu’il en parle avec Mistral, que celui-ci l’encourage, lui donnant même un délai pour finir son travail.
Voilà ce que Bonnefoy-D. écrit le 24 juillet 1895 à Mistral : « Car Mestre, l’an passa sus la fin de dessembre un jour que nevavo… Es aquéu jour, Mestre, que me vouguerias bèn reçaupre en voste hotel carriero drudo-panso, mounte me faguerias asseta aqui contre vous e me charrerias uno passado… Me diguerias piei de vous manda ‘Lou vot de Sédéroun’ per lou mes d’abriéu, mai lou quatre d’aquéu béu mes Santo Estello nous adugue un pichot felibrihoun qu’es poulit coumo-un sóu e boulegua coumo l’aigo de la Durenço, em’aco adiéu !
Lou Vot, lou virére de caire per canta à moun drouloun, lou bressa e lou poutoneja ; se vesias, mestre, coumo fai déjà riseto à voste retra l’embrassarias sus li dos gauto. Adounc vous farai tène moun ‘Vot’ un pau pus tard, sachent subre tout qu’es pas li manuscrit que vous dèvon manca, e miei gaubeja que lou miéu. » [Cher Maître, l’an passé, un jour de fin décembre alors qu’il neigeait… C’est ce jour-là, Maître, que vous aviez bien voulu me recevoir dans votre hôtel de la rue Richepanse, me faire asseoir à côté de vous et me parler longtemps. Vous m’aviez dit aussi de vous envoyer ‘Lou vot de Sédéroun’ pour le mois d’avril. Mais le 4 de ce beau mois Sainte Estelle nous a envoyé un petit félibre, joli comme un sou neuf et remuant comme l’eau de la Durance. Avec ça, adieu Lou Vot, je l’ai mis de côté pour pouvoir chanter à mon fiston, le bercer et l’embrasser ; si vous voyiez, Maître, comme il fait déjà risette à votre portrait, vous l’embrasseriez sur les deux joues. Donc je vous enverrai mon Vot un peu plus tard, sachant bien que les manuscrits ne doivent pas vous manquer, et des mieux arrangés que le mien.]
Octave, le second fils d’Alfred, vient en effet de naître le 4 avril 1895 ! Il faudra attendre deux ans, et que le petit félibre ait un peu grandi pour que Bonnefoy reprenne son texte et puisse enfin écrire à Mistral le 15 mai 1897 : « vous mande moun Vot de Sederoun qu’a retra tant bèn qu’a pouscu. Se vous agrado, e que vouguès bèn l’empremi dins vostro Aiòli, lou baile journau, me sara un grand ounour… » [je vous envoie mon Vot de Sederoun, que j’ai écrit du mieux que j’ai pu. S’il vous plaît et si vous voulez bien l’imprimer dans votre Aiòli, le maître-journal, ça me sera un grand honneur]
Mistral répond dès le 26 mai. Il est enthousiaste : « Lou Vot de Sederoun es mai que poulit, mai que barbelant de vido. Pareira dins l’Aiòli dóu 7 de jun. Poudès espedi la seguido, e tant longo que voudrés… » [Le Vot de Sederoun est superbe, tout palpitant de vie. Il paraîtra dans l’Aiòli du 7 juin. Vous pouvez expédier la suite, et elle peut être aussi longue que vous voudrez…].
Bonnefoy-Debaïs, le 2 juin : « Mestre, Vosto letro m’a coumoura lou cor de joio e tenès, sabè pas que vous dire se noun que moun pau de gaubi per nosto lengo lou dève a vous e ren qu’à vous… vous fara tène la seguido à la fin de la semano… » [Maître, votre lettre m’a comblé de joie et tenez, je ne sais plus que vous dire sinon que mon peu de talent dans notre langue, c’est à vous que je le dois et rien qu’à vous… je vous ferai parvenir la suite à la fin de la semaine prochaine].
Le 11 juin : « Vaqui la seguido doù Vot de Sederoun, ai fa ço qu’ai pouscut, mai noun sabe se aurai tengu la rego. Se noun vous agrado vous genas pas per me lou retourna, lou refarai… » [Voici la suite du Vot de Sederoun, j’ai fait de mon mieux sans savoir si j’ai gardé la bonne ligne. Si elle ne vous satisfait pas, ne vous gênez pas pour me la retourner, je la referai]
Mistral finit l’échange de courrier le 13 juin : « Ai reçaupu la fin dou Vot de Sederoun que, veritablamen, es d’un bout à l’autre plen de vido e de voio. Li cantaire soun touti dous abord toucant. Soulamen coume la copie es arribado tard, poudrié se faire que noun intrèssa dins lou n° dou 17. Sara toujour dins lou n° dou 27…
Que brave drole sias ! e que doumagi que fuguès tant liuen dou Ventour »
[J’ai reçu la fin du Vot de Sederoun qui, vraiment, est d’un bout à l’autre plein de vie et d’entrain. Les chanteurs sont tous deux extrêmement touchants. Seulement, comme la copie est arrivée tardivement, il se pourrait qu’elle ne soit pas intégrée dans le n° du 17. Elle le sera au moins dans celui du 27… Quel homme agréable vous êtes ! et quel dommage que vous soyez si loin du Ventoux].
On sait que Lou Vot de Sederoun fut publié en 4 parties d’inégales longueurs, parues dans les nos 232 (dilun 7 de jun de 1897), 233 (dijòu 17 de jun), 234 (dimenche 27 de jun) et 235 (dimecre 7 de juliet 1897) de L’Aiòli.
Au moment où je pense avoir terminé ce petit récapitulatif, arrive une belle nouvelle : ça y est, j’ai rendez-vous avec le possesseur du manuscrit ! Nous nous rencontrerons à Beaucaire.
Le manuscrit est composé de feuillets volants, sur lesquels les corrections de Mistral sont facilement reconnaissables. Elles concernent essentiellement les accents : c’est ainsi que le Sédéroun de Bonnefoy devient Sederoun pour Mistral.
Il y a 17 feuillets [2], le 17e terminé par « a segui, A. Bonofé Debaïs ». Le texte s’arrête avec la fin de la description du combat de lutte qui s’est déroulé sur le pré, ce qui correspond à la partie publiée dans l’Aiòli du 7 juin 1897 – et donc au premier envoi fait par Bonnefoy.
Qu’est devenue la suite ? Essayons de reconstituer les événements : lorsque Mistral avait fini les corrections des textes qu’il voulait voir imprimer dans son journal, il envoyait les manuscrits au directeur, Folco de Baroncelli-Javon. Après leur saisie par l’imprimeur, Baroncelli devait les récupérer et les stocker au siège du journal, Palais du Roure à Avignon.
A la mort de Baroncelli, ses filles héritèrent de nombreuses archives. Deux d’entre elles les déposèrent au Palais du Roure, mais la troisième dispersa son lot. On peut penser que les autres parties du manuscrit de Bonnefoy-Debaïs furent également vendues et sont désormais dans des collections privées.
Le visage du Poète
Parmi les photos trouvées dans ses archives, je vous en propose deux – mettre enfin un visage sur une personne, c’est la faire entrer dans le cercle des amis.
Pour cette seconde photo, Alice Castell [1] indique simplement : « peut-être Mireille sur les genoux de sa maman ».
A partir de là, risquons-nous :
- assis : Alfred et sa femme Catherine. Elle tient leur fille Mireille sur ses genoux ; Mireille (Hélène pour l’Etat-Civil) étant née en 1900, faites votre estimation pour la date de la photo – 1903-1904 ?]
- en blouse noire, debout entre ses parents, Octave – né en 1895, il aurait alors 8 ans
- debout derrière, avec casquette de sportman (si l’on observe bien, on aperçoit un bout du cintre de sa bicyclette, et même un morceau de la roue), Charles, le fils aîné – né en 1886, il a 18 ans. Au dernier plan, l’autre personnage peut être un voisin, ou un ami de Charles qui aurait caché son vélo en attendant le départ de la promenade…