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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

CAÏFFA : Quand un objet raconte l’Histoire
Article mis en ligne le 13 décembre 2018
dernière modification le 23 février 2020

par ANDRIANT Hélène
© Essaillon

Au fil de l’existence, il nous arrive à tous de vider une maison familiale, décès, vente… Notre regard sur les objets si souvent utilisés, manipulés, lavés change alors.

Raison sentimentale, pratique (voyons : à donner, à jeter, à garder  ?) Là nous les voyons vraiment, ces objets fondus depuis tant d’années dans notre environnement : nous les retournons, les manipulons, les découvrons d’un œil neuf.

Et c’est ainsi que récemment ma curiosité a été éveillée : sur la tranche de cette boîte métallique «  Au Planteur de Caïffa  », sous ces assiettes «  Au Planteur de Caïffa  ». Idem sous ce sucrier, sous ce bol, sur cette bouteille…

A notre époque d’internet, cette curiosité est vite assouvie : non seulement Wikipedia, mais encore tous les sites nostalgiques régionaux, des «  Vents du Morvan  » aux «  Métiers oubliés  », en passant par «  Terres d’Eygues  », nous relatent en gros la même chose que je vais résumer.

«  Au Planteur de Caïffa  »

Jusqu’à la 2e Guerre Mondiale des marchands ambulants nommés familièrement les “Caïffa” ont sillonné toute la campagne française. Avec leur petite charrette tirée par des chiens, un cheval ou un âne, puis plus tard par des véhicules motorisés, ils ont représenté la maison «  Au Planteur de Caïffa  » vendant café, biscuits, poivre, conserves, et tous articles de mercerie, épicerie, parfumerie. La maison-mère a été fondée par M. et Mme Michel Cahen en 1890 dans le XIXe arrondissement de Paris.

En 1909, une usine de conditionnement des produits est construite à Malakoff (92, au S-O de Paris). On peut parler d’une réussite commerciale absolue : de la maison-mère partent des directeurs régionaux qui – eux-mêmes – surveillent les succursales (plus de 400), lesquelles gèrent un grand nombre de petits colporteurs qui assurent les tournées dans les campagnes. Un vrai système pyramidal  !

Notre colporteur s’approvisionne à la succursale, qui elle-même reçoit la marchandise par voiture d’abord puis, dès qu’elle existe, à la gare la plus proche.

Il reçoit un charreton marqué «  Au Planteur de Caïffa  », une tenue grise pour l’hiver, et verte pour l’été, avec les deux casquettes correspondantes  !

Le réseau de distribution est extrêmement dense, et quadrille toute la France, surtout rurale.

En 1910 la Société possède son harmonie (75 musiciens), ses logements pour les employés, ses colonies de vacances pour leurs enfants, une mutuelle. Elle diffuse des cartes postales.

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Un journal mensuel «  Le Caïffa  » à partir de 1920 ne manque pas de signaler les bonnes affaires à venir… et les primes.

La Société a en effet créé un système de timbres de fidélité que les ménagères collent dans un carnet, et dont le nombre détermine un cadeau choisi sur catalogue.

D’où ces boîtes, assiettes, garnitures de toilette, fer à repasser, moulin à café et même cristallerie, qui restent au fond de nos placards…

Lors de la 2e Guerre Mondiale, Albert Cahen, fils du fondateur, victime des lois anti-juives, ne peut conserver la direction. Il doit la céder à son adjoint M. Couture.

La Société «  Au Planteur de Caïffa  » périclite, peut-être à cause de choix commerciaux moins judicieux.

Elle fusionne en 1962 avec la «  Maison du Café  » qui fusionne elle-même en 1977 avec «  Sara Lee Corporation  », un des trois plus grands torréfacteurs du monde.

Le nom «  Au Planteur de Caïffa  » est déposé le 29 janvier 1991 auprès de l’INPI par «  Sara Lee Coffee and Tea  », afin que nul ne puisse s’en prévaloir…

Bien sûr, à Séderon comme ailleurs, nous avons nos “Caïffa”.

Grâce à l’aide de Lucien Ghisalberti qui a bien voulu nous prêter le cahier de comptes de Monsieur Roux, nous avons une idée assez précise de son activité.

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Monsieur Henri Roux, dépendant de la succursale de Vaison (dirigée par M. Beysson) cumulait, comme beaucoup de “Caïffa” deux emplois. Il était charron au quartier de l’Essaillon, ce qui lui permettait de réparer un essieu de charrette… et de livrer les provisions de café et d’épicerie pour la maisonnée.

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Chaque colporteur avait sa tournée, définie par contrat avec son dépositaire. Celle d’Henri Roux lui a paru trop peu rémunérée, comme en témoigne ce courrier à M. Beysson (brouillon établi dans son livre de compte, livre-à-tout : affaires personnelles, courriers, comptes de charron et de Caïffa, le tout noté pour mémoire, donc en vrac…)

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Séderon, le 24 février 1913

Monsieur Beysson,

En réponse à votre lettre sur laquelle vous me demandez si je ne reprendrais la tournée aux conditions ci-après : marche 3 jours par semaine, je vous dirai que 3 jours par semaine, cela ne ferait guère mon affaire. Car pour faire 2 travaux à la fois, on n’en fait point de bien.

Monsieur Beysson, à le faire dans les conditions d’avant, j’accepterai en portant une révision dans les tournées.On pourrait arriver à une très bonne recette ce qui ferait qu’avec pas plus de frais, on arriverait à une recette aussi élevée que n’importe quel autre de vos livreurs.

Et je vous proposerai plutôt si par exemple une semaine on arrivait à une recette inférieure, compter que 5 jours de marche, mais chose qui n’arriverait pas si vous pouvez tenir de marchandise.

Justement j’ai encore la bête que j’avais pour ce travail, elle est très bonne.

Si vous jugez à propos de me redonner le poste, vous pourrez croire sur toute ma volonté pour servir le mieux les intérêts de la maison.

Recevez…

Ensuite sa tournée s’établit comme suit, conforme (15 à 25 km par jour) à ce que j’ai pu voir des tournées de toutes les campagnes françaises (Auvergne, Morvan, Normandie…)

Lundi Montbrun
Mardi matin Barret-de-Lioure, village et fermes
Mardi soir Séderon village
Mercredi Hameau des Aumage
Mercredi soir Mévouillon, Pelleret et le Col
Jeudi Vers
Vendredi Eygalayes, Lachau
Samedi Les Omergues, Montfroc
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Çà et là, dans le cahier touffu où se mélangent ce qu’Henri Roux devait à la menuiserie, les journées de maçon qu’il paye, ce que doit faire son apprenti (?), une liste de clients en septembre 1914 :

Gay à Vers dit petit Aimé

Henri Jullien à Séderon

Payan à Vers

Cyprien Roux au Col

Latharis à Laboris

Ernest à Lachau

Armand à Lachau

Estellon à Barret

Signoret Hyppolite à Liouron (sic)

Guy Ephrem

Monge facteur

Denis Jullien

Constantin Laboris

Roman

David Bonnefoy

Roux Fernand…

De même, je ne crois pas trahir de secret de famille si je vous révèle que ce même mois de septembre 1914, chez Monge, facteur, on a acheté :

2 tablettes de chocolat
1 demi-livre de café
1 boîte de savon
1 boîte de pâté
1 boîte de macaroni…

La marge bénéficiaire est d’environ 10 % de son chiffre d’affaire, avec une guelte [1] de 2,5 % lorsque les tournées nécessitent un véhicule automobile par la suite. Ce n’est pas le cas d’Henri Roux.

Ce livre de comptes couvre la période de la 1e Guerre Mondiale, donc naturellement, j’ai épluché son Registre Matricule et vu qu’il a été réformé par la 2e Commission Spéciale le 10/04/1913 pour atrophie de l’épaule gauche et névrite. Ce qui est incroyable, vu la quantité de travail manuel fourni comme charron, le fait qu’il paye ses impôts en nature par des «  journées d’homme  » sur le réseau vicinal de Séderon…

Pour ceux à qui ces noms sont familiers.

Henri ROUX, fils d’Eugène et Marie PLAINDOUX,

né le 14/02/1885 à Mévouillon
marié avec Elisabeth PELLEGRIN, le 23/01/1913 à Séderon
décédé le 25/05/1919 à Séderon (de la grippe espagnole, sans doute)

Il a une fille le 09/09/1913, Lucienne Julie Germaine qui épouse Jean Marie Ferdinand MOTTET en 1945.
Sa veuve se remarie avec Justin ARNAUD, qui devient forgeron charron à sa place…

Avant lui, le “Caïffa” était Alphonse Joseph BORDEL.

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Acte de Mariage d’Alphonse BORDEL
Profession : livreur de la maison « Au Planteur de Caïffa »

BORDEL Alphonse Joseph Casimir, né 23/01/1888 à Mévouillon (Guillomin) de J-François et Elisabeth EMERA – marié le 24/02/1914 à Séderon avec PASCAL Rose Pauline Eugénie (née le 05/04/1891 à Séderon, au Rieu) fille de Marius Efraïm et SIGNORET Marie Virginie Madeleine. – Tué à l’ennemi le 08/10/1914 à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), caporal 54° bataillon de Chasseurs. Monument aux Morts de Séderon. (Transcription 19/10/1916, acte n° 12 du registre d’état civil)

Pour mémoire, le “Caïffa” du Buis était un certain Bonfils, sur la place du Marché. Le fils unique de Bonfils a eu un hôtel-restaurant à Buis où certains d’entre nous ont sûrement mangé…

Ces “Caïffa” ont donc été très présents dans notre environnement jusqu’à la 2e Guerre Mondiale… Pourtant lorsque j’en ai parlé autour de moi, deux fois sur trois la réponse a été : « Cela ne me dit rien  », et la troisième : «  Ça me dit vaguement quelque chose  ».

Sur internet, quelques sites nostalgiques, comme je l’ai dit précédemment, et selon les récits, des incohérences : «  Albert Cahen, importateur de café  »… «  Michel Cahen, fondateur du la société Au Planteur de Caïffa  »… «  famille de juifs alsaciens  »… «  famille de juifs lorrains  ».

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Et puis, fugitivement (car cela a été vendu en 2 heures  !) sur un site d’enchères, je suis tombée sur «  The illustrated London News  » de 1910 où j’ai trouvé cet article, heureusement photographié avant qu’il ne soit vendu :

M. Michel Cahen y est décrit comme un héros, un business man génial, dont la méthode est détaillée, «  le secret réside dans la simplicité et la perfection du système…  », dont le chiffre d’affaire est passé en 10 ans, de 273.373 £ivres sterling à 2.526.449 £. Je ne sais pas à quoi ça correspond, mais je sais à coup sûr que cela fait beaucoup d’argent, et surtout une croissance multipliée par 10  !

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Sur la carte ci-contre, on voit le maillage incroyable de son commerce…

Michel Cahen

Je suis donc partie à la recherche de Michel Cahen et j’ai rencontré une histoire du XXe siècle  !

A force de croiser des fichiers juifs, de trouver des homonymes à la pelle, j’ai pu – un peu – reconstituer son histoire.

Michel Cahen est né à Ennery (Moselle) le 04/02/1862. D’une famille nombreuse très pauvre, il s’exile à Paris pour trouver du travail. La légende – ou la vérité – nous dit qu’épicier rue Boulitte dans le XIVe, Michel Cahen a acheté à bas prix une cargaison de café mouillé, au Havre, dont personne ne voulait. Il l’a fait sécher, torréfier et conditionner pour le vendre en petits sacs de 125 g par des colporteurs.

De là, en rendant accessible cette denrée luxueuse, est partie l’idée des succursales et colporteurs, en y ajoutant épices, épicerie et mercerie.

L’historien Jean Lhomme dans «  La crise agricole à la fin du XIXe siècle en France. Essai d’interprétation économique et sociale.  » s’étend longuement sur la rencontre du monde agricole et du Caïffa.

Après nous avoir expliqué toutes les données économiques et l’incidence de la crise sur les structures sociales, il nous montre à quel point le monde agricole de cette époque (1880-1900) est isolé, sans moyen de transport. Ainsi pour lui, cela a été une idée de génie que «  le monde extérieur lui-même vienne trouver le paysan isolé dans son hameau : il s’offrait sous la forme humble et familière du “Planteur de Caïffa”, marchand de colifichets, de fil et d’aiguilles, sinon même… de café : et colporteur de nouvelles aussi.  »

(Persée vol 21 n° 4. 1970, pp 521-553)

En petite note de bas de page (en 1970), il nous explique : «  J’ai pu, en interrogeant mes étudiants, me convaincre qu’aucun d’eux ne connaissait l’existence du “Planteur de Caïffa”, figure cependant tout à fait représentative du monde des campagnes dans les années voisines de 1900. Preuve malheureusement bien certaine qu’il y avait là, référence à un monde qui semble avoir disparu.  »

(Op. cit.)

Ce qui est sûr, c’est que la rencontre d’un vrai besoin et d’un homme plein d’idées a généré beaucoup d’argent.

Michel Cahen s’est marié le 28/10/1890 avec Caroline Gross, à Paris XIVe. Et à partir de là, frères, beaux-frères, cousins, ont tous été directeurs régionaux ou “cadres” dans la société, et ont acheté de très belles demeures, comme nous le verrons ensuite.

«  Située à l’angle du Boulevard Montparnasse et de la rue Stanislas, bordé sur les deux autres côtés par la rue Péguy, l’immeuble de l’Aviation Civile et de la Section Technique des Bâtiments, Fortifications et Travaux du Génie forme un îlot, tout comme à l’ouest sa voisine, l’église de Notre Dame des Champs.
Sa construction commença vers la fin de l’année 1907 ou au tout début de 1908 à l’initiative et aux frais de la famille Cahen, fondateurs de la société «  Au Planteur de Caïffa  ».
Ce terrain faisait partie d’un vaste ensemble, antérieurement détenu par la Congrégation des Frères de St-Vincent-de-Paul, dissoute en application de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations.
Le terrain de 1365 m² a été acquis par M. Cahen…  »

«  Histoire du 93 Boulevard Montparnasse  » par Edouard Goulon-Sigwalt. 1979

C’est donc une jolie histoire laïque, que celle d’un entrepreneur juif qui offre à sa patrie les bâtiments de l’Aviation Civile, après avoir acheté le terrain à une congrégation…

Tout va donc pour le mieux jusqu’à la Grande Guerre. A noter qu’il est fait mention du “Pont Caïffa” de nombreuses fois lors des combats de 14-18. Du 12 avril 1917 au 20 septembre 1918, l’armée britannique et l’armée du Kaiser ont engagé tour à tour des actions autour de ce pont (les plus meurtrières du 18/09/1918) situé à la limite de Villers-Guislain et de Gouzeaucourt (département du Nord  ; Gouzeaucourt, proche de la frontière belge, ville décorée de la Croix de Guerre 14-18).

Ce sont les ouvriers travaillant sur la voie ferrée au-dessous du pont qui l’ont baptisé ainsi à cause des très nombreuses charrettes «  Au Planteur de Caïffa  » qui passaient sur ce pont.

Ainsi la Société est devenue un nom commun dans de très nombreuses régions tant pour désigner l’épicier “le Caïffa” qu’un lieu “Pont Caïffa”

Malheureusement, pendant la Guerre de 14-18, les évènements n’ont pas toujours eu la même limpidité.

Il faut bien se représenter deux tendances opposées et virulentes dans la politique française. A travers deux journaux, ces deux systèmes vont se déchirer jusqu’à faire tomber des ministres comme Caillaux, ou Malvy (ministre de l’Intérieur).

Voir «  L’affaire Malvy, le Dreyfus de la Grande Guerre  »,
de Jean-Yves Le Naour. Hachette

Malvy est accusé d’avoir fourni des renseignements à l’Allemagne, et d’avoir favorisé les mutineries des tranchées de juin 1917. Au terme d’un retentissant procès, il est banni en Espagne jusqu’en 1925. De l’avis des historiens d’aujourd’hui, il n’était pas coupable…

Que vient faire Michel Cahen dans cette histoire  ?

Les journaux y tiennent une part non négligeable.

«  Le Bonnet Rouge  » (oui, mais à contre-sens des récents bonnets rouges bretons, même si les logos se ressemblent…) périodique hebdomadaire créé en 1913, est un journal satirique anarchiste et républicain – et crime  ! – pacifiste et d’extrême gauche.

Il s’oppose à l’Action Française, fondée par Léon Daudet, royaliste, catholique, antisémite et d’extrême droite.

Dans le procès Malvy, Cahen, est accusé par Léon Daudet d’avoir commandité le journal de gauche à hauteur de 200.000 Fr, et – grâce à ses colporteurs – de l’avoir diffusé.

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«  Le poignard dans le dos  »
Léon Daudet
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Cette partie de l’histoire, en pleine guerre, est trop obscure, controversée, argumentée, pour que j’en dise quoi que ce soit. Trois ouvrages de Léon Daudet y sont consacrés, plusieurs historiens ont essayé de débrouiller l’écheveau… Il semble que les nécessités idéologiques du temps aient primé sur la vérité.

Michel Cahen est décédé en février 1928 à son domicile rue Lamennais (8°), un des plus beaux hôtels particuliers de Paris. La saga «  Au Planteur de Caïffa  » continue avec Albert Cahen, son fils.

En 1909, M. Cahen a donc fait construire une très grosse usine à Malakoff, remarquable par son armature métallique style Eiffel. (La Vigie de Malakoff).

Les bâtiments s’étendaient sur plus d’un hectare, et ont ensuite abrité le siège de France-Télécom.

Malakoff étant traditionnellement une banlieue rouge, continûment communiste depuis 1925, j’ai cherché ce qui avait pu s’y passer lors du Front Populaire de 1936 et des grèves qui s’ensuivirent. Sans surprise, le mouvement a été extrêmement suivi, avec occupation de l’Usine de Caïffa. (« Souvenir de nos anciens » ; Journal de Malakoff, en 2006)

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L’usine brûle cette année-là. Grâce à cette coupure de journal relatant l’incendie, nous savons qu’il y avait au moins 400 ouvriers…

Sur l’histoire des rues de Malakoff, j’ai trouvé la rue «  Lucien et Edouard Gerber  ». Ouvriers à l’Usine de Caïffa, ils sont partis en 1936 combattre pour la République en Espagne. Edouard, capturé par les franquistes, est brûlé vif. Quant à Lucien, arrêté pendant la guerre comme militant communiste, il est mort en déportation. (Site de la ville de Malakoff)

La 2e Guerre Mondiale a donné un coup d’arrêt à la famille Cahen au sein de la Société «  Au Planteur de Caïffa  ». Nous retrouvons la Société jusqu’en 1962 sous la marque de café «  Caïffa  » avec les petites figurines pour les enfants dans les paquets de café : collection «  Thierry la Fronde  », et autres héros de télévision des émissions enfantines.

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Cependant sur le site juif «  O.S.E  » (Œuvre de Secours aux Enfants, après la guerre), il est fait mention du château de Méhoncourt, au Mans dans la Sarthe, qui recueille une trentaine d’enfants juifs abandonnés, château du propriétaire du «  Planteur de Caïffa  », marié à une catholique. Après renseignements sur «  les déportés juifs de la Sarthe  », le château appartient à Alexandre Gross, beau-frère de Michel Cahen, arrêté en 1944 et déporté à Drancy (alors qu’il a 71 ans) et décédé en 1945 à l’hôpital Rothschild. Il est négociant en café «  Au Planteur de Caïffa  ».

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Je trouve un autre château, celui d’Albert Cahen, fils ou petit-fils du fondateur, le château de Frauville (Yonne) au cœur d’un domaine de 2500 hectares.

Il est signalé que M. Cahen fut interné mais a eu la chance de s’en sortir, et que sa femme, catholique est restée au château, aidant des familles de prisonniers et des résistants…

Cet Albert Cahen-là est mort en 1972 et son épouse en 1987.

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Emile Akar, époux de Clémence Cahen, donc gendre de Michel, travaille au «  Planteur de Caïffa  », puis fonde avec André Morel et l’aide des fonds de son beau-père la maison AMILCAR.

Il achète le domaine de l’Écluse en 1936 à Salbris (Loir-et-Cher).

Voilà comment grâce au “Caïffa”, j’ai pu en 1960 rouler dans la belle Amilcar de mon grand-père  !

On peut ainsi mesurer l’importance de cette Société, à quel point cette famille a croisé tous les grands et les grands moments de l’Histoire… Je ne m’explique donc pas qu’il ait fallu recouper tant de sites et faire tant de recherches pour en savoir un peu plus : pas de mention dans les «  personnalités remarquables  » de la ville de Malakoff, pas de page Wikipedia sur ce Michel Cahen-là, pour l’état civil il a fallu aller à la pêche en déduisant un possible lieu de mariage…

En fouillant internet, je suis tombée sur le site d’un artiste, Cosimo Caïffa, qui n’a rien à voir, et fait de l’art de rue en «  réalité augmentée  ».

Autrement dit, sa peinture déborde du mur sur le trottoir, créant une œuvre énorme et déroutante.

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Ainsi mon objet de départ, simple assiette dans un placard, s’est élargi en cercles concentriques pour embrasser l’Histoire de plus d’un demi-siècle de notre pays…

Une question reste en suspens : pourquoi le nom de Caïffa  ? Il y a une ville nommée Caïffa en Israël. Un des descendants d’un Directeur Général de Caïffa a cherché et affirme que « nul n’est capable de dire l’origine du nom ».

Je pense qu’il ne faut pas le détacher du nom global « Au Planteur de Caïffa » qui, avec l’emblème de la Société, reflète bien cette époque de l’empire colonial. Commercialement, le nom est génial qui, de café à Caïffa, reste facilement dans les mémoires… Ainsi 20 ans plus tard, en 1910, l’on créait “Banania” pour rappeler que ce produit chocolaté est à base de farine de banane… Et l’emblème a été un tirailleur sénégalais, empire colonial toujours.

Du reste, la “firme” Caïffa colle en tous points à son époque, s’adaptant à l’esthétique,

de l’art nouveau
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au vintage 1959
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J’ai vu récemment une gouache de Leonetto Cappriello de 1925 intitulée « Le Planteur de Caïffa », sur un site américain de vente d’art… Départ des enchères à 1825 € si le cœur vous en dit…

Le Caïffa a pénétré tous les milieux sociaux, de notre paysan drômois à Henri de Monfreid qui, dans « L’Ornière », raconte comment il est devenu colporteur puis cadre du « Planteur de Caïffa », avant d’aller s’occuper de… café en Éthiopie, ce qui nous donne les romans d’aventure que l’on sait.

« L’Ornière ». Henri de Monfreid
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Si cette histoire vous a suffisamment amusé pour que vous vouliez la prolonger, j’ai de nombreux objets et documents (cartes postales, catalogue de primes, journaux…) que je pourrai exposer à l’été 2016. Je serai ravie d’y joindre ceux que vous pourriez nous prêter.

Autres photos visibles sur le site de l’Essaillon 

Hélène ANDRIANT