Bandeau
L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Le piccolo séderonnais
Article mis en ligne le 30 juin 2020
dernière modification le 9 août 2023

par sandy-pascal

Le jeu de cartes du piccolo fait à notre avis partie de la culture séderonnaise et mérite que ces quelques lignes soient consacrées au rappel de ses grandes règles et de ses petites histoires.

Règle n° 1 : le piccolo se joue à 4 joueurs avec un jeu de 32 cartes.

Règle n° 2 : à chaque donne, un des joueurs (le donneur) distribue les cartes et ne joue pas ; à la donne suivante il est remplacé par son voisin de droite et ainsi de suite.

Règle n° 3 : chacun des 3 joueurs reçoit 10 cartes, distribuées 3, 3, 2 et 2 ; au premier tour de distribution, le donneur laisse devant lui 2 cartes (la tourne), face cachée.

Règle n° 4 : chacun joue pour son propre compte et estime le nombre de points ou le contrat (misère, piccolo, misère sur table ou piccolo sur table) qu’il peut faire d’après la composition de son jeu.

Règle n° 5 : la manille (le 10) l’emporte sur le manillon (l’as), le manillon sur le roi, le roi sur la dame, la dame sur le valet, jusqu’au 8 qui l’emporte sur le 7, l’atout l’emporte sur tout.

Règle n° 6 : le joueur placé à la droite du donneur a le droit de parler le premier, il annonce combien de points il a l’intention de faire ou quel contrat il veut réaliser ; avec un mauvais jeu il passe.

Règle n° 7 : les joueurs suivants surenchérissent chacun à leur tour ; quand un joueur ne veut plus surenchérir il passe et ne peut plus revenir sur sa parole.

Règle n° 8 : les enchères aux points commencent à 26 et les contrats s’intercalent dans les points comme suit :

  • le contrat de misère (qui oblige le joueur qui le demande à ne faire aucune levée) se place entre 39 et 41 points,
  • le contrat de piccolo (qui oblige le joueur qui le demande à ne faire qu’une levée) se place entre 49 et 51 points,
  • le contrat de misère sur table (qui oblige le joueur qui le demande à étaler son jeu sur la table et à ne faire aucune levée) se place entre 59 et 61 points,
  • le contrat de piccolo sur table (qui oblige le joueur qui le demande à étaler son jeu sur la table et à ne faire qu’une levée) n’est surpassé que par un joueur qui demande la générale (la volle), c’est à dire qui s’engage à réaliser les 10 levées.
    Règle n° 9 : quand un des joueurs a obligé les autres à passer, il joue les points ou le contrat qu’il a demandé contre les deux autres ; il regarde les cartes de la tourne, sans les montrer, et rejette à leur place 2 cartes qu’il estime mauvaises pour son jeu ; pour une donne aux points, il indique la couleur d’atout.

Règle n° 10 : le joueur placé à la droite du donneur joue la première carte et celui qui doit réaliser un contrat de misère sur table ou de piccolo sur table doit étaler son jeu sitôt cette première carte jouée.

Règle n° 11 : celui qui a remporté les enchères doit toujours monter, couper, ou surcouper, ses adversaires doivent également couper sur lui, mais peuvent se défausser si leur partenaire est maître ; si possible, il faut toujours fournir de la couleur appelée.

Règle n° 12 : au bout des 10 levées, celui qui a remporté les enchères et ses adversaires font le compte de leurs points selon le barème suivant :

  • 5 points pour la manille,
  • 4 points pour le manillon,
  • 3 points pour le roi,
  • 2 points pour la dame,
  • 1 point pour le valet,
  • 1 point pour chaque levée de 3 cartes,
    (les points de celui qui a remporté les enchères ajoutés aux points de ses adversaires doivent donc faire le total de 70).

Règle n° 13 : le barème suivant donne les points que celui qui a remporté les enchères reçoit s’il a réalisé les points ou le contrat annoncé, ou que les adversaires reçoivent si les points ou le contrat ne sont pas réalisés :

  • 3 points pour 26 à 35 points demandés,
  • 4 points pour 36 à 45 points ou une misère demandés,
  • 5 points pour 46 à 55 points ou un piccolo demandés,
  • 6 points pour 56 à 65 points ou une misère sur table demandés,
  • 7 points pour 66 à 70 points ou un piccolo sur table demandés.
    Règle n° 14 : la partie se joue en 41 points, celui qui atteint le premier ce total a gagné, il se retire du jeu et la partie se poursuit à 3 joueurs jusqu’à ce que l’un deux atteigne 41 points et devienne le second gagnant.

Le piccolo se jouait après le repas de midi au café Beauchamp et la dernière règle était que les deux perdants payaient le café aux deux gagnants.

Une vue de la porte d’entrée du café Beauchamp (le Café d’Europe ! quelle large vision pour un bistro de village) est donnée ci-dessous avec le nom des personnes qui y figurent.

Les patrons : Louis, Casimir, Marie et Colette Beauchamp

Les clients : Jean-Pierre Jourdan et René Delhomme

En étant admis à jouer à la première table, à gauche en entrant dans le café, nous recevions notre brevet de bon joueur de piccolo. A cette table les plus beaux coups étaient joués par les spécialistes locaux (Paulet Jullien, Léon Touche, René Guilliny, Georges Bonnefoy, Marc Gourgeon, Henri Pascal) sous le regard critique mais discret d’André Plaindoux assis à califourchon sur une chaise. Il ne fallait pas arrivé en retard car la table était rapidement complète, même par de bons joueurs venus de Villefranche (Albert Nœux, Hubert Raspail).

De jeunes séderonnais de l’époque étaient devenus des spécialistes : Jeannot Ghisalberti qui terminait son dessert en se hâtant vers la table de jeu, Charles Girard que l’instituteur accusait d’avoir trop joué au piccolo quand il arrivait en retard à l’école.

Une fois assis, il ne fallait pas non plus « faire de couffe », c’est à dire faire une faute de jeu grossière, sinon nous étions gentiment traités de “farceur” ou malicieusement invités à nous inscrire à l’école de piccolo de Thoard.

Une seule partie était généralement jouée, mais une deuxième partie était engagée quand le patron, pour garder ses clients, sortait sur le pas de la porte et annonçait, sans trop de preuve, qu’il allait pleuvoir.

Nous, qui ne venions à Séderon que pendant les vacances scolaires, avons appris ce jeu en regardant jouer les anciens, en se faisant expliquer les détails de la règle au coup par coup. Et la première fois où nous avons pu prendre place à la table de l’élite, nous avons obtenu l’équivalent d’un certificat d’aptitude.

Reste aussi le souvenir de quelques façons de faire – la tasse de café, celle dont le paiement servait d’enjeu à ces parties et dont, obnubilés par le maniement des cartes, nous ne buvions le jus que quand il était froid, donnait parfois lieu à un geste machinal : un tel qui remuait un peu trop fort pour mélanger son sucre en renversait un peu sur la soucoupe. Peu importe, à la fin, c’était reversé dans la tasse !

Un autre souvenir, d’un joueur très fort mais qui préférait la belote au piccolo, sans doute parce que le piccolo demande un minimum de rigueur dans les annonces et dans le jeu, alors que la belote permet davantage de fantaisie, voire de folie. Premier en carte, combien de fois n’a-t-il pas claironné : « si le 7 tourne, j’envoie sans regarder ! ».

C’est-à-dire qu’il risquait de devoir faire le tour de cartes avec un seul atout, et le plus faible. Mais la fortune sourie aux audacieux, et le jeu lui était souvent favorable. Surtout lorsqu’il arrivait à déstabiliser ses adversaires avec des entames « en dessous », des impasses à répétition. Souvent, c’est son partenaire qui était complètement déboussolé, ne comprenant plus ce qui se passait.

Et s’il lui arrivait de perdre la partie, il disait à l’autre perdant : « et si on faisait les 4 verres à l’écarté ? ».

Mais ça, c’est un autre jeu de cartes, donc une autre histoire.

Pierre MATHONNET et André POGGIO

Une autre photo, qui a au moins deux mérites :

d’abord celui de montrer le nombre de joueurs qui se retrouvaient au café – lieu convivial par excellence – pour les parties de cartes. Là, nous sommes au café Estellon (tenu à cette époque-là par Michel Guyot, le cafetier peintre dont on aperçoit quelques dessins à l’encre de chine sur les murs), et ce sont des parties de belote qui se pratiquaient en fin d’après-midi.

ensuite, celui de nous rappeler le charme suranné de toutes ces casquettes et de tous ces gilets de laine à grosses mailles. Seul M. Roman est tête nue et en veste cravate !

Quant aux autres participants, ça peut faire l’objet d’un quizz !