L’Oncle JOSEPH aimait les moutons. Le Petit ALBERT n’aimait pas garder les Brebis. Comme personne ne lui demandait son avis, cela n’avait pas d’importance. L’Oncle JOSEPH était célibataire et depuis longtemps il avait un troupeau de trente à cinquante brebis. Pour garder ces moutons il devait faire appel à ses nièces d’abord, à ses neveux ensuite. Vint un moment où le dernier des neveux fut appelé à prendre la relève de ses aînés. C’était le petit ALBERT, alors âgé de onze ans. Oh ! Le travail n’était pas pénible en soi et le sort du Petit Berger n’avait rien de comparable à celui de Jacquou le Croquant ou des petits gardiens de dindons ou d’oies de George SAND. Il était bien traité, avait l’affection des siens, mais voilà ! Il n’aimait pas garder les moutons.
Le troupeau trouvait sa nourriture dans les collines de Haute-Provence et quelquefois dans la forêt voisine. Connaissez-vous les collines de la Haute-Provence ? Vous quittez les chemins charretiers, vous cheminez pendant un certain temps et vous êtes devant ces collines, pas très hautes, faciles d’accès, s’étendant sur des centaines d’hectares, allant buter sur la montagne de BUC, le plus haut sommet de la Région. Ces collines sont arides, au sol plein de pierrailles, avec des plants de farigoule, de lavande sauvage, de romarin, de genêts et de buissons qui se multiplient à l’infini. Plus de cultures, seuls quelques vestiges de haies de buissons, des tas de cailloux formant un semblant de murette, rappellent qu’autrefois, il y a bien longtemps, au temps où les campagnes étaient surpeuplées, des coins perdus avaient été cultivés. Un paysage très étendu, rendu au silence, où seuls les oiseaux, les lapins, quelquefois les lièvres le peuplent, à l’exception des troupeaux qui broutent une herbe rare.
Ces collines sont séparées par des vallées peu profondes où des torrents à sec ont fait leur lit. Des îlots d’arbustes et de broussailles y ont poussé çà et là, apportant une note exotique à ce paysage monotone. Note insolite qui fait penser, vu de loin, à de minuscules oasis dans un désert.
C’est dans cet environnement que le Petit Berger surveillait son troupeau. Le silence n’était rompu, parfois, que par le cri ou le chant des oiseaux ou encore par les appels lointains d’autres bergers qui n’étaient pas d’accord avec leurs bêtes ou leur chien. Il restait des journées entières sans voir personne malgré son ingéniosité à rechercher une compagnie incertaine. Le temps paraissait long et la marche du soleil était un objet de préoccupation constante.
Le Petit Berger avait un carnier, tout comme les « pastres » de Provence.
Un de ces carniers à poches multiples que chaque matin la « maîtresse » remplit de mets divers allant de la saucisse, du fromage, aux amandes, noix et pommes ou poires.
C’est la surprise et la joie du gardien de découvrir ce que l’on a mis dans son carnier. Il mange souvent et peu à la fois, ce qui lui vaut une distraction et un passe-temps appréciable dans sa solitude.
Le Petit Berger avait la houppelande de l’Oncle. Oh ! Elle était bien longue, mais si chaude aux premiers froids et à la tombée et au lever du jour.
Les collines étaient parsemées de bergeries. On en comptait une vingtaine avant la Grande Guerre. L’Oncle en avait une et les soirs d’été, au moment de la rentrée du troupeau, lorsque la nuit était tombée, bien des difficultés survenaient car, outre la peur, le mauvais vouloir des brebis compliquait la tâche du gardien.
Quelquefois encore, le Petit Berger se trompait d’heure. Il fallait faire en sorte que nul ne s’aperçoive de cette erreur qui était toujours au détriment du troupeau.
Il arrivait aussi qu’une partie du troupeau s’égare. Dans ces cas là l’Oncle partait à sa recherche. Le Petit Berger n’avait jamais compris comment l’Oncle le retrouvait si rapidement, alors que lui-même l’avait recherché en vain.
Une journée d’automne l’Oncle s’était rendu à une foire des environs. Le Petit Berger s’était imaginé que c’était pour vendre le troupeau mais, le soir venu, la nuit complètement tombée, au moment de rentrer le troupeau à la bergerie, à l’horizon, entre ciel et terre, à l’orée d’une colline une ombre gigantesque se dessina. Elle faisait de grands moulinets avec les bras, au bout desquels se trouvaient comme des raquettes de tennis. Mettez-vous à la place du Petit Berger qui, tremblant de peur, voyait s’avancer vers lui cette ombre menaçante. Mais soudain, la voix de l’Oncle l’appelait. Il revenait de la Foire et venait le rejoindre. Seulement voilà, il n’avait pas vendu le troupeau ! Au contraire, il revenait avec quelques brebis de plus, qu’il poussait devant lui avec des branches d’arbre. Comprenez le désarrois du pauvre gardien. Au printemps les brebis avaient parfois la mauvaise idée de faire leurs agneaux en pleine nature. Il fallait, à la fois, surveiller le troupeau et ne pas abandonner la future mère. Puis, l’agnelet venu au monde, bien vite le soigner, le sécher et le mettre au chaud dans la houppelande. Le Petit Berger réussit à se tirer d’affaire chaque fois et à ramener bien vivants, la mère et l’agneau.
Devant ces problèmes, qui sans cesse surgissaient, le petit bonhomme ne comprenait pas le calme imperturbable des autres bergers qu’il rencontrait parfois. Rencontres rares et de courte durée, tant il craignait que les troupeaux ne se mélangent.
Oh ! Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais...
Et puis arrivait enfin l’année du Certificat d’Études. Le Petit Berger, qui avait obtenu des facilités d’horaires de son bon Instituteur, devait désormais se consacrer entièrement à l’École. Alors, plus question de compter sur lui pour garder le troupeau. Comme, d’autre part, il n’y avait plus de neveu pour continuer la tradition, l’Oncle se rendant à l’évidence, le troupeau fut vendu et s’en alla rejoindre une autre bergerie.
Ainsi devait se terminer la première entrée dans la vie active du Petit gardien.
Désormais, va Petit Berger, va vers ta destinée. Continue ton existence, d’autres missions t’attendent et fais en sorte que tu les accomplisses toujours avec gentillesse, sérieux et honnêteté, afin qu’au soir de ta vie tu puisses regarder en arrière sans crainte ni regrets.
Originaire de Mévouillon