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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Le car Mandon, ligne Séderon-Sisteron
Article mis en ligne le 30 juin 2016
dernière modification le 2 octobre 2020

par sandy-pascal
© Essaillon
Les paragraphes qui suivent sont extraits du livre « La Sorbière, Réfugiés piémontais et espagnols en Haute – Provence » [Alpes de Lumière – Forcalquier – 2005]. L’auteur, Pierre Pasero, a construit son livre autour des souvenirs de ses grands-parents et parents que les événements économiques et politiques des années 1920-1939 firent arriver un jour à Montfroc, les uns venant du Piémont et les autres d’Espagne Il nous a aimablement donné l’autorisation d’en reproduire des passages.

Si le titre parle de Haute-Provence, en fait tout se passe à Montfroc. De Montfroc à Séderon, il n’y a pas loin. Surtout lorsqu’il s’agit de la ligne de car…

C’est un soir de février 1939 que des réfugiés espagnols arrivèrent à Montfroc. Une vraie journée d’hiver, froide, sans soleil ; à la nuit, la neige avait fait son apparition par petits flocons. Le maire avait prévenu les habitants, qui avaient dressé pour l’occasion une grande table dans un local à l’entrée de La Bégüe. Ils avaient préparé de la soupe et mis des couverts.

Le car arriva de nuit de Séderon, où il avait déposé un premier groupe de réfugiés dans lequel se trouvaient Thomas et Paquita Lopez. A La Begüe, vingt personnes en descendirent, huit femmes et leurs enfants. Dans ce petit village où la vie semblait ronronner, l’arrivée de ces femmes espagnoles avec leurs enfants fut un événement important.

Ce sont les maires de l’époque, Auguste Saisse, maire de Montfroc, ainsi que le maire de Séderon qui, répondant à une demande des préfets concernant les possibilités de logement des réfugiées dans les communes, avaient fait les démarches nécessaires.

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Les horaires du car Mandon, qui effectuait tous les jours le trajet Séderon-Sisteron le matin et retour l’après-midi, dépendaient alors directement des horaires du train Marseille-Veynes. Le matin, il partait de Séderon et passait à Monfroc vers les 8 h, où Léon Mandon déposait sa fille Lucette à l’école du village. Le train de Marseille arrivait à Sisteron vers les 14 h et le car repartait alors pour la vallée via Noyers, Saint-Vincent, Les Remises, Curel, et enfin Montfroc après deux ou trois heures.

Il fallait bien ça pour avaler les trente kilomètres de route sinueuse. D’autant plus que le chauffeur pouvait très bien passer un bon bout de temps à raconter avec force détails à un paysan rencontré sur la route, sa dernière partie de boules à la longue jouée devant la gare de Sisteron : « Capoun de buoun diou es un gratoun que m’a fai perdre ».

On était curieux dans ces vallées, et la venue de voyageurs arrivant de Marseille et la dépose du courrier et des paquets que Mandon entassait dans une grosse remorque à l’arrière du car attiraient toujours une bonne partie de la population sur la petite place du village, face au lavoir. Les congés payés n’existaient pas encore, les têtes nouvelles étaient rares dans le village et lorsqu’il y en avait, cela provoquait beaucoup d’interrogations dans les conversations.

Mais l’événement majeur et attendu avec impatience était l’arrivée du quotidien Le Petit Provençal que les abonnés emportaient rapidement chez eux. Cette impatience était due non pas à la lecture des nouvelles mais principalement à son feuilleton « l’auberge de Peyrebelle ». Ce feuilleton, tiré d’un fait historique, a tenu en haleine les lecteurs durant plusieurs mois, et les atrocités de la mère Leblanc accompagnée de son serviteur noir Fétiche chargé des basses besognes, avaient de quoi alimenter les longues veillées d’hiver…

Lors de l’arrêt à Montfroc, Léon Mandon récupérait sa fille à la sortie de l’école, et là parfois le retard se faisait plus important car il arrivait que certains garçons, plus facétieux que d’autres, enferment Lucette dans une fenière au cours de jeux de cache-cache ; malgré les coups de klaxon répétés de son père qui l’attendait, elle ne pouvait plus accourir. Par la suite, elle se méfiera, ne se laissant plus surprendre et retarder le départ du car.

La boulangerie la plus proche se trouvant, en 1935, à Séderon, les habitants profitaient de l’arrêt pour remettre au chauffeur un sac de toile de jute roulé avec, accroché à celui-ci, un papier où ils inscrivaient leur nom, et le nombre de pains qu’ils désiraient. Le lendemain, lors du passage matinal, Mandon déposait les sacs remplis de pain bien frais sur la place du village et les propriétaires n’avaient plus qu’à les récupérer. Pour les gens habitant aux alentours, cela se faisait rapidement. Pour les autres, plus éloignés, les sacs pouvaient attendre quelque temps. Parfois il arrivait qu’un chien, qui passait par là, lève la patte et lâche nonchalamment une giclée sur le sac… malgré tout, la mémoire étant ce qu’elle est, les anciens vous diront que le goût du pain d’aujourd’hui ne vaut pas celui d’antan.

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La vie dans les campagnes de la vallée du Jabron était alors rythmée par les saisons et les foires des villages environnants. Certains en profitaient pour atteler le cheval à la jardinière. Pour la foire de la Saint-Barthélemy, le 24 août à Sisteron, on pouvait voir arriver des gens jusque sur l’impériale du car Mandon : c’était, il est vrai, la foire la plus importante de la région.

Ces foires étaient bien suivies, elles permettaient de se rencontrer et de faire des affaires. Il y en avait une tous les mois à Sisteron. A Séderon, elles se déroulaient les 3 mars, 3 avril, 3 mai et 3 juillet et la plus importante pour la Saint-Mathieu se situait le 21 septembre. La foire aux agnelles à Saint-Vincent-sur-Jabron se déroulait le 28 juillet. Les occasions de sortir l’habit du dimanche, même en semaine, ne manquaient donc pas.

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De temps à autre, les jeunes allaient à pied jusqu’à Séderon pour y danser presque toute la nuit, et la finissaient dans le car de Girard (il avait succédé à Mandon), qui les ramenait chez eux au petit matin. Les garçons avaient parfois juste le temps de se changer pour reprendre le travail.

Pierre PASERO
le car Mandon, avec sa remorque, à l’arrêt aux Omergues
© Essaillon