Dans un livre de Louis FIGUIER, datant de 1886,
LES GRANDES INVENTIONS MODERNES
Dans LES SCIENCES, L’INDUSTRIE ET LES ARTS
On peut lire au chapitre consacré à la photographie :
C’est en 1824 que Joseph Nicéphore Niepce résolut le problème qu’il s’était proposé, et qui consistait à fixer l’image de la chambre obscure [1]. L’agent chimique impressionnable à la lumière dont il faisait usage c’était le bitume de Judée [2], matière noire qui, exposée à la lumière, se modifie chimiquement, et perd sa solubilité dans les liqueurs spiritueuses.
Joseph Nicéphore Niepce appliquait une couche de bitume de Judée sur une lame de cuivre recouverte d’argent, et plaçait cette lame au foyer de la chambre obscure. Après une action assez prolongée de la lumière, il retirait la plaque et la plongeait dans un mélange d’huile de pétrole et d’essence de lavande.
Les parties influencées par la lumière demeuraient intactes, les autres se dissolvaient. Ainsi modifié, l’enduit de bitume représentait les clairs ; la plaque métallique dénudée représentait les ombres ; les parties de l’enduit partiellement dissoutes répondaient aux demi-teintes.
Malheureusement il ne fallait pas moins de dix heures pour obtenir un dessin, à cause de la lenteur avec laquelle le bitume de Judée se modifie sous l’influence de la lumière. Pendant ce temps, le soleil, poursuivant sa route, déplaçait les ombres et les lumières.
Par ce procédé encore bien imparfait, on le voit, Niepce parvint à former des planches à l’usage des graveurs, car tel était son but. En attaquant ces plaques par un acide faible, il creusait le métal dans les parties que n’abritait pas l’enduit résineux, et l’on pouvait ensuite se servir de cette planche pour tirer des gravures sur papier.
Joseph-Nicéphore Niepce appelait ce nouveau procédé de gravure l’héliographie.
Pendant que Niepce poursuivait, à Chalon-sur-Saône, la solution du problème de la fixation des images de la chambre obscure, un autre expérimentateur s’occupait, à Paris, des mêmes travaux : c’était le peintre Daguerre, qui s’était fait un certain renom par l’invention du diorama [3]. Mais Daguerre n’avait encore obtenu de ses longues tentatives aucun résultat satisfaisant, quand il apprit qu’au fond de la province un homme était parvenu à résoudre le difficile problème dont il s’occupait lui-même, c’est-à-dire à conserver les images qui se forment dans la chambre obscure.
Le peintre parisien ayant réussi à se mettre en rapport avec l’inventeur chalonnais, lui proposa de s’associer à lui, pour continuer de poursuivre en commun l’étude de la question qu’ils avaient abordée chacun de son côté. Niepce ayant accepté 1a proposition, le 11 décembre 1829, un traité fut, à cet effet, signé entre eux à Chalon-sur-Saône.
Niepce ayant communiqué à Daguerre le secret de ses procédés, Daguerre s’applique aussitôt à les perfectionner. Il remplace le bitume de Judée par la résine qu’on obtient en distillant l’essence de lavande ; il ne lave plus la plaque dans une huile essentielle, il l’expose à l’action de la vapeur fournie par cette essence à la température ordinaire.
Cette vapeur se condensait seulement sur les parties restées dans l’ombre et respectait les clairs représentés par la résine blanchie. Les ombres étaient représentées par une sorte de vernis transparent formé par la résine dissoute dans l’huile essentielle.
En même temps Daguerre change complètement les bases du procédé dont Niepce s’était servi. Tandis que Niepce ne faisait de la plaque qu’un moyen d’arriver à la gravure, c’est-à-dire cherchait à obtenir par l’action de la lumière, une planche propre à donner des estampes, Daguerre au contraire, veut que le dessin définitif demeure sur la plaque.
Ainsi l’image sera formée sur un métal, au lieu d’être tirée sur papier, comme le voulait Niepce, le premier inventeur, et elle ne donnera, à chaque opération qu’un type unique au lieu de fournir une planche capable de tirer un grand nombre d’estampes.
Le système de Daguerre était inférieur à celui de Niepce mais il prévalut.
Les deux associés venaient de substituer aux substances résineuses l’iode, qui donne une grande sensibilité aux plaques d’argent. Lorsque Niepce mourut, à l’âge de soixante trois ans, après vingt ans de travaux, il s’éteignit pauvre et ignoré. La gloire ne devait rayonner que plus tard autour du nom de l’homme qui avait produit l’une des plus curieuses découvertes de son siècle.
Continuant ses recherches, Daguerre eut bientôt le bonheur de découvrir la merveilleuse influence des vapeurs du mercure sur l’apparition de l’image photographique.
Il reconnut que l’image formée par l’action de la lumière sur une plaque revêtue d’iodure d’argent est d’abord invisible, mais qu’elle apparaît subitement si on expose cette plaque aux vapeurs mercurielles.
Dès lors le problème de la fixation de l’image de la chambre obscure et de la conservation indéfinie de cette image était parfaitement résolu.
Le 7 janvier 1839, Arago annonça publiquement à l’Académie des sciences de Paris la découverte de Niepce et de Daguerre.
Le 19 août 1839 les procédés des inventeurs, qui jusqu’alors étaient demeurés secrets, furent rendus publics.
Le gouvernement accorda une récompense nationale à Daguerre, ainsi qu’au fils de Joseph Nicéphore Niepce.
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La grande aventure de la photographie « chimique » est terminée depuis quelques années, le ˝numérique˝ ayant pris la place de ˝l’argentique˝ ; mais l’essence de lavande, grâce à ses étonnantes propriétés antiseptiques et chimiques a conservé une place non négligeable en pharmacopée et dans l’industrie des savons et des lessives !