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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 48
Joseph GRATĒCOS
photographe à Séderon
Article mis en ligne le 20 novembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par POGGIO André
Parce que son père, fonctionnaire du Ministère des Finances, y exerça le métier de percepteur entre les deux guerres, Joseph Gratēcos a passé la majeure partie de sa jeunesse et de son adolescence à Séderon. Beaucoup de séderonnais eurent alors l’occasion de le côtoyer sur les bancs de l’école communale.
Il termina ses études à Paris, sortant major de promotion de l’Ecole Vaugirard Louis Lumière (qui deviendra plus tard l’Ecole Nationale Supérieure de Photographie, Cinéma, Son). Résultat brillant mais sans valeur immédiate : nous sommes en 1940 et les débuts de la seconde guerre mondiale, bouleversant tous ses projets d’avenir, le contraignent à revenir à Séderon. C’est là qu’il va faire ses premiers pas professionnels.

Son activité couvrira deux domaines : la photographie d’art (portraits essentiellement), et l’édition de cartes postales. J’évoquerai principalement le domaine des cartes postales. Bien qu’il s’agisse d’une activité de complément que lui-même qualifiait « d’alimentaire », c’est celle qui a laissé les traces les plus importantes, nous livrant un témoignage unique sur l’aspect de notre village au début des années 40.
Il produisit et commercialisa ses cartes postales sous le crédit « Cliché J. Gratecos ». Expérience difficile pour un jeune homme débutant dans la vie active : il y avait d’une part la réalité du marché local, à une période où les gens n’achetaient que le strict nécessaire, il y avait d’autre part les exigences de l’imprimeur (c’était Combier, très importante maison d’édition basée à Mâcon) qui imposait un tirage minimum de 500 exemplaires pour une planche de 12 photos.

Joseph fit donc 12 clichés. Si son choix des sujets reste très traditionnel (vues générales, bâtiments publics, entrées du village), il a essayé de mettre Séderon en image, comme on parle de mise en scène pour le théâtre : il privilégie les angles de prise de vue où arbres et feuillages forment le décor côté cour, côté jardin ou sur le "cintre" du cliché ; il organise, pour les vues animées, les mouvements et la position des personnages comme il dirigerait le jeu d’une troupe d’acteurs (acteurs bénévoles certainement, encore que pour les enfants cela a bien dû lui coûter quelques bonbons).
Il nous offrira pourtant un sujet original, la distillation de la lavande. Là, il n’a pas besoin de composer une mise en scène et tout est naturel : l’alambic, le refroidisseur, les bourras de lavande et Gabriel Estellon courbé devant le foyer.

Hélas, en ces années de pénurie la qualité des tirages fut très médiocre : le carton souple et poreux du support donne une image légèrement baveuse et le sépia noie quantité de détails.
Une seconde édition, réalisée sur un carton de meilleure qualité, se distingue par un cadre blanc où le crédit est inscrit verticalement.

Voici les 12 clichés de Séderon qui furent édités :

Vue aérienne
Joseph est monté sur les contreforts de la Tour : cela donne une vue générale du village avec sa forme de faucille épousant parfaitement la courbe des pentes du Crapon
© Essaillon
Entrée côté nord
Le photographe est redescendu et s’est placé à hauteur de la pointe du monument aux Morts
© Essaillon
La Gendarmerie
L’un des plus beaux clichés édités sur Séderon en un siècle de carte postale, et certainement la plus réussie des cartes Gratecos. Le buste de la République émerge au-dessus du feuillage, tandis que les acteurs bénévoles font un rond symétrique à celui de la fontaine.
© Essaillon
Rivaines
Panorama classique sur fond de Crapon, mais avec le soin de placer des arbustes au premier plan.
© Essaillon
L’Église
Devant le porche, quelques enfants,
Quelques adultes - il y a même un chien
© Essaillon
La Poste
Le feuillage d’un platane pour cintrer le haut du bâtiment et un enfant qui franchit la porte du bureau pour l’animation
© Essaillon
Le Patronage
Joseph a réussi à cadrer un beau feuillage mais pas d’animation pour cette vue
côté cour
© Essaillon
Entrée côté sud
La route et le chemin de la Rosière
© Essaillon

Accessoirement, signalons que Joseph avait son atelier dans la maison Estellon, sur la gauche de la photo.

Les Ecoles
Des arbres, bien sûr ! Devant la porte, trois femmes assises semblent avoir interrompu leur conversation pour regarder l’objectif
© Essaillon
Vue générale
Les grands peupliers pour donner une ligne de fuite
© Essaillon
Une spécialité du pays : « La lavande »
Un alambic
Gabriel Estellon et sa distillerie
© Essaillon
Séderon – La Bourgade
J’avais trouvé, au début de ma collection, cette carte « Séderon – La Bourgade » éditée sous la marque « Jos. » avec un cachet postal de 1944.
En fait il ne s’agissait que du tirage, sur papier photo, du dernier des 12 clichés consacrés à Séderon.
© Essaillon
© Essaillon

Joseph Gratecos ne limita pas son activité à notre village : à la même époque, deux cartes de Montbrun ont également fait l’objet d’un tirage photo avec les mêmes caractéristiques techniques, sauf que le crédit Jos. n’apparaît pas.

Le vieux Montbrun
© Essaillon
Vue panoramique
© Essaillon

En les voyant, Joseph s’est exclamé : « ça c’est mon écriture ». Il m’a indiqué avoir pris beaucoup de clichés à Montbrun, précisant « qu’on lui avait demandé de le faire », mais sans se souvenir du nom du commanditaire !

Je me bornerai à recenser les cartes signées « Cliché Jo Gratecos », et j’en connais quatre :

Montbrun-les-Bains – la Tour de l’Horloge
© Essaillon
Montbrun les Bains - Vue générale
© Essaillon
Vue générale, prise de l’Est, au fond le Mt Ventoux
© Essaillon
Barret de Liourre près Montbrun-les-Bains
© Essaillon

Le commanditaire publia également une « collection Jo » qui constitue une bizarrerie éditoriale : on trouve sous cette dénomination une série de clichés que Joseph a choisi mais dont il n’est pas l’auteur !

Voici, pour exemple, la n° 6 - une vue générale
© Essaillon

J’avais renoncé à le questionner sur ce sujet, n’ayant obtenu que des réponses très évasives. L’explication est peut-être à mettre sur le compte des années de guerre et d’occupation, période difficile où la propriété artistique et intellectuelle ne semble pas avoir été le premier souci des éditeurs.
Après m’être étendu sur l’aspect cartes postales du travail de Joseph Gratēcos, je ne peux terminer ce petit article sans faire retour sur ce qui fut le fond de son métier, c’est-à-dire le portrait d’art. En voici deux exemples :

  • les photographies qu’il réalisa pour la famille Guilliny et que Lucienne Touche
    conserve précieusement. Ces portraits ne sont pas signés, mais authentifiés par les
    deux parties :
Lucienne GUILLINY
© Essaillon
René GUILLINY
© Essaillon
  • un portrait non identifié, celui-là signé par son auteur (dans le cadre, à droite) :
© Essaillon
© Essaillon

A la fin de la guerre, Joseph Gratēcos quitte définitivement Séderon et s’installe à Paris. Qu’advint-il alors de son fonds photo ?
A Paris, il fera une brillante carrière de photographe d’art, jusqu’à devenir expert auprès des tribunaux. Ses premiers pas professionnels et son aventure d’éditeur ne lui auront laissé que peu de souvenirs, et encore sont-ils flous.

Mais après Frédéric Chauvet, après Camille Jullien, Joseph Gratēcos reste dans notre histoire de la carte postale comme le troisième et dernier éditeur installé à Séderon. Ne serait-ce qu’à ce titre, il en demeure une figure primordiale.

Joseph Gratēcos à Séderon, le 2 août 2003
(photos Henri Barras)
© Essaillon
Joseph Gratēcos à Séderon, le 2 août 2003
(photos Henri Barras)
© Essaillon

A la fin du mois de juin 2009, la nouvelle de son décès est arrivée jusqu’à Séderon. Nous savons maintenant, avec beaucoup de tristesse, que nous ne rencontrerons plus cet homme discret, d’une très grande amabilité, toujours étonné de l’intérêt que les collectionneurs portaient à ses œuvres de jeunesse.

lettre de Joseph Gratēcos en date du 27 février 2002
© Essaillon
A. Poggio
janvier 2010