Il termina ses études à Paris, sortant major de promotion de l’Ecole Vaugirard Louis Lumière (qui deviendra plus tard l’Ecole Nationale Supérieure de Photographie, Cinéma, Son). Résultat brillant mais sans valeur immédiate : nous sommes en 1940 et les débuts de la seconde guerre mondiale, bouleversant tous ses projets d’avenir, le contraignent à revenir à Séderon. C’est là qu’il va faire ses premiers pas professionnels.
Son activité couvrira deux domaines : la photographie d’art (portraits essentiellement), et l’édition de cartes postales. J’évoquerai principalement le domaine des cartes postales. Bien qu’il s’agisse d’une activité de complément que lui-même qualifiait « d’alimentaire », c’est celle qui a laissé les traces les plus importantes, nous livrant un témoignage unique sur l’aspect de notre village au début des années 40.
Il produisit et commercialisa ses cartes postales sous le crédit « Cliché J. Gratecos ». Expérience difficile pour un jeune homme débutant dans la vie active : il y avait d’une part la réalité du marché local, à une période où les gens n’achetaient que le strict nécessaire, il y avait d’autre part les exigences de l’imprimeur (c’était Combier, très importante maison d’édition basée à Mâcon) qui imposait un tirage minimum de 500 exemplaires pour une planche de 12 photos.
Joseph fit donc 12 clichés. Si son choix des sujets reste très traditionnel (vues générales, bâtiments publics, entrées du village), il a essayé de mettre Séderon en image, comme on parle de mise en scène pour le théâtre : il privilégie les angles de prise de vue où arbres et feuillages forment le décor côté cour, côté jardin ou sur le "cintre" du cliché ; il organise, pour les vues animées, les mouvements et la position des personnages comme il dirigerait le jeu d’une troupe d’acteurs (acteurs bénévoles certainement, encore que pour les enfants cela a bien dû lui coûter quelques bonbons).
Il nous offrira pourtant un sujet original, la distillation de la lavande. Là, il n’a pas besoin de composer une mise en scène et tout est naturel : l’alambic, le refroidisseur, les bourras de lavande et Gabriel Estellon courbé devant le foyer.
Hélas, en ces années de pénurie la qualité des tirages fut très médiocre : le carton souple et poreux du support donne une image légèrement baveuse et le sépia noie quantité de détails.
Une seconde édition, réalisée sur un carton de meilleure qualité, se distingue par un cadre blanc où le crédit est inscrit verticalement.
Voici les 12 clichés de Séderon qui furent édités :
Accessoirement, signalons que Joseph avait son atelier dans la maison Estellon, sur la gauche de la photo.
Joseph Gratecos ne limita pas son activité à notre village : à la même époque, deux cartes de Montbrun ont également fait l’objet d’un tirage photo avec les mêmes caractéristiques techniques, sauf que le crédit Jos. n’apparaît pas.
En les voyant, Joseph s’est exclamé : « ça c’est mon écriture ». Il m’a indiqué avoir pris beaucoup de clichés à Montbrun, précisant « qu’on lui avait demandé de le faire », mais sans se souvenir du nom du commanditaire !
Je me bornerai à recenser les cartes signées « Cliché Jo Gratecos », et j’en connais quatre :
Le commanditaire publia également une « collection Jo » qui constitue une bizarrerie éditoriale : on trouve sous cette dénomination une série de clichés que Joseph a choisi mais dont il n’est pas l’auteur !
J’avais renoncé à le questionner sur ce sujet, n’ayant obtenu que des réponses très évasives. L’explication est peut-être à mettre sur le compte des années de guerre et d’occupation, période difficile où la propriété artistique et intellectuelle ne semble pas avoir été le premier souci des éditeurs.
Après m’être étendu sur l’aspect cartes postales du travail de Joseph Gratēcos, je ne peux terminer ce petit article sans faire retour sur ce qui fut le fond de son métier, c’est-à-dire le portrait d’art. En voici deux exemples :
- les photographies qu’il réalisa pour la famille Guilliny et que Lucienne Touche
conserve précieusement. Ces portraits ne sont pas signés, mais authentifiés par les
deux parties :
- un portrait non identifié, celui-là signé par son auteur (dans le cadre, à droite) :
A la fin de la guerre, Joseph Gratēcos quitte définitivement Séderon et s’installe à Paris. Qu’advint-il alors de son fonds photo ?
A Paris, il fera une brillante carrière de photographe d’art, jusqu’à devenir expert auprès des tribunaux. Ses premiers pas professionnels et son aventure d’éditeur ne lui auront laissé que peu de souvenirs, et encore sont-ils flous.
Mais après Frédéric Chauvet, après Camille Jullien, Joseph Gratēcos reste dans notre histoire de la carte postale comme le troisième et dernier éditeur installé à Séderon. Ne serait-ce qu’à ce titre, il en demeure une figure primordiale.
A la fin du mois de juin 2009, la nouvelle de son décès est arrivée jusqu’à Séderon. Nous savons maintenant, avec beaucoup de tristesse, que nous ne rencontrerons plus cet homme discret, d’une très grande amabilité, toujours étonné de l’intérêt que les collectionneurs portaient à ses œuvres de jeunesse.
janvier 2010