Dans les lignes qui suivent je me propose d’écrire le récit vivant, sincère et réaliste de la vie d’un enfant du pays, né à la fin du XIXe siècle dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Drôme provençale, entre Eygalayes et Séderon.
Le 22 mai 1894 naît à Eygalayes Paul François Louis Marie Roux. Ce nouveau-né est le fils de Paul Aimé Roux et de Rose Honorine Jouve (née à Izon La Bruisse et apparentée à la famille Jouve de Préverdian).
Paul n’aura pas le bonheur de connaître son père. Celui-ci décède trois ans seulement après sa naissance, à Ollioules le 1er février 1897, dans l’exercice de sa profession de garde-forestier.
Paul a six ans quand sa mère épouse en secondes noces, le 18 octobre 1900, Martial Amon, coiffeur tenant boutique dans la Grand’rue. Cette grande rue concentre plus de la moitié de la population séderonnaise de l’époque et on y trouve surtout des commerces et des boutiques d’artisans : cafetier, cordonnier, épicier, tailleur, marchand drapier, coiffeur, boucher, bourrelier, menuisier…
De cette nouvelle union naîtront deux filles, Rose et Marguerite, demi-sœurs qui décéderont très jeunes.
Onze ans après le décès de son père, Paul voit mourir sa mère. A partir de là, en 1908, il vit avec sa grandmère maternelle Honorine Pascal, veuve de Pierre Fortuné Joseph Jouve.
Paul va vivre les vingt premières années de sa vie entre Eygalayes, Préverdian où il est cultivateur, et bien entendu Séderon.
Il va devenir un enfant de Séderon (petit village de 600 âmes en 1929 à en croire les archives municipales) à part entière, non seulement parce qu’il y vivra et travaillera en tant que cultivateur et/ ou commerçant mais parce qu’il saura très rapidement s’investir sans compter dans la vie politique et sociale du village (conseiller municipal, clarinettiste dans la fanfare du village…).
Lorsque la Grande Guerre éclate, en 1914, il a juste 20 ans. La feuille de route le cueille mais Paul, gravement malade, sera expertisé par un docteur et définitivement réformé. Il revient donc dans son pays natal et reprend ses habitudes de cultivateur en partageant sa vie entre Eygalayes et Sederon.
Nous arrivons au mois d’octobre 1917, le 23 exactement. Paul a 23 ans depuis six mois. Epargné par la guerre, et après avoir vaincu la maladie qui a attaqué ses poumons, il épouse Mademoiselle Rose Marie Joséphine Touche, modiste de son état (à l’époque, une modiste fabrique et vend des articles de mode, et plus spécialement des chapeaux pour dames et enfants). Rose tient boutique dans la Grand’rue de Séderon, à l’emplacement où ont vécu durant de nombreuses années Adrienne et Felix Lazzaroni, figures emblématiques de notre village. Rose est originaire de Sederon, elle est l’une des filles d’Adolphe Touche (dit « Dophe ») et de Constance Bonnefoy.
Mariés, Paul et Rose habitent alors la Bourgade, dans la maison où demeurent aujourd’hui le neveu et la nièce de Rose et de Paul : Henri et Paule Chrestes. La mère d’Henri, Helena Chrestes (née Touche et sœur de Rose), a longtemps géré un magasin de chaussures en compagnie de son époux Fernand, cantonnier (comme l’on disait).
Le premier septembre 1918, Rose lui donnera un fils. Pour l’état civil ce sera Aimé, Pierre Adolphe Roux, et pour moi ce sera mon futur père.
En 1920, Paul et Rose deviennent propriétaires d’une maison dans la Bourgade, juste à côté du café Touche Henri (aujourd’hui salon de coiffure), en face la fontaine. Cette maison porte aujourd’hui le n°5 et est habitée par Mireille et Henri ESPIEU (Mireille née Roux est la deuxième petite-fille de Paul et de Rose, et bien entendu ma sœur).
Paul va s’associer avec son beau-frère Léon Touche et ils deviennent « entrepositaires de bière et limonades ». Leur atelier de fabrication était situé au bas de la Rosière, dans un bâtiment loué à Joseph Dethès. En 1930, Dethès souhaitant récupérer son immeuble, ils transfèrent l’atelier à la Bourgade, dans le local face à l’androne qui existe toujours et appartient aujourd’hui à la famille de Clermont de Galerande.
« ROUX & TOUCHE SÉDERON »] |
Paul Roux et Léon Touche d’autre part 30 avril 1930] |
Le 5 mai 1925 les séderonnais (et pas les séderonnaises, qui devront attendre encore une vingtaine d’années) sont appelés aux urnes pour les élections municipales. Les résultats seront favorables à Paul qui, à 31 ans, devient conseiller municipal. Il est élu avec MM. Sully Bernard, Dunand, Emile Pellat, M. Chauvet, D. Arvieu, Kléber Espieu, G. Chauvet, Bonnefoy, Bouillet, Bruis et H. Signoret.
Le conseil municipal, installé le 11 mai, élit maire Sully Bernard (avec 12 voix sur 12) et Paul Roux premier adjoint, lui aussi avec 12 voix sur 12.
Durant son premier mandant Paul présidera à la distribution des primes aux producteurs lors de la foire du 3 août 1927, l’une de ces foires de nos villages qui avaient un côté bien pittoresque, avec MM. Sarlin M. et Chauvet G. Il siègera à la commission d’aménagement de la Mairie, participera à la révision des listes électorales, il sera aussi délégué chargé de juger les réclamations avec Emile Pellat.
Lors des élections suivantes Paul est réélu et il retrouve son poste de premier adjoint du maire sortant. Tous deux obtiennent 11 voix. Le conseil municipal se compose alors de MM. Sully Bernard (maire sortant réélu), Paul Roux, Emile Pellat, G. Chauvet, Bouillet, Jarjayes, M. Chauvet, Kléber Espieu, H. Signoret, Bruis, Bonnefoy, Reynaud. Je ne veux pas ici énumérer toutes les actions qu’il a conduites, cela ne vaut que pour le premier de ses mandats bien entendu.
Mais permettez-moi de citer une anecdote : je me souviens que mon grand-père nous disait souvent avec humour « C’est moi qui ai marié le Léon ! ». Il s’agit bien entendu du mariage de Léon Michel et Marguerite Moutin, célèbre couple de boucher s’il en est. Dans la Grand’rue on voit aujourd’hui encore l’enseigne de cette boucherie. Marguerite était la fille de Frédéric César Moutin, lui-même boucher à Séderon.
Paul va allier vie familiale, professionnelle, sociale et politique. De réélection en réélection, les mandats municipaux se succèdent jusqu’en 1935. Paul s’acquittera avec conscience, dynamisme et sérieux de toutes les missions qui lui seront confiées. Sa vie professionnelle et familiale suivra son bonhomme de chemin sans péripéties qui méritent que l’on s’attarde.
Nous voilà à présent en 1936. C’est une année charnière dans la vie de Paul puisqu’il propose alors une association à son cousin Maurice Jouve, agriculteur à Préverdian. Une association qui implique pour l’un de quitter Préverdian et pour l’autre de quitter Séderon. La décision prise, Paul et Maurice descendent à Marseille pour gérer une laiterie d’une cinquantaine de vaches au quartier de Bois-Luzy. Durant deux années l’association fait merveille et l’entreprise commune prospère allègrement.
Mais, comme d’habitude dans toutes les histoires de famille il y a un mais. En effet Maurice ressent le mal du pays, Préverdian lui manque, il tente bien de résister mais l’appel du sol natal est le plus fort et il décide de retourner exploiter sa ferme avec son frère Abel et sa sœur Marguerite.
C’est donc décidé. La laiterie est vendue et les associés se séparent. Si l’un retourne dans la Drôme, l’autre décide de rester dans les Bouches du Rhône.
Toujours à Marseille, Paul achète en 1938 un magasin de vins et spiritueux au Chemin de la Madrague-Ville et une maison dans le quartier de Notre-Dame-Limite. Il travaille et habite en famille, avec sa femme et son fils Aimé.
Après la guerre Aimé se marie, et la maison abritera aussi sa famille, Yvette (née Jourdan, à Vergol) et leurs deux filles Monique et Mireille (moi je n’arrive dans l’histoire que plus tard). Paul et son fils vont gérer ce commerce durant vingt-six années.
En 1956, Paul décide d’arrêter sa vie professionnelle. Il vend son commerce et se retire dans une villa du quartier de Saint Just, toujours à Marseille. Il y vivra pendant près de vingt années entouré de son épouse, de son fils qui aura changé d’orientation professionnelle, et de ses trois petits-enfants : Monique, Mireille et… moi bien entendu.
A partir de là, il partage son temps entre Marseille et Séderon où il se rend avec sa 203 Peugeot grise en empruntant la nationale passant par Manosque (Manosque était la pause restaurant traditionnelle), puis Les Bons-Enfants et la vallée du Jabron.
A Marseille il bichonne son jardin, ses canaris, joue aux boules et aux cartes et gère sa retraite et ses affaires. A Séderon il partage son temps entre Préverdian, Eygalayes et le village. A Préverdian il a conservé des liens très étroits avec Maurice, Abel, Théresa, Madeleine et les autres à tel point que là-bas on lui dit « parrain ».
Ces va-et-vient vont alterner régulièrement pendant dix-huit ans.
Arrive l’année 1972. Cette année-là Paul connaît des soucis de santé qui vont le conduire, comme il le disait lui-même « quartier Saint Charles… pas à Marseille mais… à Séderon où la location longue durée est prévue depuis longtemps ». Le 27 juin 1972 Paul entame depuis l’Hôpital Salvator à Marseille son dernier voyage pour Séderon où il a décidé de reposer pour l’éternité. Son épouse Rose l’y rejoindra six années plus tard, puis son fils le retrouvera en septembre 1981 et enfin sa belle-fille Yvette en 2008.
De sa naissance à sa mort, de son mariage avec Rose la modiste à la naissance de son fils et de ses petits-enfants Paul a su donner un sens à sa vie durant 78 années. J’aurais pu, si le titre n’avait pas déjà été utilisé intitulé ce récit « La Gloire de mon grand-père ».
Je tiens à remercier très cordialement celles et ceux qui par leurs témoignages patients et précieux ont accepté de m’aider à rebâtir la vie de mon grand-père.