La création de la confrérie des Pénitents Blancs.
Sous l’Ancien Régime, et plus particulièrement en Provence, les confréries de pénitents, qui regroupent des laïques dans un but religieux, sont l’illustration du phénomène d’imbrication de la religion dans la vie publique. La création de la confrérie des Pénitents Blancs de Séderon date du début juillet 1637 (la délibération de la Communauté du 12 juillet 1637 signale que cette création a été récemment autorisée par l’évêque de Gap, à la demande des administrateurs de la Communauté et de certains autres particuliers ). Elle est sans doute la conséquence, comme pour de nombreuses autres confréries de pénitents, des guerres de religion (qui se terminent en 1598) et du Concile de Trente (qui se tient entre 1545 et 1563) initiateur d’un renouveau religieux s’exprimant dans la manifestation publique de la foi.
La confrérie des Pénitents Blancs est connue actuellement au travers de renseignements éparpillés dans divers documents généraux (compte rendu de visites pastorales, délibérations des administrateurs de la Communauté) et surtout d’informations contenues dans une liasse de papiers émanant de la confrérie, conservée aux archives municipales de Buis les Baronnies et composée :
- d’un Cathallogue des bienfatris ,
- d’un Cathallogue de nos confrères pénitents descédés établis en ce lieu de Séderon ,
- d’un livre de comptes de la confrérie pour les années 1782 à 1784.
La liasse est contenue sous une curieuse chemise en bois ancienne (voir la figure 1), constituée de deux planchettes reliées entre elles par des agrafes en fer. Les faces intérieures des planchettes sont évidées et forment un boîtier recevant les feuilles de la liasse. Une feuille ornée d’un liseré dessiné à la main est collée à l’intérieur de la chemise en bois, sans doute pour constituer un fond. Elle comporte en en-tête le texte suivant ( Dominique Laudric de ce lieu de Séderon enroollé dans la confrérie des pénitents de cedit lieu depuis l’an mille sept cent quartorse ) qui semble être la signature du fabricant de la chemise.
La mission de la confrérie des Pénitents Blancs.
La confrérie des Pénitents Blancs a été érigée sous le titre de Notre Dame de Pitié et réunit des frères et des sœurs dans un but d’entraide sociale et de dévotion publique. Des confréries de Pénitents Blancs sous le même titre sont signalées à la fin de l’Ancien Régime dans la région de Séderon (aux Omergues, à Brantes, à Mollans par exemple).
Le devoir d’entraide sociale des Pénitents Blancs s’exerce principalement lors des cérémonies funéraires : ils s’engagent à enterrer gratuitement les indigents et les étrangers trouvés morts à Séderon, ils s’obligent à porter en terre leurs frères ou leurs sœurs décédés, ils veillent à faire célébrer une messe pour le repos de l’âme de ces derniers tous les deuxièmes dimanches du mois.
Le devoir d’entraide sociale s’exerce aussi au travers de l’assistance que se portent les membres de la confrérie. Ceux-ci sont en particulier tenus de visiter les frères ou les sœurs malades jusqu’à ce que les malades soient remis en santé ou décédés . Si le malade est pauvre, ils sont tenus de le secourir des biens de la confrérie .
Par ailleurs, les Pénitents Blancs accompagnent à leur tombe les particuliers séderonnais qui ont prévu le versement d’un don en argent à la confrérie et récitent pour le sallut de leurs ames un De Profondis tous les deuxièmes dimanches du mois. Le don en argent semble être au moins de 3 livres, il figure parmi une disposition testamentaire de 1734 et une autre de 1769. Le nom des particuliers séderonnais qui ont payé pour être enterrés par les Pénitents Blancs est consigné dans le Cathallogue des bienfatris (sans doute une déformation de bienfaitrice) afin que les dévotions qui leur sont dues puissent durer tant que la confrérie durera . Un pointage des bienfatris dans la liste des Séderonnais décédés dans les années 1748, 58, 68, 78 et 88 (prises à titre d’exemple) permet d’estimer à 26 % la proportion des Séderonnais qui ont voulu être accompagnés dans leur tombe par les Pénitents Blancs. Dans le Cathallogue des bienfatris figurent de nombreux membres des classes aisées (Charles Reynaud-Lacroze, représentant du seigneur de Séderon, et sa femme, le notaire de Séderon Jean-Baptiste Reynaud et son frère, ancien militaire, les bourgeois Jacques Jullien et Jean-Louis Bonnefoy de Baix). Avant l’interdiction des inhumations dans les églises et les chapelles par l’édit royal du 10 mars 1776, certains membres de ces classes aisées se font même enterrer dans la chapelle des Pénitents Blancs. C’est le cas en 1764 du bourgeois Jean Jullien, père de Jacques Jullien et de l’avocat Joseph-François Bonnefoy et en 1768 du curé Denis Jullien, oncle de Jacques Jullien. La fille de la Séderonnaise Marie-Anne Brachet, femme du notaire des Omergues, morte à l’age de 18 jours, est enterrée en 1747 dans la chapelle des Pénitents Blancs des Omergues.
A Séderon, à la fin de l’Ancien Régime il n’est pas fait usage de cercueils, les Séderonnais sont ensevelis à même la terre, enveloppés dans un linceul (au début du XVIIIe siècle, les frais d’obsèques d’un Séderonnais, pris en charge par la Communauté, ne comprennent que la fourniture d’un drap pour le suaire et le creusement du tombeau ). Le corps du défunt est transporté au cimetière sur une civière fournie par la Communauté et équipée depuis 1712 d’une armature en dos d’âne recouverte d’un drap mortuaire pour, à la demande de l’évêque de Gap, faire avec decence le service des defunts . Cette civière est encore en 1773 désignée par le terme de bierre (bière mal orthographiée) dérivant du mot bera qui au Moyen Âge désigne un brancard (quand l’usage des cercueils se développera, le terme de bière sera pris au début pour désigner le cercueil et donnera naissance à l’expression mise en bière ). Quand il est fait appel à leur service, ce sont 4 Pénitents Blancs qui portent la civière et cette ancienne pratique fut peut-être perpétuée jusqu’à une époque récente par les 4 Séderonnais anonymes qui se proposaient pour porter le cercueil lors des enterrements.
Pour exprimer leur devoir de dévotion publique, les Pénitents Blancs participent à toutes les cérémonies religieuses. À ces occasions ils portent une tenue blanche (une aube et une cagoule percée de deux trous pour les yeux) qui leur a donné leur nom. Cette tenue uniforme, qui cache le visage et l’habit, concrétise le principe d’égalité qui doit régner parmi les membres de la confrérie.
La tenue des Pénitents Blancs devait être sensiblement identique à celle reproduite à titre d’exemple sur la figure 2.
Organisation et composition de la confrérie des Pénitents Blancs.
Les Pénitents Blancs ont une chapelle où ils tiennent leurs offices et, pour entretenir ce bâtiment et son mobilier, ils bénéficient de ressources qui proviennent d’une part de dons et des cotisations versées par les membres (les cotes ) et d’autre part des quettes (c’est-à-dire des quêtes effectuées lors de certaines cérémonies religieuses). Pour les années 1782 à 1784 les ressources annuelles de la confrérie des Pénitents Blancs s’élèvent en moyenne à environ 36 livres (35 % des cotes , 47 % des dons et 18 % des quêtes). À côté des dépenses d’entretien de la chapelle figure l’achat de cierges que les Pénitents Blancs portent pendant les cérémonies.
Toutes les confréries de pénitents du diocèse de Gap sont naturellement placées sous l’autorité de l’évêque.
Elles doivent en principe s’organiser selon un modèle de statuts proposé par ce dernier.
À Séderon, un recteur élu dirige la confrérie et nomme ses officiers parmi lesquels figurent sans doute un trésorier et un sacristain.
L’analyse des noms enregistrés entre 1791 et 1815 dans le Cathallogue de nos confrères pénitents descédés établis en ce lieu de Séderon apporte quelques renseignements sur la composition de la confrérie des Pénitents Blancs à la fin de l’Ancien Régime :
- la proportion des pénitents dans la population peut être estimée à 30 % (65 décès de pénitents enregistrés dans le catalogue pour 218 décès d’adultes enregistrés dans les registres paroissiaux),
- les pénitents comptent autant de sœurs (48 %) que de frères (52 %),
- la confrérie regroupe principalement les membres des classes moyennes de la Communauté (pas de bourgeois, 21 % de négociants, 34 % d’artisans, 36 % de paysans aisés et 9 % de paysans pauvres).
La chapelle des Pénitents Blancs.
En autorisant les Pénitents Blancs à créer leur confrérie, l’évêque les autorise également à faire leur exercice dans la tribune de l’église, si la Communauté y consent. Ce consentement est obtenu aux conditions fixées dans la délibération du 12 juillet 1637 (défense aux étrangers à la confrérie d’entrer dans l’église pendant l’ exercice des Pénitents Blancs sans l’accord de ces derniers, défense aux Pénitents Blancs d’interrompre l’office qui se fait dans ladite église ). Cette cohabitation semble satisfaire tout le monde dans un premier temps (le compte-rendu de la visite de l’évêque de Gap à Séderon le 5 juin 1641 signale que la tribune de l’église paroissiale est utilisée par les Pénitents Blancs pour leurs offices) mais déjà, lors de la délibération du premier avril 1640, les Pénitents Blancs ont fait part à la Communauté de leur intention de construire une chapelle pour leur confrérie et ont demandé que l’achat de son emplacement soit à la charge de la Communauté.
À la mi-année 1641, la construction de la chapelle n’est pas commencée (la chapelle n’est pas mentionnée dans le compte-rendu de la visite pastorale du 5 juin 1641). En 1687, la chapelle est utilisée par les Pénitents Blancs mais sa construction n’est pas totalement achevée (lors de sa visite du 20 mars 1687, l’évêque signale que la chapelle n’est pas encore pavée).
Jusqu’à la Révolution, la chapelle semble être en bon état. Elle est couverte de tuiles, bien voûtée et ses murs intérieurs sont blanchis à la chaux. Elle comporte un autel orné d’un tableau, d’un crucifix et de 4 chandeliers en laiton. Comme c’est généralement le cas en Haute Provence, la chapelle des Pénitents Blancs devait être assez semblable aux autres maisons du village. Elle ne s’en différencie même pas par un clocher puisque la cloche que les Pénitents Blancs possèdent est installée au clocher de l’église paroissiale.
La chapelle est suffisamment grande pour abriter le 20 février 1791 une assemblée générale réunissant 106 chefs de famille.
L’emplacement exact de la chapelle des Pénitents Blancs est difficile à déterminer car il n’est donné dans aucun des documents consultés aux archives. De plus, il ne figure pas sur le premier plan cadastral de Séderon car la chapelle est signalée en ruines lors d’une visite de l’évêque de Valence en 1824, peu de temps après l’établissement de ce plan.
Quelques renseignements indirects, donnés dans les comptes rendus des visites pastorales antérieures, laissent penser qu’elle est voisine de l’église :
- lors de sa visite en 1740, l’évêque signale qu’elle se trouve à quelques pas de l’église et la décrit avant de décrire le cimetière,
- lors de la visite de 1687, sa description vient juste après celle du cimetière,
- dans la délibération du premier avril 1640, il est prévu de la construire dans l’enclos dudit Séderon .
Il est permis de supposer que la chapelle des Pénitents Blancs se situait sur une plate-forme ancienne aménagée depuis le pont et jusqu’à l’entrée de la gorge de l’Essaillon, devant l’église et le long du cimetière. La plateforme est soutenue en bordure de la Méouge par une muraille (qui en 1773 doit être réparée aux frais de la Communauté). Elle devait constituer le parvis de l’église et du cimetière et de ce fait appartenir à la Communauté (sur le premier plan cadastral de Séderon elle est enregistrée comme bien communal). L’emplacement de la chapelle des Pénitents Blancs sur cette plateforme pourrait avoir été cédé par la Communauté pour honorer son engagement à payer cet emplacement.
La disparition de la confrérie des Pénitents Blancs.
La confrérie des Pénitents Blancs, comme les autres associations pieuses, est interdite à la Révolution par la loi du 18 août 1792. En 1824, lors d’une visite à Séderon, l’évêque de Valence signale que la confrérie des Pénitents Blancs est tombée en désuétude et que leur chapelle a croulé . Les Pénitents Blancs ne semblent toutefois cesser leur activité qu’au début de l’année 1839. En effet, le dernier décès enregistré dans le Cathallogue de nos confrères pénitents descédés établis en ce lieu de Séderon date du premier avril 1839, c’est celui de Marie-Elizabeth Grandcham âgée de 76 ans, filleule de Jacques Segond, seigneur de Séderon.
À la Révolution, les 2 réunions plénières où fut décidé le partage des terres et des bois communaux situés au quartier de Saint-Baudille (réunions du 2 novembre 1790 et du 13 mars 1791) se tiennent dans la chapelle des Pénitents Blancs. Ce choix, qui semble résulter du besoin d’une salle de réunion capable d’accueillir les nombreux chefs de famille séderonnais intéressés par ce partage, est peut-être aussi dicté par la volonté de faire apparaître ce partage comme une aide aux familles défavorisées, inspirée des valeurs de la confrérie des Pénitents Blancs.