Dans le petit cimetière marseillais de la Treille, environné de collines et surplombant la vallée de l’Huveaune, non loin de la ville d’Aubagne sa terre natale, est enterré Marcel PAGNOL. Il repose sous une simple dalle sur laquelle est gravé « Fontes amicos uxorem delixit » ( « Il aima les sources ses amis sa femme » ), entouré de sa mère Augustine et de sa fille Estelle morte à l’âge de 3 ans en 1954.
Plus loin dans la même allée se trouve la tombe de la Famille PAGNOL. Y sont enterrés ses deux frères, Paul « le dernier chevrier », René et sa seconde épouse, sa « petite soeur » Germaine ( épouse GOMBERT ), son père Joseph et Madeleine Claire JULLIEN épouse Joseph PAGNOL.
Madeleine PAGNOL : j’avais entendu ce nom dans mon enfance, probablement au moment de son décès, lorsque des amies séderonnaises « exilées » à Marseille se retrouvaient chaque semaine chez ma grand-tante et évoquaient le pays. Il m’est revenu en mémoire récemment et j’ai voulu savoir qui était cette femme évidemment liée à Séderon et à l’écrivain.
Elle s’appelait Madeleine JULLIEN. Son père Denis Eugène est né à Séderon le 10 octobre 1843 dans une famille installée depuis longtemps dans ce village et à Barret de Lioure. En effet dès 1669, début des archives d’État Civil de Séderon, ses ancêtres JULLIEN sont mentionnés. Le 26 janvier 1693, Jean Joseph JULLIEN avait épousé Thérèse MANENT, probablement fille unique. D’où le surnom de MANENT qui, sous diverses orthographes, va leur rester. C’était aussi le nom du quartier situé sur le versant Nord du Crapon et de la ferme dite maintenant « la Julienne », maison natale de Camille, le photographe éditeur de cartes postales. Le père de Madeleine était d’ailleurs cousin du père de Camille.
Denis Eugène était menuisier et ébéniste. Comme beaucoup d’habitants de nos montagnes à cette époque, il va descendre vers le Sud, soit pour être placé en apprentissage, soit pour rechercher du travail en qualité d’ouvrier confirmé. En 1870 il est à Ste Tulle ( Basses Alpes ) où il se marie le 20 avril avec Marie Julie SICARD, fille d’un menuisier. Mais celle-ci meurt l’année suivante.
Il se remarie le 12 août 1882 à La Ciotat. Il travaille alors probablement aux chantiers navals, actifs depuis 1836 et en plein essor à cette époque. Car si les bateaux ont déjà des coques en acier, leurs aménagements intérieurs sont en bois, en particulier les cabines des passagers qui sont souvent très luxueuses.
Madeleine naît à La Ciotat le 23 juin 1887, dans la cité ouvrière n°22. Sa mère Marie JOUBERT y était née le 12 novembre 1859, et y mourra le 26 septembre 1892 alors que Madeleine n’a que 5 ans.
Où Madeleine passe-t-elle sa jeunesse et son adolescence ? Sans doute en partie à Séderon, même si ses grands-parents séderonnais sont décédés. Car c’est là qu’elle se marie, le 30 avril 1904 avec Isidore Adrien CONSTANTIN, né à Séderon en 1878 et menuisier lui aussi. Elle a 17 ans. Son père réside alors à Port de Bouc où les Chantiers de La Ciotat ont créé un nouveau chantier naval vers 1899.
Lors du recensement de mars 1911, ils se trouvent tous les trois à Séderon, le père, la fille et le gendre. Peu de temps après, le 5 mai 1911, survient le décès du mari. Madeleine, jeune veuve de 25 ans, quitte alors Séderon et vient s’installer à Marseille, boulevard de la Madeleine.
Joseph PAGNOL aussi est veuf. Depuis le décès de sa femme Augustine, le 16 juin 1910, il a dû engager une gouvernante. En effet si Marcel a 15 ans et Paul 12, leur soeur Germaine n’en a que 8 et le petit dernier René seulement quelques mois.
Dans un article [1] paru dans « Le Luminaire », Suzy LIEBGOTT indique que cette gouvernante prénommée Aimée était originaire de Lachau. Elle emmena les enfants Pagnol passer leurs vacances à la ferme du Gravas, quartier de la Pinier, chez ses parents SARLIN. Une carte expédiée de Lachau, écrite par Paul à sa tante en 1916, illustre un des premiers séjours.
Par la suite toute la famille passera les vacances à Lachau, habitude que Germaine PAGNOL–GOMBERT, la petite soeur, perpétuera jusqu’à sa mort en 1993.
C’est par l’intermédiaire d’Aimée que Madeleine et Joseph firent connaissance. Dans sa biographie de Marcel PAGNOL [2], Raymond CASTANS écrit :
« Au printemps 1911, Joseph PAGNOL, n’y tenant plus, se décide à engager une gouvernante Aimée, une veuve, à qui sa meilleure amie Madeleine, veuve elle aussi, vient parfois donner un coup de main. Madeleine est jolie femme. Elle a tout juste passé la trentaine [3]. Ce qui doit arriver arrive. Au cours de l’hiver, Joseph, qui souffre vraiment de sa solitude, propose à Madeleine de l’épouser, ce qu’elle accepte… »
Selon la législation de l’époque, le père de Madeleine doit donner son consentement au mariage. Comme il est toujours domicilié à Séderon, l’acte est dressé par Me Paul BERNARD, notaire. Denis Eugène décédera à l’hôpital de Buis les Baronnies en 1923 âgé de 79 ans.
Joseph, pur produit de l’Ecole Normale, est bien sûr anticlérical. Pourtant il va consentir à un mariage religieux, ce qu’il avait refusé lors de son premier mariage. Le 30 juillet 1912, la cérémonie sera célébrée à l’église St Pierre St Paul de Marseille, par l’abbé ROUSSEL.
Marcel PAGNOL accepta très mal ce remariage, tant il aimait sa mère. La brouille avec son père s’accentua, même si plus tard les deux hommes se rapprochèrent.
Le couple PAGNOL va alors habiter au Cours Julien n°66. Plus tard à la retraite Joseph habitera au Prado, Impasse des Peupliers, dans un hôtel particulier attenant à l’usine où Marcel fait développer ses films, en compagnie de sa fille Germaine. Puis à partir de 1941, Marcel ayant acheté le château de la Buzine ( « le Château de ma Mère » ), Joseph vivra les dernières années de sa vie dans la maison qui servait auparavant aux régisseurs du château.
Madeleine, elle, avait dû être placée dans une maison spécialisée à Meyzieu ( Rhône ). Elle y mourut en 1949, deux ans avant Joseph. Grâce à elle un séderonnais, aujourd’hui disparu, pouvait raconter avoir croisé Marcel PAGNOL dans les rues de notre village...
Deux photos, prises à La Treille en 1912 ou 1913, permettent de donner un visage à Madeleine :
avec Germaine et René |
Marcel Pagnol, son ami Yves Bourde, Madeleine et Joseph Pagnol au 1er rang : Mme Bourde, René et Germaine Pagnol, Mme et M. Thouvenin, leur fils et Lilette Bourde, la bonne |
Ces photos nous ont très aimablement été communiquées par M. Jean-Baptiste Luppi, auteur d’un livre passionnant et fort détaillé : « de Pagnol Marcel à Marcel Pagnol » [ Paul Tacussel éditeur – Marseille – 1995 ]