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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Société musicale de Séderon
Article mis en ligne le 1er décembre 2018
dernière modification le 19 août 2022

par ANDRIANT Hélène, POGGIO André

Bannière, Musique et flonflons

Lorsque j’étais enfant, on me répétait souvent pour aiguillonner ma flemme : « l’effort porte en lui-même sa récompense », et autre « le travail est un trésor » (Merci La Fontaine !)

Eh bien, au-delà des visées moralisantes de ces phrases exaspérantes pour tout écolier, il arrive que ce soit vrai !

Cet été, quelques bénévoles de l’Essaillon se sont employés à trier les archives municipales pour les installer dans la nouvelle mairie. Et en donnant un fugitif coup de main, je suis tombée sur un tissu plié qu’il était bien difficile d’identifier, ayant subi l’outrage d’un siècle environ de poussière et d’humidité.

Après quelques jours d’un minutieux nettoyage – talc et aspiration pour enlever le moisi sans abîmer la pièce – j’ai vu cette splendide bannière, rouge cramoisi, fraîche, sans effilochage des passementeries, quasiment prête à reprendre du service.

J’emploie le terme de bannière, car le mot étendard est résolument militaire. Notre bannière s’apparente aux bannières de procession. « De forme rectangulaire, suspendue par le petit côté supérieur du rectangle à un bâton horizontal, lui-même porté par une hampe. Elle peut comporter des cordons latéraux terminés par des pompons. »

Nous avons la hampe, glorieusement surmontée d’une lyre, il ne nous manque que le baudrier nécessaire pour porter sur la distance, même par vent fort, cet objet lourd et volumineux.

Notre bannière a traversé le temps sans s’abîmer, velours, passementerie d’une incroyable qualité.

La dépense a dû être importante, voire fastueuse, j’ai donc voulu en savoir plus.

Comme Internet regorge d’experts en tout genre, j’ai largement puisé ma science à une thèse de 2013 sur : « Les bannières religieuses. Une approche du catholicisme bas-breton 1805-2012 » de Christiane Guillou (Université Européenne de Bretagne, Brest).

Heureusement cette doctorante, au cours de ses 545 pages, fait des détours par les productions des bannières civiles, leur coût, leur fabrication et tout ce qui pouvait nous concerner, avec toute une partie sur les « vieilles bannières » qui nous éclaire au-delà de ce que je voulais savoir !

Donc en reprenant l’image de la couverture :

Tout est fait pour conserver la dignité et la rigidité de la bannière au vent : bandes et cannetilles en fil métallique lourd, le cordon tenant les pompons, solidaire de la traverse, pouvant être tenu par des acolytes contre la tempête !

Si j’en crois cette thèse, les bannières religieuses ont été le plus souvent peintes, à partir du 19ᵉ siècle, par économie. On se souvient d’Angélique, dans « Le Rêve » de Zola, et du faste des chasubles et bannières, brodées à grand savoir. « Angélique cassait des aiguilles du matin au soir tellement il était dur de coudre l’or à travers les épaisseurs de fil ciré… »

Depuis le milieu du XIXᵉ, les chasubliers – car tel est le nom de ces artisans – disposent grâce aux machines Cornely ou Singer, d’un point « guidé-main » qui donne l’illusion du fait main.

Il existe divers catalogues de « Bannière et chasublerie » des années 1900 qui nous donnent une indication du montant d’un tel ouvrage :

Catalogue BIAIS, bannière et chasublerie (Fonds catalogues commerciaux, Bibliothèque Forney)
* Bannière religieuse ou non religieuse de 0,85 m x 1,30 m

(ce qui est l’exacte taille de la nôtre)

de 110 F à 250 F.
* Une traverse en bois ordinaire et bâton 6 à 8 F
* avec motif de 24 à 30 F
(Catalogue des bannières non religieuses, J. ARAGON, 20 rue Bonaparte à Paris)

Sachant qu’une journée d’ouvrier était payée 3 à 5 F, que le convertisseur INSEE donne environ 3 000 € pour 200 F. De centaines de maisons de chasublerie, nous sommes passés à une seule, la maison Slabbinck 7 rue Condé à Paris (6ᵉ) qui fabrique encore ce type de bannière pour un coût estimé de 1755 €. Qu’est-ce qui a pu pousser Séderon à une dépense aussi somptuaire ?

Grâce à la lettre citée plus bas par André Poggio, nous savons que courant mai 1904, la Vogue a été exceptionnelle a Séderon, avec « les Musiques de Laragne et Vaison ».

En cherchant bien, je retrouve, toujours active, la Société Musicale de Laragne, créée en 1885. Madame Pinet, qui la préside aujourd’hui, m’a gentiment envoyé la photo de leur bannière.

La hampe est identique.

Le tissu et les caractères de la broderie sont identiques

Il n’y a aucun doute, la même maison est à l’origine des deux pièces.

Or en 1904, nous n’avions pas de bannière… En 1905, nous en avons une plus ornementée encore que celle de Laragne. La commune, comme l’homme, selon la Bible, « ne vit pas de pain seulement… » mais aussi de fierté, d’honneur ! Notre village est plus petit, mais nous pouvons avoir une bannière aussi belle que celle de ‘la ville’ !

Enfin pour clore ce chapitre de l’orgueil villageois, je ne résiste pas au plaisir de signaler que le Musée de Morlaix expose une bannière de l’harmonie municipale, avec porte-médaille, de 1902, « à 3 festons semblable aux bannières religieuses ».

Bannières du Musée de Morlaix

Notre bannière porte à son envers l’étiquette du fournisseur (et non du fabricant)

La Société de Musique de Séderon n’a pas hésité à s’adresser au meilleur :

Emmanuel Aimé Gaudet – Faubourg Saint-Denis et Boulevard Bonne Nouvelle – est bien connue des mélomanes pour ses éditions de partitions [1]. Il a racheté, en 1895, la Maison Lafleur « Alliance musicale », créée en 1780.

Cette maison Lafleur est citée, en 1837, comme spécialiste des archets, avec une boutique spécialisée 9 rue du Petit Carreau. Éditeur spécialisé en « Ouvertures, cavatines, fantaisies, morceaux de concert », fabricant d’instruments.

Gaudet, lui, devient l’éditeur privilégié de « Musique pour fanfare, harmonie, orchestre », fournisseur officiel des Armées et Conservatoires de France, Belgique, Angleterre, Amérique. Fabricant d’instruments à vent, bois et cuivre, et enfin fournisseur de tous accessoires pour fanfare et harmonie (dont les bannières).

Diverses publications Gaudet

Je ne sais si tous les musiciens avaient un instrument « Gaudet » mais il est extrêmement renommé pour ses cornets à pistons, étant même auteur d’une méthode de cornet à pistons primée à l’Exposition Universelle d’Anvers en 1894.

Enfin, la médaille, qui a intrigué André Poggio par son intitulé « Les enfants de la Méouge », est signée du sculpteur médailleur français Jean Lagrange (1831-1908) qui n’est rien moins que le Graveur Général des Monnaies, de 1880 à 1896. Bien sûr cette médaille n’est pas unique, son motif est repris sur d’autres médailles de sociétés, mais c’est tout de même une belle médaille des « Éditions Monnaie de Paris ».

Cette Société de Musique a traversé, sans sa bannière puis avec, au moins 50 à 60 ans de la vie locale, et a vu les séderonnais dans le plaisir des retrouvailles au son d’une musique allante, qu’on espère également harmonieuse…

Elle a signé des moments de fête, de partage, et on ne peut qu’être content que ce bel objet, dans tout son éclat, nous le rappelle.

Hélène Andriant

Les Enfants de la Méouge

La première trace écrite concernant la Société de Musique est une délibération du 8 juin 1862, par laquelle le conseil municipal décide le « vote de 80 F pour le Corps de Musique de Séderon, sous la direction de M. Autran, instituteur public. »

Les autres traces écrites, je les ai retrouvées dans nos anciens bulletins du Trepoun.

Ainsi dans le n°7, c’était en 1988, un article de M. René Delhomme faisait allusion à la vie musicale à Séderon et à cette société dans laquelle son grand-père jouait. Voilà ce qu’il écrivait :

Lettre du 24 mai 1904 (adressée par mon grand-père, Amédée Vilhet, à sa fille, ma mère).

… M Ficot, notre docteur et adjoint, a organisé une vogue comme jamais on n’en avait vue à Séderon. Les musiques de Laragne et de Vaison sont venues et tout le dimanche ce n’a été que concerts. Notre Orphéon et notre musique s’y sont joints et des tonnerres d’applaudissements ont suivi chaque morceau. La grand’rue jusqu’au bal était tout enguirlandée et illuminée.

Il ornait son propos d’une photo, photo qu’il datait des environs de 1890. Malheureusement, le Trepoun n’en reproduisait qu’une photocopie, ce qui n’assurait pas une grande qualité – mais en 1988 la photo numérique n’était pas encore une denrée ordinaire. Quant à l’original, je ne sais pas ce qu’il a pu devenir.

Pour prendre la pose, les musiciens se sont disposés devant la porte de l’église, le bâtiment le plus neuf du village puisqu’achevé seulement depuis 1884. Amédée Vilhet est sur la photo, au second rang, le deuxième en partant de la gauche

Le grand nombre de cuivres, quelques tambours, donnent à la société musicale une forte allure de clique militaire.

Maurice Gontard avait lui aussi évoqué la société musicale dans sa présentation de « Séderon en 1910 » (Trepoun n°1-1986) :

« Autre aspect de la vie dans notre village en 1910 : les manifestations de la vie collective, et en particulier les foires et les fêtes.

… Fin mars, le 28, la société de tir, récemment fondée donnait sa fête annuelle. Elle était présidée par Roussin, le receveur buraliste, ancien adjudant, assisté de l’instituteur Moncquet, trésorier et d’Ollivier fils secrétaire. De 8 heures à 3 heures de l’après-midi les tireurs se sont succédés, avec des prix offerts par des donateurs généreux ; la fanfare de Séderon, dirigée par Meffre et Marie, prêtait son concours ; () le soir à 11 heures un superbe ballon est monté dans les airs aux applaudissements de tous ; le bal a battu son plein jusqu’à une heure avancée de la nuit »

M. Gontard qualifie la société de fanfare – on n’est pas loin de la clique – et sans doute l’essentiel du répertoire était-il composé de partitions martiales.

Deux photos permettent de montrer la fanfare vers 1910, sans qu’aucun élément ne permette de les dater précisément :

Ils étaient 22 musiciens en 1890, ils ne sont plus que 18. Mais la société a eu suffisamment de fonds pour offrir à chacun de ses membres une casquette galonnée. Le chef de musique est devenu aisément reconnaissable grâce à sa position assise et à son képi à motifs.

Et surtout apparaît la splendide bannière dont Hélène Andriant vient de reconstituer toute l’histoire !

Sur ce second cliché, les casquettes sont désormais blanches. L’effectif de la troupe a encore diminué, et on reconnaît quelques visages figurant déjà sur la photo précédente.

Mais surtout, par sa position centrale, la bannière est beaucoup plus visible… en l’examinant attentivement on distingue quatre médailles : une est accrochée à la barre supérieure (la traverse), les trois autres sont pendues sur un cordon reliant les deux pommeaux.

Elles ne sont plus que trois sur la bannière que nous venons de retrouver dans les archives séderonnaises :

—  deux sont identiques – en métal doré, elles portent l’inscription :

« concours musical de Vaison – 19-20 avril 1908 »

Constatons que notre société ne manquait ni de courage ni de talent, n’hésitant pas à se mesurer à d’autres lors de compétitions régionales. Et arrivant à remporter la palme !

—  sur la 3ᵉ médaille, un texte gravé :

LES ENFANTS DE LA MEOUGE – SEDERON.

Que désigne-t-il ? La Société Musicale s’était-elle donné un nouveau nom ?

Il est très possible que, pour se mettre en conformité avec les dispositions de la loi de 1901 sur les associations, la Société se soit dotée de statuts et d’une appellation nouveaux. Seule la consultation des registres de déclaration d’association permettrait d’en savoir plus.

La société musicale n’a pas disparu avec la guerre de 14. Beaucoup de séderonnais m’ont raconté qu’un membre de leur famille en a fait partie, qu’il y jouait d’un instrument dans les années 1920-1930. Si vous avez des souvenirs, des photos de cette époque, n’hésitez pas à nous les montrer. Nous pourrons en faire la publication pour compléter l’article.

En guise de point d’orgue, pour terminer l’évocation, je ne résiste pas au plaisir de l’illustrer avec une case de bande dessinée [2] ; elle date de 1955…

En tête du défilé, la bannière ne semble-t-elle pas une copie conforme de celle de Séderon ?

André POGGIO