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« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

La location des bancs et des chaises dans l’église de Séderon
Article mis en ligne le 1er juillet 2019
dernière modification le 9 juillet 2022

par sandy-pascal

Préface

Dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, les paroissiens devaient louer la place dans l’église de Séderon où ils pouvaient installer un banc ou une chaise pour assister aux offices. L’argent ainsi collecté, à la suite d’une concession et d’une location de ces places, constituait le principal revenu de la fabrique paroissiale de Séderon chargée de l’entretien de l’église. Sont ainsi attribuées nominativement 112 places réparties dans la nef (18 bancs de 4 places, 4 bancs de 3 places et 54 chaises), dans la chapelle de Notre Dame (27 chaises) et dans la chapelle de Saint Joseph (11 chaises).

Les lignes qui suivent sont consacrées à cette pratique révolue. Elles sont basées sur un fond d’archives ecclésiastiques conservé aux archives municipales de Buis les Baronnies (liasse 16 J 274).

La fabrique paroissiale de Séderon

Le décret du 2 novembre 1789 a mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation et, à partir de cette date, divers décrets tentent d’organiser leur gestion. Ils aboutissent au décret du 30 décembre 1809 qui, dans chaque paroisse, place cette organisation sous la responsabilité d’une fabrique paroissiale, et ce jusqu’à la loi de séparation de l’Église et de l’État de1905.

Le terme de fabrique désigne à l’origine les biens rassemblés pour fabriquer une église, il est utilisé par la suite pour désigner l’organisme de gestion des biens permettant l’entretien de l’église.

Les fabriques paroissiales sont gérées :

  • par le conseil de fabrique, organe délibérant composé du maire et du curé (membres de droit) et d’au moins cinq membres choisis par cooptation,
  • par le bureau des marguilliers, organe d’exécution composé d’un président, d’un trésorier et d’un secrétaire tirés au sort parmi les membres du conseil de fabrique et dont le curé est également membre de droit.

Le conseil de fabrique de Séderon se compose de 7 membres, qui en 1836 sont :

  • Jean Denis Baudille Jullien, ex juge de paix, président,
  • Charles Antoine Reynaud Lacroze, notaire, secrétaire,
  • Étienne Francou, curé, président du bureau des marguilliers,
  • François Bonnefoy de Baix, greffier, secrétaire du bureau des marguilliers,
  • Pierre Antoine Augustin Jullien, propriétaire, trésorier du bureau des marguilliers,
  • Xavier Aristide Viens, médecin, maire,
  • Jean Michel Bruis, propriétaire, adjoint au maire.

Les marguilliers tiennent en particulier à jour les documents qui prouvent la bonne exécution des décisions du conseil de fabrique, comme l’origine de leur nom l’indique (du latin matricularius, celui qui tient un registre).

Le presbytère, habitation du curé de Séderon, est le lieu ordinaire des séances du conseil de fabrique et du bureau des marguilliers. Il occupe déjà à l’époque le bâtiment de l’ancienne cure, propriété de la commune (en 1838 le conseil de fabrique signale que Séderon possède un fort joli presbytère et jardin attenant).

Le règlement sur les bancs et chaises

En 1836, le conseil de fabrique se plaint d’une occupation anarchique de l’église par les bancs et les chaises des fidèles (la liberté qu’on avait laissée aux particuliers d’y placer leurs bancs et leurs chaises où bon leur semblait a eu pour conséquence que les passages de l’église sont presque entièrement obstrués et que les cérémonies ne peuvent plus s’y faire d’une manière décente). Et ce même conseil insiste sur la nécessité de n’accorder à chaque famille que le moins de place possible au vu de l’étroite enceinte de l’église et de ne plus permettre que quelques familles qui ont actuellement des places dans l’église croient pouvoir en jouir à perpétuité.

Pour se mettre en conformité avec le décret du 30 décembre 1809 et pour faire cesser le désordre et la confusion qui s’étaient peu à peu introduits dans l’église, le conseil de fabrique de Séderon établit le 3 juillet 1836 un règlement sur les bancs et chaises comportant les 18 articles suivants.

  • art. 1 – il ne pourra y avoir dans l’église que vingt-deux bancs et quatre-vingt-dix chaises,
  • art. 2 – les chaises seront uniformes, les bancs le seront aussi quant à la largeur et la hauteur et pour ce qui concerne la longueur elle sera déterminée par le bureau des marguilliers,
  • art. 3 – les bancs et les chaises sont à la charge des concessionnaires,
  • art. 4 – les bancs seront placés sur deux rangs dans la nef, tous à la suite des uns des autres, d’avoir dix du coté de l’Epître et dix du côté de l’Évangile, les deux autres demeureront dans les chapelles collatérales,
  • art. 5 – la place des bancs et des chaises n’est que pour la vie des concessionnaires, à son décès ou changement de domicile cette place sera délivrée aux enchères,
  • art. 6 – le chef de famille sera seul considéré comme concessionnaire de banc et ne pourra l’être à la fois de deux bancs,
  • art. 7 – le concessionnaire d’un banc ne pourra pas l’être en même temps d’une chaise,
  • art. 8 – le bureau des marguilliers demeure chargé de dresser un tableau dans lequel seront inscrits le nom, prénoms et numéro de la place du concessionnaire,
  • art. 9 – le chef de famille qui n’aura pas de banc pourra avoir un nombre de chaises proportionné aux membres de sa famille, sans que ce nombre puisse excéder celui de trois, qu’il ôtera si à l’avenir il a un banc,
  • art. 10 – plusieurs chefs de famille pourront occuper un banc en commun, néanmoins la fabrique ne reconnaîtra qu’un seul concessionnaire,
  • art. 11 – l’échange de bancs et chaises est toléré, sauf l’agrément du bureau des marguilliers,
  • art. 12 – il est interdit aux concessionnaires de vendre la jouissance de leurs places,
  • art. 13 – lorsque la place d’un ou d’une chaise sera mise aux enchères, l’adjudicataire versera de suite le prix de l’adjudication dans la caisse du trésorier, indépendamment de la rétribution annuelle, à défaut l’adjudication sera nulle et il sera passé à de nouvelles enchères,
  • art. 14 – les offres dans le cas d’enchères en dessous de la rétribution annuelle ne seront point admises, et elles ne pourront être moindres quant aux bancs de cinquante centimes et quant aux chaises de vingt-cinq centimes,
  • art. 15 – la rétribution annuelle des bancs est fixée à quatre francs, si ce n’est les deux qui seront vis à vis des piliers de l’église et les deux qui se trouveront dans les chapelles collatérales dont le prix est fixé à trois francs chacun ; celle des chaises à un franc ; ces rétributions seront payées entre les mains du trésorier, le premier janvier de chaque année en commençant le premier janvier 1837,
  • art. 16 – les rétributions se payant par anticipation, tout concessionnaire qui décédera dans le courant de l’année laissera de droit la jouissance à sa famille jusqu’au premier janvier suivant, époque à laquelle il sera procédé aux enchères des places qu’il occupait,
  • art. 17 – si les concessionnaires n’acquittaient pas leur rétribution dans le courant du mois de janvier, leurs bancs et chaises seront mis hors de l’église et leurs places mises aux enchères,
  • art. 18 – le bureau des marguilliers est chargé de l’exécution du présent arrêté.

Le tableau que doit dresser le bureau des marguilliers se présente sous la forme d’un registre du bureau des marguilliers de Séderon tenu à jour de 1836 à 1894 et rassemblant :

  • les listes des concessionnaires de place dans l’église,
  • les procès-verbaux des adjudications de place,
  • un plan de l’église donnant la situation des places (ce plan, collé sur la face interne de la couverture du registre, est reproduit sur la figure jointe).

La procédure de concession

La procédure de concession est consignée sous la forme de procès-verbaux d’adjudication annuels.

Les places de banc et de chaise qui ont été libérées l’année précédente (en moyenne 4 ou 5 places rendues au bureau des marguilliers du fait du décès du concessionnaire, de son changement de domicile ou de son abandon volontaire) sont signalées préalablement sur un placard puis mises aux enchères le 3ᵉ dimanche de janvier, après les vêpres, par les membres du bureau des marguilliers, dans le presbytère. Le prix d’adjudication est en moyenne de 4 francs pour un banc, 2 francs pour une chaise dans la nef et 1 franc pour une chaise dans la chapelle de Notre Dame ou de Saint Joseph. Mais ces prix peuvent notablement varier en fonction de la situation de la place dans l’église (un banc et une chaise proches de la chaire sont respectivement adjugés 38 francs et 17 francs). Ces sommes sont de suite versées dans les mains du trésorier.

L’état initial des concessionnaires de place

En introduction du registre du bureau des marguilliers, se trouvent 4 tableaux listant respectivement les concessionnaires de banc dans la nef, de chaise dans la nef, de chaise dans la chapelle de Notre Dame et de chaise dans la chapelle de Saint Joseph. Ces tableaux, dressés par le bureau des marguilliers le 7 août 1836, donc immédiatement après la délibération du conseil de fabrique du 3 juillet 1836, fournissent l’état initial des concessionnaires de place, nécessaire à la bonne gestion de ces places.

Comparés avec le recensement nominatif des 751 habitants de Séderon en 1836, Ces tableaux permettent une analyse sociologique succincte des paroissiens séderonnais de l’époque :

  • le curé peut compter sur une assistance qui au minimum représente 15 % de la population totale,
  • les femmes occupent 82 % des places alors qu’elles ne constituent que 49 % de la population totale,
  • les séderonnais qui habitent les hameaux et les fermes des écarts n’occupent que de 18 % des places,
  • les veuves séderonnaises occupent 11 % des places,
  • parmi les familles actives, celles des cultivateurs occupent 50 % des places, celles des artisans 22 % des places, celles des rentiers (bourgeois d’Ancien Régime) 10 % des places, celles des négociants 9 % des places et celles des fonctionnaires (greffier, huissier juge de paix, facteur) 9 % des places,
  • les classes aisées de la population (fonctionnaires, rentiers et négociants) occupent 55 % des places de banc.

Le plan d’occupation de l’église de Séderon en 1836

Le plan de situation des places dans l’église fournit d’intéressants renseignements sur l’aménagement intérieur de l’église avant la construction du clocher actuel :

  • le nombre de places figurant sur le plan dépasse la valeur initiale de 112, les 14 places supplémentaires portent un numéro bis, leur création, décidée en 1863 par le conseil de fabrique, a été obtenue par l’uniformité mise dans la construction des chaises,
  • tout le mur du fond à gauche en entrant dans l’église est occupé par un escalier de la tribune qui donne accès à un étage où peut être les paroissiens modestes pouvaient assister aux offices,
  • le pilier de la tribune qui marque sans doute le rebord de la tribune est bâti à l’endroit de la place portant le numéro 36bis,
  • la place portant le numéro 28 sera supprimée à la suite de l’installation à son endroit en avril 1845 du nouveau bénitier,
  • les fonts (fonts baptismaux) se trouvent dans l’angle du fond à droite en entrant, le bassin – qui sans doute les équipe – est représenté par un quart de cercle,
  • ce sont sans doute les stalles actuelles en bois verni qui sont figurées entourant le fond du chœur, elles sont réservées pour les membres du clergé et du conseil de fabrique,
  • la chaire est à son emplacement actuel, elle est représentée par un arrondi qui peut être schématise sa forme actuelle, hexagonale en bois verni,
  • sur le mur du chœur qui fait face à la chaire il semble que soit représentée la lampe du Saint Sacrement et son support (main pour tenir la lampe),
  • à remarquer que l’autel de Notre Dame et l’autel de Saint Joseph s’appuient à l’époque sur le mur du fond des chapelles latérales,
  • un espace dans la chapelle de Saint Joseph est réservé pour les bancs des élèves, cette réservation est sans doute la conséquence du contrôle de l’Eglise sur l’enseignement primaire instauré par les lois de l’époque.

Les comptes de la fabrique

Le registre des recettes et dépenses faites par la fabrique, tenu à jour par le trésorier du bureau des marguilliers pendant les années 1836 à 1851, permet de constater que la concession et la location des bancs et des chaises constituent la recette la plus importante. Elle est régulière et représente environ 66 % d’un budget annuel moyen de 284 francs.

Entre 1836 et 1851 les recettes de la fabrique proviennent en moyenne :

  • de la concession et de la location des bancs et des chaises, pour 188 francs,
  • du produit des troncs placés dans l’église, pour 49 francs,
  • de dons (roi, préfet, particuliers), pour 41 francs,
  • des droits de la fabrique sur les inhumations, pour 6 francs.

Au cours de ces 16 années, les recettes ont servi en moyenne :

  • à payer les fournitures de messe (pain, vin, encens, cire), pour 87 francs,
  • à financer des réparations et des aménagements dans l’église, pour 82 francs,
  • à couvrir les frais d’acquisition et d’entretien des objets du culte, pour 46 francs,
  • à indemniser une séderonnaise pour le blanchissage et le raccommodage du linge, pour 30 francs,
  • à rémunérer le servant de messe, pour 20 francs,
  • à acheter l’huile de noix pour la lampe du Saint Sacrement, pour 17 francs,
  • à régler les frais de secrétariat de l’évêché, pour 2 francs.

Le compte rendu de la visite pastorale de 1878 signale l’existence dans la sacristie d’une caisse à 3 clefs où les membres du bureau des marguilliers devaient sans doute enfermer leur argent et leurs registres.

L’intitulé des postes de dépense fournit quelques renseignements supplémentaires sur l’aménagement intérieur de l’église à cette époque :

  • la balustrade qui sépare le chœur de la nef est appelée appui de communion, elle est en fer et le conseil de fabrique la fait bronzer en 1845,
  • la rampe en fer de la chaire et la rampe en fer de la tribune sont en 1845 vernissées (couvertes d’un enduit protecteur),
  • un lustre est pendu dans la nef depuis 1841 (à cette date est pratiquée une ouverture sur la voute pour placer le lustre), il est équipé de falots allumés dans des fourreaux,
  • le nouveau bénitier installé en 1845 est en marbre, il a coûté 30 francs ; il est posé sur une colonne et équipé d’une main courante,
  • en 1839 sont approvisionnées des petites plaques fer blanc portant le numéro des chaises.

Les comptes de la fabrique semblent apporter la preuve de la démolition de l’ancienne chapelle de la confrérie des Pénitents Blancs, tombée en désuétude aux lendemains du Premier Empire. En 1844, figurent dans les recettes la vente de la porte de la chapelle du calvaire et dans les dépenses le charroi des tuiles du calvaire. Apparemment le terme de calvaire serait alors devenu l’appellation de la chapelle des Pénitents Blancs, ornée dès l’origine d’un crucifix (le nom de Notre Dame de Pitié que porte la confrérie fait par ailleurs référence aux personnages présents au pied de la Croix).

Les divers ouvrages faits par des ouvriers napolitains illettrés qui apparaissent dans les dépenses de 1847 ont peut-être été payés par charité.

L’inventaire de 1878

D’autres renseignements sur l’aménagement intérieur de l’église peuvent être tirés d’un inventaire du mobilier de l’église établi par le bureau des marguilliers et approuvé par le conseil de fabrique en 1878 :

  • le maître autel est orné d’un tableau et d’une statue de Saint Baudille (celle-ci est sans doute traditionnellement portée en procession car un brancard de St Baudille est acheté en 1841 par le conseil de fabrique),
  • les autels des chapelles latérales sont chacun ornés d’un tableau et d’une statue (de la Vierge et de Saint Joseph respectivement),
  • sur les murs de la nef sont installés les tableaux d’un chemin de croix détérioré par l’humidité ; en 1841, le curé de Séderon, avec l’autorisation de l’évêque de Valence d’après un bref du souverain pontife, a érigé solennellement ce chemin de croix, apparemment ancien, afin que les fidèles puissent gagner toutes les indulgences que les souverains pontifes ont attachées à cette dévotion.

L’inventaire ne manque pas de signaler que les dons à l’autel de la Sainte Vierge, faits traditionnellement en bijoux par les paroissiennes (chaînes, croix, boucles d’oreilles), se trouvent entre les mains d’une de ces paroissiennes.

Postface

Ces lignes n’ont volontairement abordé que l’aspect historique de la location des places dans l’église et ont volontairement laissé de côté les questions sur le bien-fondé de cette pratique (égalité devant Dieu, gratuité de l’assistance aux offices, disparité financière entre les paroissiens).

Pour être complet, il suffit peut-être de supposer que participer au fonctionnement de la fabrique paroissiale était considéré par les Séderonnais de l’époque comme un des principaux devoir religieux. La location annuelle d’une chaise dans l’église (1 franc) ne coûte à l’époque que le prix des 4/5 d’un litre d’huile de noix.

Quand je rejoignais ma grand-mère à la messe du dimanche, elle était toujours assise à la même place (au bord du septième banc actuel, à gauche en montant dans la nef). De nombreux autres paroissiens en faisaient de même montrant peut-être que la pratique de la location des places se serait transformée en une habitude pour les paroissiens des générations suivantes.

Pierre MATHONNET