Bandeau
L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Cantoun Prouvençau
Article mis en ligne le 1er juillet 2019
dernière modification le 9 juillet 2022

par POGGIO André

Se se muravo… farié pas fre dins Sederoun

Mais où donc fallait-il construire le fameux mur qui aurait permis à Séderon de ne plus souffrir du froid ?

A cette question, Alfred Bonnefoy-Debaïs répondait qu’il fallait barrer l’Eissaioun. Dans son Trésor du Félibrige, Frédéric Mistral optait pour le Trepoun.

Et voilà qu’une nouvelle version vient d’être dénichée dans les papiers d’Auzias Lieutaud (dont le voyage à Séderon en 1941 est reproduit dans ce même bulletin) :

Se se muravo Crespoun, farié plus fre dins Sederoun.

Lieutaud donnait une indication pour situer sa découverte : « v. 1893, S. Estùdi de Gap » !

Mais sa référence n’est pas assez précise. Même en compulsant les revues de la Société d’Études de Gap – plus de 400 pages chaque année – pour la période 1890 -1895, je n’ai pas su retrouver la citation… Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas.

Mais avant d’être transcrite à Gap, qui l’avait trouvée, et où ? L’enquête continue.

Crespoun mis pour Crapoun ? Finalement tout le monde est bien d’accord, c’est entre la Torre e lou Crapoun qu’il fallait construire !


La barigoulo

barigoulo, berigoulo, ferigoulo… ces mots se ressemblent, et du coup leur sens prête à confusion. Pour donner son avis, Auzias Lieutaud – très à l’honneur dans ce Trepoun – se sert du texte d’un certain Docteur Offner en en faisant la critique :

« Es un di prouduch li mai canta dóu terraire prouvençau – dich ’la guso prefumado’ :

« Pèr te vèire, li piboulo – toujour mounto que plus aut

E la pauro berigoulo – sort au pèd dóu panicaut » (F. Mistral – la cansoun dou soulèu)

Quant de felibre, après agué amira l’òupousicioun ugoutesco de l’auto piboulo, s’aussent que mai – e de l’umblo berigoulo – se soun demanda lo qu’èro eissatamen aquèu moudeste griéu – e lou panicaut ?

Disem d’abord qu’eiceste – qu’a douna soun noum à la preparacioun prouvensalo culinàri dis artichaut – crèis noun pas au pèd, mai sus lou pèd, sus lou racinun d’aqueste que lis escourrèire di colo seco, pèr l’estièu, an amira : es un cardoun redoun, entoura de fuio pougnènto qu’es au ras e si racino bèn enfounsado pèr lou sòu. Mai que d’un, tournant en vilo, l’a’mpourta e clavela à sa paret, coumo record e troufièu di jour mounte se reviéudavo dins l’aire pur.

Veici lo que n’en dis, fort eisatamen à leva la questioun culinàri que la ferigoulo (thym) pòu parfetamen agué rèn à faire emé l’artichaut à la barigoulo, lou Dr J. Offner :

« noun fau cerca luen, semblo, la clau d’aquelo enigmo culinàri ; dins la receto dis artichaut à la berigou lo, especificamen miéjournalo, intro lou « thym » e dison dins lou miéjour Ferigou lo à n’esto planto

Adounc es d’artichaut « au thym » segound moun esplicacioun »

Es pas la nouestro : lis artichaut que souvènt en pas de ferigoulo sèmblon, si pouncho coupado e soun mitan esparpaia, i cardoun sus quau crèis la pauro barigoulo, la veraio.)

« es eisate que se designo perèu d’ùni champignoun souto lou noum de barigoulo, diferentamen desfourma segound li regioun. Es lou cas dóu lactari delicious, (lou sang de Crist o pignen que vèn souto li pin – eici mai siam pas d’acòrdi emé lou Dr Offner, car aqueste champignoun, qu’es l’un di mai requist, l’avem jamai vist nouma berigoulo).

berigoulo
[pleurote du panicaut]
© Essaillon

« Es perèu lou cas dou pleurote vo aureilho de cardoun, requist champignoun que crèis sus li racino dou panicaut o cardoun-rouland (valènt à dire roulant pèr causo de la formo esferico dis inflourecènci. Lou noum de panicaut deriva de pan caud, dison, pèrque la planto pougne e rabino coumo un pan caud (!! lou Dr Offner es eici partisan dóu principe d’etimoulougio di jo de mot vo di semblanso literàri) es d’aiours baia autant bèn à n’aqueste cardoun espinous qu’au champignoun que n’es l’oustelié. En generau li noum vulgàri atribui à de champignoun emai à d’autri planto courrepoundon pas à d’espèci bèn determinado e mudon segound l’endréch ».

[C’est un des produits du terroir provençal les plus chantés – appelé « la gueuse parfumée » :

« Pour te voir, les peupliers toujours montent plus haut

et la pauvre berigoule sort au pied d’un panicaut » (F. Mistral – la chanson du soleil)

Combien de félibres, après avoir admiré l’opposition hugolienne entre le haut peuplier, se haussant tant qu’il peut, et l’humble berigoule, se sont demandés quelle était cette modeste plante – et ce qu’est un panicaut ?

Disons d’abord que celle-là – qui a donné son nom à la préparation culinaire provençale des artichauts – pousse non pas au pied mais sur le pied, sur la racine de celui-ci, que les excursionnistes peuvent admirer l’été sur les collines sèches : c’est un chardon rond, entouré de feuilles piquantes, bien enfoncé au ras du sol. Plus d’un, à son retour en ville, l’emporte pour le clouer sur un mur, comme souvenir et trophée d’un jour passé dans l’air pur et vivifiant.

Voici ce qu’en a dit – fort justement, à l’exception de la question culinaire, où la farigoule (le thym) n’a strictement rien à voir avec l’artichaut à la barigoule – le Dr Offner :

« il ne faut pas chercher loin, me semble-t-il, la clé de cette énigme culinaire ; dans la recette des artichauts à la barigoule, spécifiquement méridionale, entre le thym que, dans le Midi, on nomme farigoule.

Donc c’est de l’artichaut « au thym », selon mon explication »

Ce n’est pas la nôtre : les artichauts, qui souvent ne sont pas accompagnés de thym, ressemblent, avec leurs pointes coupées et leurs cœurs éparpillés, aux chardons sur lesquels pousse la pauvre barigoule, la vraie.

« il est exact que l’on désigne également certains champignons sous le nom de berigoule, nom déformé selon les régions (ici le Dr Offner a raison). C’est le cas du lactaire délicieux (le sang du Christ, ou pinin, qui vient sous les pins – ici nous ne sommes à nouveau pas d’accord avec le Dr Offner car ce champignon, qui est l’un des plus recherché, nous ne l’avons jamais entendu nommé berigoule).

C’est aussi le cas de la pleurote ou oreille de chardon, champignon très estimé qui pousse sur les racines du panicaut ou chardon-rouland (ce qui revient à dire roulant, à cause de la forme sphérique de ses inflorescences. Le nom de panicaut, qui dit-on dérive de pain chaud parce que la plante pique et brûle comme un pain chaud (!! – le Dr Offner est ici partisan du principe d’étymologie par les jeux de mots ou les ressemblances littérales), est d’ailleurs donné aussi bien au chardon qu’au champignon qui en est l’hôte. En général les noms vulgaires donnés aux champignons mais aussi à d’autres plantes ne correspondent pas à des espèces bien déterminées et changent selon l’endroit ».(fin de citation)

Après tout ça, ne reste plus qu’à souhaiter que la saison d’été soit bonne pour la pousse de nos champignons


Le cahier de l’abbé Morel (Trepoun no 65-2018)

© Essaillon
© Essaillon

L’abbé avait un cahier, où il notait les bons mots entendus à droite ou à gauche, parfois une simple phrase… plus tard, la phrase devenait une histoire, ou pouvait servait pour illustrer un sermon.
Aqueste curat de Mevouilloun, oh qué barjo !
Is Oumergé, dins la vielho gleiso – aro escrachado – un an per li predicacioun pascalo… – dins la sournuro – amé de femo sourdo !… din lou tambour de la gleiso… en sourtènt… entendiguère uno femo qué disié is autri : Aquest curat de Mevouilloun ! Oh que barjo.

barjo, c’est pas très flatteur – le mot a été repris en franco-provençal moderne, et est utilisé pour qualifier quelqu’un qui n’a pas tout son bon sens. Restons sur une traduction plus classique avec blagueur… la traduction est délicate puisque on n’entend pas le ton sur lequel le mot est employé. Et encore, la dame n’a pas dit barjacaire.

Mais Morel en fait une répartie amusante, se moque un peu de lui-même… tout en égratignant ces femmes sourdes, dans une église où on économise un peu trop les cierges.

[ce curé de Mévouillon, quelle blague !
Aux Omergues, dans la vieille église – maintenant écroulée – une année, pendant les prédications de Pâques… – dans l’obscurité, avec des femmes sourdes !… dans le tambour de l’église… en sortant… j’entendis une femme qui disait aux autres : ce curé de Mévouillon, oh quelle blague.]


« estivelado »

Le mot se trouvait dans le texte du Pastras (Trepoun n° 65-2018) et je n’avais pas su le traduire. Jean-Claude Rixte nous donne son avis d’expert :

« je dirais que c’est certainement une déformation de « estiblado », participe passé féminin du verbe « estibla » (« estiblar » en version dite classique), qui est un synonyme de « estira » (estirar), étirer… ».

A la lumière de cette explication, voilà ce que donnerait la phrase dans son entier :

« et la pauvre grand-mère, étendue sur les coussins de sa chaise, avec ses vertiges, toute la matinée en train de vomir ».