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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 20
Les foires d’antan dans les Hautes Baronnies
Article mis en ligne le 28 septembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par ARMAND Albert

Dans les Hautes Baronnies au début du siècle et surtout dans les villages, les distractions n’étaient pas nombreuses, pour ne pas dire inexistantes. Les habitants de cette Région n’avaient pratiquement aucune occasion de se distraire. Il n’y avait que la Fête annuelle et les Foires. C’est pourquoi ces dernières étaient suivies avec beaucoup d’intérêt. Celles de la Saint-Martin, à Saint-Auban ; de la Farette, Hameau de Mévouillon ; Villefranche-le-Château pour la Madeleine, Séderon, Montbrun-les-bains et Buis-les-Baronnies étaient très appréciées.

La Saint-Laurent en juillet, était surtout la foire du tilleul, celle de septembre était pour la fleur de lavande. Celles de Montbrun, Saint-Auban, la Farette, Séderon étaient l’occasion de vendre ou d’acheter les animaux de basse-cour. Celles qui avaient la préférence de notre village étaient naturellement les plus près de chez nous. Les enfants pouvaient y aller sans problème. Les moyens de locomotion étaient peu nombreux et les paysans qui avaient des chevaux étaient rares. Les autres attelaient les mules ou mulets et même les ânes. Pour la circonstance on nettoyait la charrette sur laquelle on mettait des chaises ou des bancs. Les foires qui étaient les plus près de mon village voyaient toute la famille y aller. Enfants, nous étions fiers de mettre les habits de fête et de ne pas aller à l’école ce jour là. Bien entendu c’est à pied que nous y allions.

La foire de la Saint-Laurent, en juillet, voyait la vente du tilleul. A cette époque nos routes étaient plantées d’arbres. Le ramassage de la fleur avait lieu en Mai et Juin. Tout le village participait à la cueillette et la vente était un revenu pour beaucoup.

La foire de Septembre, au Buis toujours, c’était la fleur de lavande qui faisait l’objet principal du marché. Le bleu de cette fleur était sans pareille pour sa couleur. La montagne de Buc avait le monopole de son secret. On venait de loin pour l’acheter. Pour aller au Buis, les hommes s’y rendaient soit en jardinière ou en charrette, mais beaucoup faisaient le trajet à pied, cinquante kilomètres aller et retour. On partait avant le jour et par des raccourcis on mettait deux à trois heures. Beaucoup profitaient de la bonne renommée de l’hôtel sous les halles, pour y faire un bon repas.

Nous, les enfants nous avions l’occasion, aux foires des alentours, de trouver des marchands de bonbons. On nous donnait quelques sous pour nous permettre de nous régaler, mais il fallait rendre des comptes le soir en rentrant.

Je vois encore comment nos Pères étaient vêtus : costume noir, chemise claire, nœud papillon noir et chapeau à la mode bretonne. Par dessus le costume la blouse bleue qu’ils quittaient en arrivant sur le champ de foire. Les Femmes avaient encore la coiffe au début du siècle. Elles portaient leurs plus beaux atours. Les jeunes filles profitaient de la foire pour mettre les toilettes que la couturière du village leur avait confectionnées pour la dernière fête de Pâques.

A la Farette, hameau de Mévouillon, la foire avait lieu en octobre. Etant donné la proximité, tous les habitants s’y rendaient, même s’ils n’avaient rien à y faire. Pour nous, enfants, c’était une belle journée.

A Saint-Auban, à neuf kilomètres, nous nous y rendions à pied. Montbrun était plus loin. Cette foire me rappelle une anecdote : vers l’âge de onze ans je gardais les brebis de l’Oncle. Un matin il me dit qu’il allait à la foire de Montbrun. Je me mis dans la tête que peut-être il y allait pour chercher un acquéreur pour le troupeau. Mais le soir venu, la nuit tombée, à l’horizon des collines je vis une silhouette qui gesticulait. Je pris peur et bien vite je rentrai les brebis dans la bergerie. Hélas ! La silhouette était celle de l’Oncle qui ramenait d’autres moutons. Alors j’étais atterré, non seulement il n’avait pas cherché à vendre mais il me ramenait d’autres moutons.

Une autre fois, pour aller à la foire du Buis, l’Oncle me prit sur la charrette attelée à son âne. A l’allée cela marchait assez bien, il est vrai que la route ne fait que descendre pour aller au Buis. Mais au retour, partis vers seize heures, j’avais crainte d’arriver trop tôt à Mévouillon, et que je doive encore retourner aux champs avant la nuit. Hélas ! Nous arrivâmes aux environs de minuit, avec un âne complètement épuisé.

Mon Père, au sujet des foires du Buis m’avait raconté que se rendant à la foire, à pied, avec des voisins, voyant une lumière à travers une vitre, pensèrent que le propriétaire était encore chez lui. A leur appel personne ne répondit. S’étant rapprochés ils virent une bougie allumée, entourée de matières inflammables. Ils comprirent aussitôt l’astuce : la flamme ayant atteint la matière inflammable allait mettre le feu à la maison, et le propriétaire aurait été loin de chez lui alors... Bien entendu la flamme fut éteinte bien avant.

Mon Père, toujours lui, m’avait raconté qu’à l’occasion d’une foire, à Saint-Euphémie, au début du siècle, le percepteur de Sainte-Jalle était venu percevoir les impôts. Pour rentrer le soir il devait traverser un col désertique. Peu rassuré, il demanda au Maire de lui conseiller un garde du corps. Celui-ci lui désigna le plus mauvais sujet de la commune, sachant qu’ainsi il n’y aurait pas de mauvaise surprise.

A Villefranche-le-Château il y a une chapelle et une source avoisinante. C’était la coutume, lors de la Foire que les personnes qui avaient leur casse-croûte viennent le manger près de la chapelle et de la source. C’était l’occasion de se faire goûter les vins, le fromage et autres friandises. C’était vraiment extrêmement sympathique. A Villefranche encore j’assistais pour la première fois à une séance de cirque. C’était vraiment beau, pour moi enfant.

C’est au Buis encore que je vis pour la première fois une gare, une voie de chemin de fer et un train. J’en étais ébahi et j’en ai longtemps gardé le souvenir.

Voilà les souvenirs de ma prime jeunesse qui relatent la vie de mon petit village au début du siècle. Village des Hautes Baronnies où les ambitions étaient modestes et où les habitants se contentaient de peu.

L’après guerre de 1914-1918 allait faire évoluer rapidement la vie. L’hécatombe de la jeunesse tombée au champ d’honneur et les cinq années de guerre avaient profondément marqué les hommes. Cela accéléra le désir de progrès et de mieux faire.

Bourg de Péage, le 10 octobre 1993,

Albert ARMAND
Originaire de Mévouillon