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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 45
Un souvenir parmi tant d’autres
Article mis en ligne le 25 décembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par DELSART-MICHEL Paule

Il reste au fond de moi, un souvenir parmi tant d’autres, un souvenir de mes années d’écolière à Séderon.

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Dans une de ces armoires gisait le vestige d’une leçon de choses : un cocon accroché à un branchage.
Notre maître n’était plus là pour nous expliquer et nous raconter la merveilleuse histoire de ce si joli cocon qui enfermait un si vilain papillon,

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Il n’y a pas si longtemps, alors que je traversais la Turquie et que je m’approchais de Bursa, la capitale de la soie en ce pays, je revis dans ma pensée cette classe, cette armoire, ce cocon mystérieux qui m’inspirèrent ces lignes. Je les dois un peu à mon enfance Séderonnaise et je vous les livre.

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Pendant des millénaires, la Chine s’enrichit en vendant à d’autres pays le merveilleux tissu. Un jour, cependant, deux moines quittant l’Inde, transportèrent des œufs de ver à soie dans leur canne de bambou.

Ils les offrirent à l’empereur Justinien et enseignèrent à l’Europe la manière de les élever.

La sériciculture s’installa sur tout le bassin méditerranéen, inondant les marchés de soies aux couleurs sublimes, douces ou vives, toutes suaves et exquises, des soies dont se drapent les femmes aux yeux verts et aux longs cils, des soies qui dansent, qui glissent, des soies qui se froncent et s’étalent, des soies qui habillent et déshabillent, des soies sensuelles qui vous effleurent, vous enveloppent et vous caressent, des soies divines.

Lorsque j’étais petite fille, j’apprenais à l’école de mon village le Bombyx du mûrier. C’était un chapitre de leçon de choses et j’aimais cette discipline parce qu’elle était vivante.

Ce n’était pas sans raison que nous apprenions, dans nos classes, les métamorphoses du ver à soie. La vallée du Rhône et ses abords immédiats étaient remplis de magnaneries, où se tissait la fortune de Lyon. Or, j’habitais dans un petit village du Sud-Est, dans la Drôme Provençale, Séderon, où je naquis, à quelques encablures de la capitale de la vieille Gaule.

Ce papillon du ver à soie est assez repoussant : il est blanc, velu, est incapable de voler car il est trop lourd et ses ailes sont trop courtes. Il possède des pièces buccales atrophiées qui ne lui permettent pas de se nourrir. Sa vie est donc très courte et uniquement consacrée à la reproduction.

Après la fécondation, la femelle pond, au mois de juin, environ 500 œufs ou « graines » ; celles-ci entrent immédiatement en diapause. Elles attendent le début du mois de mai de l’année suivante pour éclore ; il faut maintenir ces graines dans un lieu froid pour attendre l’apparition des feuilles de mûrier, car le Bombyx ne se nourrit que de cela.

Lorsque les mûriers se parent de leur feuillage, l’élevage peut commencer :
On met les graines de l’année précédente à une température de 22° et la petite larve sort de son œuf qu’elle dévore, puis il faut lui offrir du hachis de feuilles de mûrier. Elle dévore, dévore et son appétit insatiable engendre un développement spectaculaire. Tous les 4 ou 5 jours, le ver dort une journée et change de peau.

Il va changer 5 fois de peau. Après la dernière mue, les vers refusent toute nourriture.

Il faut alors leur préparer un bois, composé de branchages secs, dressés verticalement. Les vers grimpent dans les branchages, choisissent un emplacement et se mettent à tisser un cocon avec leurs glandes à soie.

C’est un fil continu que le ver enroule et que l’homme va dérouler et qui atteint environ 1500 m.

Lorsque la production des glandes s’est épuisée, le ver s’engourdit et se métamorphose : il devient une chrysalide.

A cette étape-là, l’homme intervient pour son industrie de production de la soie.
Les cocons vont passer à l’étuve à 60° pour tuer la chrysalide tandis que des machines dévident l’écheveau de soie qui baigne dans de l’eau chaude. Le fil a une épaisseur de 20 microns, il faudra le commettre de la même manière qu’un cordage pour lui donner un diamètre plus grand. Après, le fil sera lavé pour le rendre souple, et tissé pour faire les merveilles que vous savez.

Tout est beau dans cette histoire, même ce nom donné aux jeunes filles qui, autrefois, faisaient la « cueillette » des cocons : « les magnanarelles », c’est un mot que j’affectionne. Chantant et plein d’élégance, il fait partie du vocabulaire de mon enfance, il vibre de soleil, de vie et de bonheur.

Paule DELSART

Texte intégral paru dans le TREPOUN n° 35 de décembre 2003