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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 20
L’oustaou dou boun diou
Article mis en ligne le 28 septembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par BERNARD Guy

Dans un petit village de Haute Provence – niché au creux des contreforts des Préalpes du Sud – le curé de la paroisse avait de gros soucis.

Il ne s’agissait pas de la foi de ses paroissiens bien qu’à la messe du dimanche les rangs des fidèles fussent parfois très clairsemés. Il n’était pas question non plus de sa situation matérielle pourtant bien précaire comme en témoignait sa soutane, brillante et élimée jusqu’à la corde. Non, la foi inébranlable qui l’animait lui permettait de s’élever au dessus de ces contingences.

Ses préoccupations étaient beaucoup plus sérieuses :

L’EGLISE, SON EGLISE, MENÇAIT RUINE

Les ans et les intempéries avaient causé à l’édifice d’irréparables outrages. D’inquiétantes lézardes qui s’étaient ouvertes dans les gros murs d’enceinte s’élargissaient chaque jour davantage, risquant de provoquer l’effondrement du toit.

Le maire consulté lui confirma son impuissance :

« Que li pouven faire Moussu lou Curat aven gès dé sou !!! »

Hommes de bon sens, le Maire et le Curé convinrent tout de même des dispositions à prendre :

  • Le bâtiment étant devenu dangereux, il était nécessaire de trouver un autre lieu de culte dans une salle communale.
  • L’édifice n’étant pas réparable, il convenait de s’orienter vers une solution de reconstruction
  • Pour ce faire une souscription publique serait lancée, le Maire s’engageant par ailleurs à solliciter une aide des pouvoirs publics.

La souscription publique se solda par un résultat qui se situait bien en deçà des prévisions les plus pessimistes. Quant à la subvention escomptée, la Préfecture fit savoir très officiellement que s’il était possible d’obtenir des crédits pour l’entretien et la réparation des églises – patrimoine des communes – il était exclu de financer la construction de nouveaux lieux de culte.

Le problème restait entier mais malgré les déceptions et vicissitudes présentes le brave Curé restait confiant dans l’accomplissement de la mission qu’il s’était fixée : « Réaliser dans ce petit village déshérité une maison pour le Bon Dieu. »

Apparemment c’était une mission impossible mais ne dit-on pas que :

« LES VOIES DU SEIGNEUR SONT IMPÉNÉTRABLES. »

La vie reprit son cours, les villageois vaquaient à leurs occupations habituelles, le Curé exerçait son ministère et lorsque quelque paroissienne venait se lamenter sur le sort des fidèles qui n’avaient plus d’église digne de ce nom il répondait plein d’optimisme :

« Ne doutez pas femme de peu de foi. Dieu n’abandonne jamais les siens. »

Au bistrot du village, autre lieu de rencontre très fréquenté, et qui plus est ne menaçait pas ruine, les conversations allaient bon train : les uns affichaient un air narquois se félicitant des difficultés de financement du projet de construction de l’église. D’autres n’étaient pas très fiers du résultat décevant de la souscription – bien sûr leur participation avait été symbolique mais certains auraient pu être plus généreux – alors pour rester en paix avec leur conscience ils tentaient de trouver de fallacieux prétextes qui pouvaient se résumer ainsi :

« Per faire uno gleiso n’en fau dé sou. De ségur lou curat la fara jamai sa gleiso !... »

Sur cette belle pensée philosophique on avalait d’un trait un pastis supplémentaire, afin de faire taire cette petite voix intérieure qui n’était pas tout à fait d’accord.


Voila qu’un beau jour le diocèse décide de mettre sur pied un pèlerinage à LOURDES pour les grands malades.

ll est nécessaire de disposer de robustes brancardiers pour manœuvrer, dans les différents lieux où se déroulent les cérémonies, les lourds chariots où sont allongés les malades impotents. Il faut aussi assurer l’encadrement spirituel du pèlerinage ce qui fait que tout naturellement notre bon Curé se porte volontaire pour le voyage.

Cet intermède lui permettra, tout en oubliant ses soucis quotidiens, de manifester sa sollicitude et ses grandes qualités de cœur à ceux que la maladie a cruellement frappés.

Que de travail pour organiser ce voyage ! Mais sitôt embarqués dans le train à la gare voisine, que de bonheur sur le visage de ces jeunes ou vieux immobilisés depuis des mois voire des années par des maux implacables que la médecine est impuissante à soulager. Dans ces moments-là, l’unique espoir se trouve dans la spiritualité, même si auparavant on s’était contenté d’une existence affreusement matérialiste.

Le voyage s’effectue dans les chants et la bonne humeur générale et, après une installation sans problème, le pèlerinage – qui durera une semaine entière – se déroule suivant un programme minutieusement établi. Beaucoup de misère humaine est étalée sur les vastes espaces qui entourent la basilique et devant la grotte miraculeuse – le long du Gave de Pau, torrent impétueux qui vient des Pyrénées toutes proches – mais aussi beaucoup d’espoir dans le regard de tous ces malades qui suivent les cérémonies avec une grande ferveur.

Le soir venu les accompagnateurs sont exténués par leur pénible tâche et l’assistance à apporter aux malades grabataires, mais toute fatigue disparaît lorsque le prêtre – boute en train infatigable – vient remonter le moral de chacun. Après une dernière plaisanterie et un ultime chant collectif chacun se retire pour goûter un repos bien mérité.


Dès le lendemain au chant du coq, notre curé originaire de la campagne est debout. Il n’est pas du genre à faire la grasse matinée bien que les cérémonies prévues ne débutent pas immédiatement. Après la lecture du Bréviaire, le voilà arpentant à grandes enjambées, soutane au vent, les rues de la ville encore endormie. Il hume à pleins poumons l’air vif des Pyrénées presque aussi pur que celui de ses chères montagnes sans toutefois y trouver ce fond de lavande et de farigoule si particulier.

Soudain au coin d’une rue, il tombe nez à nez avec un petit groupe de jeunes filles. Sans plus de formalités, l’une d’elles l’interpelle avec un fort accent Anglais :

« Oh ! mon père quelle chance de rencontrer vous… »

Il apprend ainsi que ces messagères appartiennent à un important groupe de jeunes Américaines en pèlerinage à LOURDES. Leur séjour terminé, elles reprennent le train pour PARIS dans la matinée ; avant le départ elles souhaiteraient cependant entendre une dernière messe dans la ville de Sainte Bernadette.

Connaissant notre curé comme nous le connaissons et comme par ailleurs – à l’inverse de son petit village – les lieux de culte ne manquent pas à LOURDES, un arrangement est vite pris afin que ces « petites américaines » qui viennent de si loin puissent avoir satisfaction.

Après la célébration à laquelle le groupe tout entier participe avec ferveur il faut songer au départ. Toujours disponible, le curé empoigne deux grosses valises puis la joyeuse troupe se dirige vers la gare.

Chemin faisant – par le truchement de celle qui maîtrise si bien la langue de Molière – les jeunes femmes disent leur joie d’avoir séjourné à LOURDES et remercient chaleureusement le Prêtre de sa gentillesse. Puis l’on en vient aux confidences et il ne peut s’empêcher d’évoquer la grande préoccupation qui l’habite pour la réalisation de laquelle aucune issue n’est prévisible.

Enfin ce sont d’émouvants « Au revoir » à toute cette jeunesse dont il ignorait l’existence deux heures auparavant et juste avant le départ du train on échange les adresses…


Le pèlerinage est maintenant terminé ; à défaut d’autre chose chaque participant a ramené beaucoup d’espoir et avec la chaleur du foyer retrouvé les tâches quotidiennes paraissent moins lourdes à supporter.

Les mois ont passé… lorsqu’arrive au presbytère une lourde missive dont les timbres et cachets attestent qu’elle vient de très loin. D’abord intrigué, le destinataire fut abasourdi en prenant connaissance de son contenu qui disait en substance :

« Notre groupe a beaucoup apprécié la gentillesse du “frenchman Priest” que nous avons eu la joie de rencontrer à LOURDES. En témoignage de notre reconnaissance toutes les participantes ont décidé de vous apporter leur aide pour réaliser le projet de construction d’une chapelle dans un petit village de France. Ainsi chaque fois qu’un événement heureux se produira chez chacune d’entre nous – fiançailles, mariages, naissances – une contribution financière vous sera adressée. »

Pour concrétiser ces dires plusieurs “money-order” (mandats) libellés en dollars US étaient joints à la lettre ce qui, au cours officiel, représentait déjà une somme rondelette auprès de laquelle le montant total de la souscription n’était que de la “roupie de sansonnet”.

Après avoir repris ses esprits – au bout de longues minutes – le Curé fut amené à faire les constatations suivantes :

  • Dieu ne l’avait pas abandonné !...
  • L’importance des sommes reçues – après avoir consulté dans le journal le taux de change du Dollar US – ne permettait tout de même pas de passer immédiatement à la réalisation.
  • Il fallait donc les placer au nom de la paroisse dans un établissement du Bourg voisin afin d’éviter toute indiscrétion.

Pour ce dernier point il opta, avec son sens pratique inné et les conseils éclairés d’un financier désintéressé (!), pour une SICAV qui représentait le meilleur rapport : Rendement – Liquidité – Fiscalité.

Le temps passait. Les “ spirituodollars ” arrivaient régulièrement. Le compte ouvert « faisait des petits » et le Curé n’avait jamais été d’aussi bonne humeur.

Tout le monde était intrigué : la Dame de la Poste et le facteur n’avaient jamais autant vu de timbres à l’effigie de George WASHINGTON et d’Abraham LINCOLN. Les mécréants étaient médusés et les bigotes désorientées mais le Curé restait aussi impénétrable que les voies du Seigneur !...


Beaucoup plus tard… sous l’effet conjugué d’heureux événements survenus Outre Atlantique – qui comme nous le savons se transformaient en espèces sonnantes et trébuchantes – et le principe des “ intérêts composés ” – règle immuable de la capitalisation – le magot paroissial prenait des proportions de nature à crédibiliser un projet de réalisation sérieux répondant en termes de marketing aux besoins “ spirituels ” du village.

Notre Curé avait les deux pieds sur terre. Comme par ailleurs il ne se sentait pas l’âme d’un bâtisseur de cathédrale, il n’envisagea pas un seul instant de construire une église de dimensions identiques à la précédente.

Deux raisons à cela :

  • La lente mais continue érosion des populations rurales – attirées inexorablement par le miroir aux alouettes des villes – quittant une terre, ancestrale sans doute, mais qui ne pouvait plus les nourrir.
  • Le fait avéré qu’en Haute-Provence la population masculine, dans sa grande majorité, entre rarement dans une église. Aux enterrements par exemple pour beaucoup d’hommes, les derniers devoirs dus au “ De Cujus ” s’entendent : de son domicile jusqu’au parvis de l’église puis, après l’office funèbre, de l’église au cimetière. Deux exceptions à cette règle non écrite : le défunt est un parent ou bien on joue dans la cérémonie le rôle principal.

Les exégètes se sont penchés sur ce phénomène sociologique et s’accordent généralement sur les hypothèses suivantes :

Il peut s’agir soit :

  • D’une réminiscence de la vieille croyance des Gaulois qui craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête. Sans avoir la naïveté de nos ancêtres et sachant que les "affaires du ciel" sont traitées dans les églises, la crainte passée s’est peut-être circonscrite au ciel des lieux de culte c’est à dire leur toiture. Pure hypothèse d’école qui expliquerait que certains évitent d’y entrer.
  • De la tradition républicaine fortement implantée dans nos montagnes qui se veut pure, dure et laïque. Républicain mais pas pour autant intolérant. C’est ainsi qu’en se mariant, après être passé devant Monsieur le Maire, un petit détour par l’église n’engage à rien ; pourquoi indisposer la future et la belle famille ? De même, plus tard, les enfants seront baptisés et feront la communion : la paix conjugale mérite bien un petit sacrifice.

Mais hormis ces situations limitativement prévues la tradition républicaine doit être respectée ; ceci expliquant cela.

Ces particularités étaient bien connues du Curé. Il n’était donc pas nécessaire – pour déterminer les dimensions optimales de la future église – de procéder à une analyse informatique ou d’avoir recours à un système de C.A.O (conception assistée par ordinateur ).

Un peu de bon sens et le concours bénévole d’un homme de l’Art suffirent à mettre sur pied un projet de chapelle qui, pour petite qu’elle fût, n’était pas pour autant dépourvue de charme et d’élégance.


Inutile de s’appesantir sur les arides mais indispensables formalités administratives préalables à une construction – fut-ce d’une chapelle. Mais en possession d’un terrain cédé à la paroisse par un généreux donateur et permis de construire en poche, le Maire ayant pesé de toute son autorité pour hâter sa délivrance, le Curé put enfin ouvrir le chantier.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Nul ne se pose de questions sur le financement. Un seul fait est important. Pour certaines cela tient du miracle et l’on se félicite de n’avoir jamais désespéré. Dans l’autre chapelle à l’heure sacro-sainte de l’apéritif les sentiments sont ambivalents : surprise, scepticisme, consternation, se mêlent confusément et il faudra un jour ou deux de réflexion pour que se dégage une impression générale que l’on peut traduire ainsi :

« Lou curat l’a coumençado sa gleiso dé tout ségur, jamai la pourra feni. »

Et pourtant le chantier se poursuivait normalement. Lorsque les murs commencèrent à s’élever tous les habitants du village vinrent sur les lieux pour se rendre compte de l’avancement des travaux de LEUR EGLISE, donner des avis, prodiguer des conseils, critiquer. Rien de nouveau sous le soleil. Il y a bien longtemps déjà un certain Jean DE LA FONTAINE n’écrivait-il pas :

« Ainsi certaines gens faisant les empressés s’introduisent dans les affaires et font partout les nécessaires… »

Tout cela n’altérait pas la bonne humeur de notre Curé qui exultait, savourant son plaisir à petites gorgées comme l’on déguste un bon alcool.

Enfin la construction s’acheva sans problème et le Curé fit ses comptes : malgré sa modestie le projet avait épuisé les réserves financières ce qui ne permettait pas l’achat de sièges pour la nouvelle chapelle ; il fallait donc utiliser les bancs de la vieille église.

La consécration du nouvel édifice religieux se déroula en grande pompe en présence de Monseigneur l’Évêque et de tout le clergé de la région.

Pour notre Curé de campagne c’était le jour de gloire mais il se gardait bien de faire du triomphalisme, sa modestie naturelle le protégeant du péché d’orgueil.

Au bistrot, à part les irréductibles mécréants, la satisfaction s’affichait, avec cependant un soupçon d’inquiétude : tous ces travaux qui les paiera ? Aussi afin de se prémunir contre tout risque déclarait-on haut et fort :

« l’a fenido sa gleiso lou curat. Bé se la pagara… »

Avec une église digne de ce nom, qui plus est enviée par les autres paroisses, tout rentrait dans l’ordre et la vie reprenait son cours paisible.

Une petite ombre au tableau, néanmoins : Plusieurs paroissiennes estimaient que les vieux bancs vermoulus étaient du plus mauvais effet dans une si jolie chapelle. Elles s’en ouvrirent au Curé qui promit d’y réfléchir.

A quelque temps de là, montant en chaire à la messe du Dimanche, il déclara aux fidèles :

Certaines personnes m’ont adressé une requête afin de renouveler les sièges de notre nouvelle chapelle. J’ai beaucoup pensé à ce problème qui se pose, je le reconnais, avec acuité, mais en l’état actuel des choses je ne puis vous dire que ceci :

« AI FA UN OUSTAU PER LOU BON DIOU, MAI PER VOSTRE CUOU I PODE REN FAIRE »
CONTE DE HAUTE PROVENCE
par Guy BERNARD