Quand j’étais petit, tous les dimanches, mon bon père m’emmenait dans ma chambrette où pendait au mur un beau portrait de Mistral, puis, me passant une main sous les fesses et l’autre sous un bras, me hissait vers le Maître et me disait de lui faire un baiser : « car les baisers des jeunes lui font toujours du bien au coeur ; il sait que ceux qui l’aiment resteront fidèles à la Provence à jamais » et, me pressant sur sa poitrine, il m’enlaçait doucement et continuait : « tu es un bon petit homme, mon ami ! tu sais, le Maître a senti ton baiser. Regarde : il est tout ému ; je suis sûr qu’il va demander à sainte Estelle de te faire félibre. »
Chaque fois qu’il nous parlait du Maître, mon bon père n’était plus le même ; son visage s’illuminait, ses yeux débordaient d’amour et, comme d’une source, les paroles avec aisance jaillissaient de sa bouche.
« Mistral, nous disait-il, est notre Maître, notre dieu et notre père bien-aimé. De la Provence, il est roi et, comme tel, tout le peuple l’aime et le vénère : il le garde blotti au fond du coeur et le porte aux nues.
Depuis qu’il chante notre patrie rayonnante, notre gai soleil, nos croyances et nos coutumes, la fière allure de nos aïeux, la beauté de nos filles et l’amour de notre sol, depuis qu’il nous dit que nous sommes de race antique et vaillante, de tout temps libre à jamais, nous nous sommes avisés que nous étions Provençaux, que cette langue harmonieuse était bien la nôtre et, sans honte, nous sommes mis à la parler où que ce soit ; nous nous sommes dressés de toute notre taille et, pour mieux voir le grand Maître, avons levé la tête et cheminé le front haut ! Ah ! mon cher fils, mon bon Tatave, si je pouvais te dire ma fierté d’être Provençal, d’entendre le Maître et de le comprendre. Cet homme, je te le dis, dans mon coeur a mis le Paradis et mon bonheur ne finira jamais puisque toujours mon âme me chantera son oeuvre à la douceur de miel. »
Il était alors si ému, mon bon père, que ses yeux se mouillaient de larmes de joie.
Moi, je l’écoutais, attentif, et pensais : quel homme ce doit être, ce Mistral, pour que mon père l’aime tant et nous en dise tant de bien ! Quel dommage qu’il soit si loin et que je ne puisse pas l’embrasser pour de bon !
Il ne se passait pas un jour sans que je m’arrête devant son portrait et plus je le contemplais et plus il me plaisait. Puis, quand mes poils de moustache commencèrent à pointer, quand j’eus lu Mireille et Calendal, alors le Maître m’apparut tel que me l’avait fait voir mon père et, plein d’enthousiasme, d’affection et de confiance, je me jetai dans ses bras et, corps et âme, me donnai à lui.
Hélas ! maintenant que tous le pleurent, chaque soir je demande à Dieu qu’il lui ouvre grand les portes de son saint Paradis et, dans ma tranchée, la nuit, quand j’en ai le temps et que je m’endors de fatigue, sainte Estelle m’emporte là-bas dans ma chambrette où est toujours son beau portrait. Alors, montant sur une chaise, j’ôte mon casque et, comme quand j’étais petit, avec grand respect, je lui fais un, deux baisers.
« Tu es un bon garçon, me dit-il, sois toujours fidèle à la Provence, mon beau ! Aime-la par-dessus tout et lutte avec courage et constance pour notre belle France. Va, je te le dis, moi, elle est proche, l’heure de la Victoire !... »
Cela supposait un travail considérable de recherche ! Il a fallu dépouiller un nombre considérable d’archives pour en exhumer les poèmes et les nouvelles, la correspondance de notre auteur. Ce travail ne pouvait être mené à bien que par un spécialiste : Jean-Claude Rixte, agrégé de l’Université, auteur de nombreux ouvrages de référence sur la littérature d’oc, amoureux de la culture de notre région et de sa langue originelle, de surcroît adhérent de l’Essaillon et contributeur au Trepoun, avait eu l’idée du projet et l’a réalisé…
Le résultat est là, le livre est prêt, sous sa signature et celle de Marie-Christine Coste-Rixte pour les traductions. L’Essaillon a assuré l’édition, en tirage limité, de ce livre à ne pas manquer :
(voir les informations pratiques en 4ème de couverture)