Commençons par quelques définitions et descriptions empruntées à un conteur malicieux et provençal, Yvan Audouard [1] :
« Il y a, en France, au moins trois types de jeux de boules :
- la « pétanque »,
- le « jeu provençal » qu’on appelle aussi la « longue »,
- la « lyonnaise ».
Il ne sera question, ici, que des deux disciplines pratiquées en Provence. Elles présentent, entre elles, de notables différences mais ont en commun deux actes essentiels
- 1) pointer
- C’est l’acte qui consiste à lancer sa boule aussi près que possible du « bouchon », qui est d’ailleurs en bois et qu’on appelle aussi bien le « cochonnet » le « petit », « le peintre » le « gari » , ou de bien d’autres noms encore ou tout bonnement le « but ».
- 2) tirer
- C’est l’acte par lequel on essaie de chasser, en la frappant avec sa propre boule, la boule d’un adversaire trop bien placée.
Si la pétanque et le jeu provençal sont cousins, ils ont chacun leur personnalité propre.
- La pétanque
- C’est le jeu de boules provençal le plus connu et le plus pratiqué. Le pointeur, aussi bien que le tireur, joue les pieds « tanqués » (c’est-à-dire joints) à l’intérieur d’un cercle de 35 à 50 cm (le « rond ») tracé sur le sol. On peut s’accroupir pour pointer. On tire debout. Ce n’est pas une obligation, mais c’est plus commode. La pétanque se pratique sur n’importe quel terrain. Ce qui explique sa vogue, ce n’est pas seulement la simplicité de ses règles, mais le peu d’espace qu’elle réclame le but ne doit pas être à moins de 6 mètres du rond, mais pas à plus de 10.
- Le jeu provençal ou « longue »
- Comme son nom l’indique, la « longue » exige plus de place le but peut être envoyé jusqu’à 21 mètres [2] De même qu’à la pétanque, les joueurs ont pour base de départ un cercle tracé sur le sol. Le jeu provençal est à la fois plus athlétique et plus sophistiqué que la pétanque. Pas plus le pointeur que le tireur ne doivent garder les pieds joints. Cela n’est pas facile à décrire. Essayons le pointeur, un pied dans le « rond », se fend à droite, à gauche ou droit devant lui, et fait un pas aussi long que ses jambes le lui permettent. En agissant ainsi, il se place au mieux pour faire suivre à sa boule l’itinéraire qu’il a choisi pour elle, à la suite d’une longue étude du terrain. Après quoi il soulève le pied resté dans le rond et lance sa boule en équilibre sur une seule jambe. Essayez pour voir. Cela demande de la souplesse et de la maîtrise de soi. Le tireur, lui, le pied gauche en avant, solidement calé sur sa jambe droite, se renverse en arrière et soulève sa boule jusqu’à ses yeux pour viser le but. Après quoi, il s’élance pour un triple saut qui le rapproche, certes, du but, mais risque de lui faire perdre de vue sa ligne de mire imaginaire.
La « longue » est donc le jeu de boules originel pratiqué dans toute la Provence depuis.... fort longtemps. Les historiens prétendent que, déjà au Moyen-Âge, le petit peuple jouait aux boules pendant que les seigneurs se livraient aux joies des tournois. A la Renaissance, les boules auraient supplanté le jeu de paume, allant même jusqu’à envahir les terrains anciennement réservés à ce dernier.
C’était l’époque des boules de bois. Plus tard, elles furent cloutées, avant l’invention des intégrales, c’est-à-dire des boules entièrement métalliques.
J’ai recueilli quelques témoignages de cette tradition, certains datés du XIXème siècle. Ecoutez Marcel Pagnol évoquer un souvenir de sa petite enfance.
« Un autre souvenir d’Aubagne, c’est la partie de boules sous les platanes du cours. Mon père, parmi d’autres géants, faisait des bonds prodigieux et lançait une masse de fer à des distances inimaginables » (3).
Revenez à Pagnol [3], qui, admiratif comme sa maman Augustine devant le talent de son père Joseph,
« Je sais qu’Augustine fut éblouie par la rencontre de ce jeune homme à l’air sérieux, qui tirait si bien aux boules »
écrivit tout un chapitre intitulé « La partie de boules de Joseph ». C’est de jeu provençal qu’il s’agit. Allez vite à votre bibliothèque pour relire les exploits de l’oncle Jules et de Mond des Parpaillouns, équipiers de Joseph contre la « triplette internationale des Bouches-du-Rhône » composée de Pessuguet, Ficelle et Pignatel et en savourer l’apothéose [4] :
« Alors Joseph fit les trois sauts réglementaires et sa boule fila dans les airs, étincelante comme un petit soleil... Un claquement retentit, la boule noire de Pessuguet se mit à briller comme l’argent. Joseph avait réussi le carreau. »
Complétez par les références locales que nous fournit Maurice Gontard (8) lorsqu’il citait les distractions de nos ancêtres en 1850 : « il y a le jeu de boule » [5], et en 1910 :
« le programme de la fête était des plus alléchants. Il prévoyait le 26 juin un concours de tir, des courses de chevaux, mulets et ânes, un feu d’artifice et un grand bal. Les manifestations devaient se poursuivre le mardi 27 à 10 Heures, concours de boules ».
Cette tradition, l’Amicale Boules de Séderon a voulu la faire revivre en organisant, depuis 1995, un concours de jeu provençal.
- à Marseille, dont le concours réunit, chaque année en juillet, plus de mille triplettes,
- à Pertuis, dans la canicule vauclusienne de la mi-août,
- à Château-Arnoux, le temple de la doublette,
- en septembre à Laragne, pour la clôture de la saison,
- et dans toutes les villes du Sud, des Alpes Maritimes au Languedoc.
Quelques Séderonnais passionnés osent aller y affronter les ténors de la spécialité. La leçon est souvent cruelle mais toujours passionnante.
Pour terminer, une anecdote qui nous prouve que le jeu de boules n’est justement pas qu’un jeu. Dans une civilisation où l’on peut dire d’une personne n’ayant plus goût à la vie « il ne jouait plus aux boules » [6], c’est, aussi, un théâtre social. L’anecdote est extraite d’un registre de justice où fut consignée la relation d’un procès. Peu importe la cause amusons-nous de l’interrogatoire de Jacques Ricou, défendeur contre Jean-Baptiste Long et son oncle J-B. Eydoux, maître chirurgien :
« Interrogé si une des fêtes de Pâques passées, étant au quartier appelé du Safranier à jouer aux boules, il ne dit pas audit Long qu’il était un jean f... et d’aller apprendre à faire des purges à son oncle.
– a répondu que pendant les deux fois qu’il est venu en ce lieu, ledit Long le persécutait toujours... Comme ledit Long se mêla mal à propos de son jeu, il lui dit de se mêler de ses affaires et qu’il ne jouait pas son argent. »
Les faits se passaient en 1779 à Séderon.
A. POGGIO, avec la collaboration involontaire de
1) Yvan Audouard - « Pétanque et jeu provençal » - Edition du Chêne - Paris 1977
2) Albert Dubout - Illustration pour « Les fadas de la pétanque » de Francis Huger - Edition Pastorelly - Monte Carlo - 1963
3) Marcel Pagnol « La gloire de mon père »
4) Etienne Martin « Le Pré de foire à Digne, vers 1890 » (Musée de Digne)
5) Camille Jullien D’après le négatif communiqué par la famille pour l’exposition « Camille Jullien photographe à Séderon » organisé par l’Essaillon en août 1992 . La carte postale correspondante est reproduite dans « Les fadas de la pétanque » de Charles Donnat - Edition de Haute Provence - 1996
6) Marcel Pagnol « La gloire de mon père »
7) Marcel Pagnol « Le temps des amours »
8) Maurice Gontard in « Le Trepoun » n° 22 bis - août 97 - p. 9
9) d° p. 32
10) Pierre Magnan « Le Secret de Séraphin Monge » - Editions Folio - p. 113
et la complicité de mon partenaire aux boules, Pierre Mathonnet, créateur de l’affiche et découvreur du procès-verbal de 1779.