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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 29
Football : l’étoile sportive Séderonnaise en coupe nationale F.S.G.T.
Article mis en ligne le 3 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par CHARROL Jean-François
SOUVENIRS

NAISSANCE

Après la libération de la France, à Séderon, haut lieu de la Résistance, et dans les villages environnants, l’enthousiasme était général. Le besoin de se manifester dynamisait la jeunesse et amena un groupe à monter une équipe de foot-ball afin de porter haut les couleurs du chef-lieu de canton, inspiré par l’exemple de SAULT-de-VAUCLUSE qui disposait d’un joli stade où évoluait un club de foot bien connu (où jouait Lulu BOYER) et celui de BUIS-les-BARONNIES qui opérait à un bon nivau régional.

Qui eut l’idée de former un « onze » Séderonnais ? Je crois que le noyau initial devait être composé de Lucien GIANOGLIO, Félix GRIMAUD, Jean ESPIEU (qui, poursuivant ses études au collège F. MISTRAL de CARPENTRAS, jouait dans son établissement et dans la ville et se trouvait à Séderon lors des congés scolaires). Albert CHAUVET était la cheville ouvrière et l’animateur du groupe ; de nombreux jeunes du village ou de la région les rejoignirent. Ainsi se constitua un véritable club dont la structure peut être décrite comme suit :

ORGANISATION
Nom du club ETOILE SPORTIVE SEDERONNAISE
inscrite à la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (F.S.G.T.) [1] en 1947
Président Albert CHAUVET
Secrétaire Elise ESPIEU
(devenue Madame Martial MONGE)
Trésorière Madeleine GRIMAUD

JOUEURS

La structure de l’équipe était nécessairement souple en raison des aléas des participations individuelles (santé, indisponibilités diverses) et de l’insuffisance numérique de l’effectif. Les joueurs étaient donc plus ou moins polyvalents. Néanmoins, le schéma suivant est assez près de la réalité (remplaçants compris).

Gardiens de but (à l’époque on disait Goal, prononcé Gol (e) !)
Antoine … (de CUREL) qui jouera plus tard à MARIGNANE
Antonio PARADEL
puis M.  TROMEL (Gendarme à Séderon)
Défenseurs
Elie BLANCHET
Félix GRIMAUD
Henri GAUTHIER
Milieu de terrain
Martin GARCIA
Louis BONNARD (dit « Zonzon »)
Guy REYNAUD
Attaquants
Lucien GIANOGLIO
René GUILLINY
Jean ESPIEU (Avant-centre et souvent Capitaine)
Fernand BLANCHET
Claude GRIMAUD (éventuellement).
Remplaçants polyvalents
Georges GIANOGLIO
Georges GIRARD

.

Déplacements assurés par l’entreprise de transport MONGE (cars Séderon-Laragne).
Conducteur : Martial MONGE (mari d’Elise ESPIEU).

Encore incomplètement remis de mes très graves blessures reçues lors de l’attaque aérienne allemande sur SEDERON le 10 Août 1944, je ne pouvais participer activement sur le plan sportif ; je devais me contenter du rôle de correspondant de presse auprès du journal régional « Le Travailleur Alpin » ou, éventuellement, en cas de besoin, de celui d’arbitre non officiel, pour lequel je m’étais sérieusement documenté.

UNE INSTALLATION RUDIMENTAIRE

Le village ne possédait pas de stade, ni même d’embryon de stade. Cependant, Monsieur Paul GIRARD, propriétaire de « La Grandchane », cédant aimablement aux démarches insistantes d’Albert CHAUVET, accepta de prêter gratuitement un terrain qu’il possédait au quartier du Plan, en bordure du chemin menant à la ferme CONIL, donc accessible aux véhicules, bien que l’on préférât, en règle générale, orienter le stationnement à Rivaine, près de l’Hôtel Café-Restaurant du Cours (Dominique GIANOGLIO) où se trouvait le siège de l’Etoile Sportive. Ce terrain ne fut jamais véritablement aménagé faute de moyens financiers. Jean ESPIEU en a gardé une image plutôt rugueuse. Il m’écrit « J’ai le souvenir de ce terrain abominable qui n’avait pas les dimensions réglementaires et de plus était couvert de pierres ».

A cette époque, surtout dans les régions de montagne, la seule activité vénérée était le travail ; la pratique du sport n’avait pas bonne presse. Ses amateurs étaient même souvent considérés comme des fainéants.

«  Vous n’en vau faire veire de baloun, iéu, banda de feiniants  » cria, un soir, à l’adresse d’un groupe de jeunes, un paysan [2] qui, rentrant des champs avec sa famille reçut malencontreusement le ballon sur sa charette, mit pied à terre, et réexpédia furieusement au loin l’objet d’un coup de pied rageur. Même si cet incident ne dénotait pas une attitude générale, il faut bien convenir que le foot-ball Séderonnais était loin de recueillir un soutien massif.

Aussi, Albert CHAUVET m’indique-t-il que la commune avait refusé d’aménager le terrain. « La Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports aurait consenti à apporter une aide si le Conseiller Général du canton avait soutenu le projet ». Ce ne fut pas le cas. Rien, cependant, ne pouvait arrêter la détermination des jeunes initiateurs de l’entreprise. Grâce au dévouement de ses membres, l’Etoile Sportive vint à bout, très pragmatiquement, des pires difficultés. Les buts plantés dans le terrain furent construits avec des chevrons de charpente sommairement cloués ; ils ne comportaient évidemment pas de filets. Le marquage des lignes (de touche, de but, de la surface de réparation, etc…) s’effectuait à la chaux en poudre au cours de la matinée précédant les matches.

Les ressources du club étaient constituées vraisemblablement (il m’a été impossible de retrouver les archives) par une subvention de fonctionnement peu importante (de la D.D.J.S. ou de la .F.S.G.T. ?) et par les bénéfices de la buvette tenue, à l’occasion des matches, dans les locaux du Café GIANOGLIO par des membres du bureau de l’Association. Une cotisation des joueurs était sans doute sollicitée et, vraisemblablement, une participation aux frais d’équipement personnel.

OU L’ENTHOUSIASME TENTE DE SUPPLEER LA TECHNIQUE

D’entrée, le Président de l’Etoile Sportive décida de frapper un grand coup : il inscrivit le club en coupe DELAUNE qui était la compétition nationale de la F.S.G.T. Il fallait oser ! si l’on songe aux conditions de pratique décrites ci-dessus. Au premier tour, le sort favorisa SEDERON qui passa allègrement ce cap grâce au forfait de l’adversaire VINAY (Isère) ! Le match du deuxième tour devait se dérouler à BRIGNOUD (Isère) contre l’équipe d’une entreprise locale de réparation de wagons de la S.N.C.F. Mais, raconte A. CHAUVET, la situation sociale, en cette année 1947 était tendue, de nombreuses grèves déclenchées, notamment dans la région grenobloise. Le propriètaire du car qui devait transporter les joueurs séderonnais, craignait de voir son véhicule agressé, bloqué. Après des échanges téléphoniques entre les deux clubs et avec les dirigeants de la F.S.G.T., il fut décidé que le match se déroulerait à SEDERON. Une épreuve d’importance nationale dans notre chef lieu de canton ! On devine l’émoi qui s’empara de l’Etoile Sportive. Réunion rapide et agitée pour la formation de l’équipe, et la distribution des rôles annexes. Une escouade fébrile de volontaires se chargea de mettre le terrain en état, le matin, de manière à assurer un accueil à peu près convenable des joueurs et du public.

Naturellement, face à une équipe solide, aux traditions déjà bien établies et supérieurement entraînée, nos Séderonnais, en dépit de leur vaillance en défense, furent très largement dominés par un score sans appel de x… à zéro. Peu importe. Mais ce fut un événement. Le « Dauphiné Libéré », qui en rendit compte, évoqua la victoire de BRIGNOUD « face aux courageux locaux ». Ces derniers, en effet, devant un public de jeunes supporters des environs, ou de curieux (c’était nouveau !) ne baissèrent jamais les bras.

Autre match mémorable (au moins pour ce qui me concerne) sur le même terrain, une rencontre amicale – on dirait aujourd’hui un match exhibition – avec LARAGNE-SPORTS, une équipe qui jouait à un haut niveau régional (et qui donna des joueurs célèbres au « stade de Reims » de la grande époque les Béni, Sinibaldi et autres). Adversaires évidemment sans commune mesure avec le modeste effectif séderonnais. Mais dans l’esprit des organisateurs, il s’agissait de donner à voir du bon foot-ball. Pour l’anecdote un souvenir personnel : s’agissant d’un match amical, je fus appelé à arbitrer. J’avais auparavant bien étudié ma documentation en matière de règles. Je les appliquais strictement. Fort de l’autorité que me conférait mon sifflet, à un moment du jeu, je demandais à un LARAGNAIS de recommencer une remise de touche que j’estimais avoir été mal exécutée. Le joueur me toisa du haut de sa grande taille et dit sur un ton condescendant : « Nous, on joue en Promotion, alors on sait faire une touche ! » Néanmoins, en bon visiteur « amical », il obtempéra. Le score final de 4 à 0 reflétait insuffisamment la supériorité des hauts-alpins. On doit rendre hommage à ces derniers d’avoir joué en véritables sportifs, soucieux de présenter un bon jeu plutôt que d’écraser l’adversaire. A la reflexion, je n’avais pas été moi-même très « cool ». (De nos jours, les arbitres officiels ne sanctionnent pratiquement jamais une remise de touche…) Mais, mon zèle de néophyte fut rapidement oublié.

Des souvenirs d’autres matches amicaux – on jouait vraiment pour le plaisir – sont encore inscrits dans les mémoires des anciens de l’Etoile Sportive. Telle cette rencontre avec CHORGES dont A. CHAUVET a retenu un épisode comique : le ballon puissamment shooté par un Séderonnais alla atterrir sur la voie ferrée longeant le terrain et faillit être écrasé par l’autorail survenu au même moment ! Jean ESPIEU en a gardé un souvenir plutôt douloureux car il fut victime d’un claquage à la cuisse gauche (preuve, s’il en fallait, de son engagement physique constant) qui lui valut trois semaines de soins. Albert CHAUVET rapporte encore en riant, un déplacement épique à LA SAULCE où le club local avait convié l’équipe séderonnaise à une rencontre cordiale comportant un repas et un match amical. Celui-ci suivant hélas ! celui-là. L’Etoile, en raison de l’indisponibilité de plusieurs joueurs avait constitué un onze [3] très disparate qui, ayant fait honneur au déjeûner offert par les hôtes, se trouva, sur le terrain, en très petite forme et paya cher au niveau du score la chaleureuse ambiance du repas. Un dopage à l’envers en somme… Certaines de ces sorties tenaient parfois plus de l’excursion que de la compétition sportive. Tel ce déplacement à l’Argentière évoqué par Jean ESPIEU et son épouse, effectué avec les voitures familiales (1952), agrémenté par un repas tiré des paniers et qui se solda par une autre défaite… Mais l’ardeur des Séderonnais ne se démentait pas. C’était une bande de copains pour qui l’esprit de camaraderie, la joie de partager une aventure comptaient davantage que le résultat au score.

L’équipe de foot séderonnaise qui obtint d’assez piètres résultats en onze, faute d’un effectif suffisant et d’un entrainement régulier, se comportait, en revanche, plus honorablement dans les « tournois de Sixte » de la région, notamment à SAULT, NOYERS s/ JABRON, RIBIERS, SAINT-CHRISTOL et autres. Des équipes de six joueurs accompagnées de leurs supporters et dirigeants venaient participer, à Séderon, aux tournois organisés par l’Etoile Sportive, à la belle saison.

Une joyeuse animation s’exprimait ces jours-là entre le quartier de Rivaine et le terrain du Plan, cependant que les responsables du club s’activaient à l’organisation des rencontres successives (tirages au sort, arbitrages…) et à la tenue de la buvette.

L’écart était tel entre l’enthousiasme des membres de l’Etoile Sportive Séderonnaise et les moyens dont ils disposaient que je me demande encore comment cela a été possible et si, en évoquant ces souvenirs, je n’ai pas rêvé. Cependant, ils sont bien là, sur les photos, non pas tous hélas, car certains ont disparu… Mais tous ont vécu l’aventure exaltante d’une pratique populaire d’un sport collectif aujourd’hui très prisé.

J.F. CHARROL


P.S. Je remercie vivement tous ceux qui ont contribué à compléter mon information, principalement Albert CHAUVET, Martin GARCIA (photos) et Jean ESPIEU (lettres et photos).