Les fléaux des peuples ont toujours été la guerre, la famine et les épidémies. Parmi ces dernières, la peste véhicule encore aujourd’hui un sentiment de crainte transmis par nos ancêtres à qui elle inspirait une véritable terreur. De l’Antiquité au Moyen-Age elle fit un grand nombre de victimes. La peste noire de 1348 tua près de 25 millions de personnes en Europe et autant en Asie. En Provence, elle décima plus de 40% de population. Notre région fut frappée à maintes reprises par ce fléau. Mais c’est la peste de 1630 qui nous intéresse plus particulièrement. Pourquoi ? Simplement, car les registres de délibération de notre communauté nous ont laissés de nombreux témoignages sur la vie à Séderon lors de cette épidémie. En effet, à l’état endémique depuis plusieurs décennies, la peste réapparaît en 1628. Venue une fois encore de Marseille, elle se répand dans toute la Provence. La rumeur se répand elle aussi comme une traînée de poudre : « La maladie de contagion », celle qu’on n’ose appeler par son nom, est de retour. Chaque ville, village, hameau prend toutes les précautions nécessaires. Nous allons donc revivre, chronologiquement, grâce aux délibérations consulaires [1] de notre village, les préoccupations, les angoisses vécues par les Séderonnais et les Séderonnaises il y a plus de trois cent cinquante ans pendant une épidémie de peste...
A Séderon, c’est lors du conseil de la communauté du 27 août 1628, que l’on mentionne pour la première fois la maladie [2] : « a este proposé par lesits consulz qu’ilz ont heu mandemant des Srs consulz de Sisteron... de tenir de garde de sante a raison du mal de contagion quon bruict estre... et de ne rettirer personne ny entrer a peyne de la vie », « Surquoy a este deliberé que les consulz logeront ung homme pour garder pour la sante et sera fait crié que aucung hoste naye a logez aucung homme sans billette a peyne de cinquante livres. » Ces décisions furent annoncées « par tous les lieux et carrefours dudit lieu par Jaume Latil sergent ordinaire dudit lieu. »
Notre village prenait ainsi les premières mesures préventives afin d’empêcher la maladie d’entrer.
Lors de la délibération du 11 septembre, les consuls instaurèrent une garde à tour de rôle, à chaque bout de la ville. Toute personne ne s’acquittant pas de ce devoir étant « gage pour trente solz. »
Le 17 septembre, des habitants se plaignent et dénoncent le meunier du village qui « laisse entrer dans le mollin plusieurs estrangers pour moldre et qui n’ont point de billette. »
Des villageois se plaignent aussi de l’incapacité des personnes qui gardent les entrées de Séderon. En effet, afin de privilégier le travail aux champs, les familles envoient des enfants, des vieillards garder le village. Aussi, les consuls décidèrent que chaque chef de maison serait tenu de
« mander homme capable a peyne destre gage. »
Lors du conseil du 20 septembre, on aborde la foire du village qui se déroule le lendemain et qui semble être compromise.
Le 8 octobre, les consuls du village rappellent l’ordre des consuls de Sisteron qui ordonnent de « ne tenir aucune foire dans la province et aux habitants de ny aller a peyne de punition corporelle. » Par ailleurs, lors du conseil, il est décidé de barricader le village afin de ne laisser qu’une issue à chaque extremité. Les habitants sont à nouveau mis à contribution : ils doivent construire les barricades et fournir eux-mêmes le bois (qui leur sera rendu quand tout redeviendra normal). Les récalcitrants étaient « gages douze solz. » Les habitants de notre village sont aussi contraints de nettoyer la « grand rue et la souteyranne chacung en son endroict a peyne de vingt cinq solz pour chasque fois. » Il est également interdit à tout habitant de Séderon de recevoir « aucung hoste estranger soit en quallité damy ou dhoste passager sans que sa billette soit veue par un des consulz... sur peyne quy seront remis en quarantaine et leur maison platinée [3]. » Les consuls décident de placer un garde à chaque extrêmité du village dont l’un sachant lire. Aux villageois habitant du milieu du village jusqu’en bas est confiée la garde de la basse porte, et aux autres la porte haute du village. Les gardes devront se trouver « du moings a laube du jour aux portes et ne quitteront la garde que sur la nuit cloze a peyne destre gagés de vingt cinq solz. »
Le 13 octobre, les consuls constatent que la garde du village n’est pas effectuée comme il se doit. Par ailleurs, plusieurs « habitans rompent lordre passent par les pallissades et rompent icelles au mesprix des arrestz de la cour et des delliberations du conseilh. » Des gardes sont ainsi engagés (pour 10 livres) afin de surveiller les portes du village. Les consuls statuent également que dorénavant « les barricades seront fermées de pallissades... que nul ne les pourra vieuller a peyne de la vie. » Enfin, un bureau de la santé est créé dirigé par « Messire Andre Sarailhier prebtre. »
Deux jours plus tard, le 15 octobre, les consuls annulent la précédente délibération concernant les gardes. En effet, selon un arrêt de la cour (de Sisteron ?) dont ils ont « heu notice », les gardes de la santé doivent être catholiques. Ainsi donc « les consulz adsistés de ceulx du bureau de la santé loueront lesditz gardes catholiques des plus capables que se pourra...il y aura a chasque porte une garde catholique... lesquelles gardes seront adsistées chacune d’ung homme desdits habitans quy serviront a tour de roolle lequel se fera despuis le four en bas pour la porte plus basse et despuis le four en haut pour la porte plus haulte lesquelz habitans seront commandes et enrollez par lesditz gardes et ceux quy ny hobeyront payeront vingt solz. ». Quand à ceux qui ont violé et violeront les barricades, ils seront sévèrement jugés par le bureau de santé.
Le 22 octobre, le conseil est rassemblé pour lire les arrêts de la Cour (de Sisteron ?). Aucun laissez-passer ne sera accepté pour les personnes en provenance du Dauphiné ni accordé aux habitants de Séderon pour se rendre en Dauphiné. Par ailleurs, le conseil « dellibere que les gardes des portes seront tenus pour la commodité des habitans douvrir lesdites portes au premier chant du coq... durant une heure, que appres ne seront subjetz de les ouvrir qu’a demie heure durant jour. »
Le 19 novembre, il est décidé par le conseil, que les chefs de maison seront tenus d’effectuer la garde à tour de rôle. Ceux qui ne respecteront pas ce devoir devront verser une amende « de trente solz. » Par ailleurs, afin de faire face aux frais de protection de la santé de la population « a este impose un cappage sur chaque maison de six solz. » Le conseil préconise également un renforcement des barricades et que par ailleurs « sera faict une pallissade a clef au pas de leyssalhon et une serrure à la claye [4] des jardins de la bourgade. » Les habitants des granges situées en dehors de l’enceinte du village « seront tenus de veriffier leurs billettes aux portes a peyne de fer quarantaine et de trois livres damende. »
Le 22 novembre, le bureau de la sante se réunit pour pourvoir « d’ung lieu commode à Marguerite Chastel et Jean Coste son nepveu venant de Carpentras pour fer quarantayne duquel lieu luy a este pouvu de la baulme dicte de lieutier duquel lesdits Chastel et Coste ne bougeront que autremant en soit ordonne sur les peynes portées par le reglement. » Par ailleurs, il est décidé que « les pauvres de la malladiere se rettireront a lhospital de ce lieu et que la grange de ladite malladiere sera fermee a clef. »
Le 25 novembre, nouvelle réunion durant laquelle Pierre Coste déclare que « sa femme et son nepveu ne peuvent habiter a la susdite baulme ou ilz ont este remis en quarantayne a cause que la pluye y tombe partout dedans requerant que leur soit prouveu dung autre lieu. » Il propose de les mettre dans une cabane qu’il possède au quartier de Bays, proposition acceptée par le Bureau.
Le 7 décembre, Pierre Mathieu signale que « sienne truye sest rettirée dans la baulme dicte de lieutyer laquelle avoit este cy devant bailhée pour cabanne a Marguerite Chastel et Jehan Coste pour fer quarantayne y ayant ladite truye faict de pourceaulx ayant requis le bureau de y delliberer. Surquoy ledit bureau a dellibere que ladite truye sera tuee et la cabanne bruslee (...) »
Le 31 décembre, le conseil délibère sur les frais engendrés par l’envoi de commissaires à la santé de Forcalquier à Séderon en septembre. Des frais qui se montent à une trentaine d’escus. Le conseil décide « descripre ausdits Srs consulz de Forcalquier davoir patiance davoir notre resolution par tout le moys de janvier prochain soit pour le payer ou pour ne le payer pas. »
A suivre dans le prochain bulletin :
Le cas de Sederon entre 1628 et 1631
Deuxième partie : 1629