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« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 47
Antoine DUMONT, vicaire à Venasque :
migration et religion au XVIe siècle, entre Séderon et le Comtat
Article mis en ligne le 26 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par LEGROS Marc






Texte présenté par Sandy ANDRIANT avec l’autorisation de l’auteur

Antoine Dumont

Le 17 novembre 1564, Antoine Dumont était nommé curé et vicaire perpétuel de l’église Ste-Marie de Venasque par Paul Sadolet (évêque de Carpentras de 1541 à 1572). Il remplaçait Jean-Antoine de Simiane (clerc aptésien qui renonçait à ce poste) [1], et succédait ainsi à Claude Michel dont nous savons qu’il était encore actif en avril précédent [2].
Antoine Dumont était originaire de Séderon, fils de Jean et Catherine Callet. Inhumé le 17 février 1596, il avait occupé 32 années durant le poste de vicaire et recteur des « Anniversaires de Venasque ». Il fut secondé par Philippe Portal, qui prit ensuite sa succession.
De sa vie, il ne reste que peu de traces : quelques actes notariés, notamment en qualité de recteur de la vénérable institution des Anniversaires du lieu, mais aussi quelques actes privés concernant sa famille. Effectivement, une partie de sa famille l’avait rejoint (ou suivi), et c’est ainsi qu’il contribua à la fondation d’une dynastie de Dumont, encore représentée aujourd’hui à Venasque.
Son action, il faut probablement la chercher dans le contexte même de sa nomination.
La période était trouble et difficile : en 1545, les vaudois de Cabrières, Murs, Gordes et autres villages du Luberon, proches de Venasque, sont massacrés ou obligés de fuir. La région est secouée par des violences permanentes, la réforme protestante continue à progresser dans les esprits, y compris dans le Comtat (très) catholique.
Sous l’autorité de chefs huguenots tels que le baron des Adrets ou Charles Dupuy-Montbrun, les protestants s’enhardissent et tentent des actions militaires, jusque sur Méthamis, qui est pris en 1563, ou encore Mormoiron.
Venasque était menacé en 1573, il fallait pourvoir à sa défense, d’autant que le village était un fief de l’évêque de Carpentras, et qu’il se situait à la frontière avec des régions françaises remuées par les idées réformistes. Je ne reviendrai pas ici sur l’épisode de la prise manquée du village à la faveur d’une « trahison » de l’un des villageois, il a été relaté de nombreuses fois [3].
Toujours est-il qu’en 1588, des sentinelles étaient encore postées à la Tour de Pinet, et appointées par la communauté : Pierre Joubert et Michel Portal donnent quittance à la communauté pour les 240 florins qu’ils ont reçus, correspondant à leur faction du premier mai au 31 décembre 1587. [4]

Mais l’action militaire ne suffisait pas.
Fallait-t-il mener aussi dans les paroisses une action sur les consciences, et (pourquoi pas) débusquer les hérétiques ? Marc Vénard [5] nous apprend que de 1566 à 1574, à Venasque, cinq huguenots (dont quatre chefs de familles) furent condamnés à mort et leurs biens confisqués.

Il n’est pas impossible qu’Antoine Dumont ait été (ou se soit senti) investi d’une mission particulière et « combattante », dans un village pénétré par « l’hérésie » : je l’ai dit, il remplaçait un vicaire nommé Claude Michel, probablement issu de la famille Michel de Venasque, et qui sait, possiblement laxiste. Nous le savons, de nombreux prêtres issus des familles du lieu ont occupé la cure : comment les Baud, de Salsis, Portal, plus tard Sibourd, pouvaient-ils faire preuve de la même intransigeance envers leurs paroissiens et parents ou amis, qu’un prêtre venu de Séderon et sans attache familiale ?

Antoine Dumont était issu d’une région alors dominée voire terrorisée par les protestants : Charles Dupuy-Montbrun, lieutenant du baron des Adrets, faisait régner la terreur de part et d’autre du Ventoux. Ceci pourrait expliquer une attitude probablement zélée de la part de notre curé.
Mais aussi, peut-être, faut-il chercher là une explication à l’exode des Dumont, Guillaumont et Jean, ces familiers probablement catholiques qui ont suivi notre Antoine d’un versant à l’autre du Ventoux.

Ceux qui ont suivi Antoine Dumont

Les parents de notre prêtre viendront s’installer à Venasque, malgré une situation matérielle semble-t-il établie à Séderon : fallait-il fuir cette région acquise aux protestants ? En tous cas, la famille Dumont s’implanta vite à Venasque.

En 1569, Antoine Dumont désignait un procureur à Séderon, probablement pour y traiter des affaires personnelles, après son départ définitif du lieu [6].
Ses parents, Jean Dumont (cordonnier) et Catherine Callet, s’étaient installés à Venasque où ils tenaient en arrentement une grange (quartier de Catoulas). En 1570, Jean Dumont fit son testament [7], par lequel il laissait différents biens (dont certains situés à Séderon) à ses fils Jean, Guillaume et Antoine demeurant à Venasque. Deux autres de ses fils étaient restés à Séderon, ils se prénommaient Pierre et Mathieu.
En 1577, Antoine Dumont recevait quittance du mari et du beau-père de sa nièce Anne, dont il avait probablement payé la dot, conformément d’ailleurs au contrat de mariage de cette dernière [8].
En 1580, il faisait une donation d’argent à son frère Guillaume, (cordonnier à Venasque), et donnait une « chambre » (située à Séderon) à Esprite Jean (probablement une autre nièce, fille de Blaise Jean et Marie Dumont) [9].

Les "Dumont" se sont immédiatement intégrés à la Communauté de Venasque.
Claudon Dumont, neveu d’Antoine, fils aîné de Jean Dumont et Marguerite Jean, naquit à Séderon vers 1550. C’était encore un enfant lorsque ses parents quittèrent Séderon. Il se maria à Venasque avant 1575, et fonda ainsi une famille représentée jusqu’à ce jour dans notre village et aux alentours. Claudon Dumont fut membre de la fabrique de l’église en 1586 et consul de la communauté en 1589. Comme son père et son grand-père, il était cordonnier. Il est décédé le 24/07/1596.
Son frère François fut trésorier de la communauté en 1588, membre de la fabrique en 1591, Consul en 1602 et 1612.

Probablement dans le sillage d’Antoine Dumont, Jacques Jean (né à Séderon, fils de Blaise et Marie Dumont) vint aussi fonder une famille à Venasque. Il était l’un des neveux de notre curé.

Enfin, une troisième personne avait suivi le même chemin pour venir s’installer à Venasque, et à la même époque : il s’agissait du Capitaine Eutrope Guillaumont, un homme d’armes dont le fils Pierre (né à Séderon) épousa en 1586 une Toinette Granier, originaire de Venasque.
En 1595, deux autres « capitaines » figuraient au cadastre du village : un Poulitre Andrieu, mais aussi un Barthélémy Fioranant, italien originaire de Castello (Ombrie), qui faisait partie des troupes envoyées par le St-Siège pour la mise en défense du Comtat. Enfin un caporal nommé François Marot, napolitain d’origine, vint lui aussi fonder une famille dans sa ville de garnison, à Venasque [10].

Alors que les dirigeants du Comtat devaient faire face à un état de guerre, alors que les conversions se multipliaient, des hommes d’armes et un curé nouveaux arrivaient à Venasque, mobilisés pour la défense de la foi catholique et du Comtat. Le « sabre et le goupillon » veillaient sur le village.

Un siècle plus tard à Séderon

Je suis entré en contact avec une association de généalogistes de la région de Séderon. Ce départ de plusieurs personnes vers Venasque pouvait les intéresser, ils pouvaient aussi disposer d’informations complémentaires sur ces mêmes personnes.

Et justement, le point de départ de leurs travaux était l’acte d’abjuration collective du 5 octobre 1685, par lequel de nombreux villageois de Séderon renonçaient à leur religion (« à l’hérésie de Calvin »), sous le contrôle étroit de leur vicaire Philippe Arnaud. Et parmi ceux-là, figuraient 15 membres de la famille Dumont, ainsi que leurs conjoints et alliés.
Quelques années plus tôt, le 26 novembre 1669, Etienne Dumont (fils de Gaspard et Claire Roubaud) avait abjuré isolément, « éclairé par les inspirations du Saint Esprit ».

Comment ne pas envisager l’hypothèse que ces Dumont pouvaient être les descendants des neveux du curé Antoine, restés à Séderon, et mentionnés dans le testament de leur père (cité plus haut) ?
Si tel était le cas, ceci poserait encore de nouvelles questions :

  • les frères d’Antoine Dumont étaient-ils alors restés à Séderon parce qu’ils avaient déjà adhéré à la réforme protestante, témoignant ainsi du déchirement opéré dans certaines familles, et expliquant l’exode de leurs parents restés fidèles au catholicisme,
  • ou bien étaient-ils tout simplement restés sur leurs terres et s’étaient-ils trouvés plus ou moins contraints, par la suite, d’embrasser la religion dominante autour d’eux ?

A n’en pas douter, les généalogistes de Séderon feront un jour le lien entre tous ces personnages, catholiques et protestants, tour à tour obligés de céder au culte dominant, par l’exode ou l’abjuration.

Texte de Jean-Marc LEGROS
Publié initialement dans
« Les cahiers du Ventoux »