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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 10
Noëls d’antan
Albert ARMAND
Article mis en ligne le 16 septembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par ARMAND Albert

Dans la région des Baronnies et du canton de Séderon, au fin fond de la Drôme, la tradition de NOËL était restée vivace lorsque j’avais une dizaine d’années. Ce n’étaient pas des cadeaux qui primaient alors, mais la tradition ancestrale conservée avec soin et sans cesse renouvelée.

Tout d’abord les enfants heureux de si peu de choses, en revenant de l’école le soir du 24 décembre, chantaient dans le petit bourg les louanges du petit JÉSUS qui allait naître et leur permettre de fêter sa naissance par un bon souper. Puis, impatients ils attendaient la réunion de la Famille qui peu à peu se rassemblait autour de la cheminée où dans un grand feu se consumait une grosse bûche. Là se trouvaient les Parents, les Enfants, les Amis célibataires invités pour la circonstance.

Vers les huit heures du soir, la table mise avec soin sur une nappe blanche qui ne ressortirait que pour Pâques, la cérémonie de la bénédiction du Foyer allait être faite par le plus jeune enfant de la Famille. Le Père lui remettait un verre de vin et l’enfant arrosait la bûche du foyer en faisant le signe de la Croix et en formulant les souhaits de bonheur qui lui étaient dictés. Tous les présents se signaient et répétaient ces paroles de protection du Foyer.

Après cela le repas pouvait commencer. Le menu traditionnel se composait de morue, servie de deux ou trois manières ; d’un légume, d’une viande de boucherie (chose rare), des pruneaux cuits, de la tarte enfin. La tarte était un dessert qui ne serait plus servi jusqu’à Pâques. Enfin, il y avait le nougat, si dur qu’il fallait le marteau pour faire les parts, mais qui était si bon, surtout pour les petits qui avaient encore de bonnes dents.

L’heure avançait dans la soirée et les préparatifs de la messe de Minuit commençaient. Toute la Famille revêtait les habits du dimanche et ensuite, en cortège, le Père devant, la lanterne éclairée, car il n’y avait ni électricité, ni lampadaire dans le bourg, on se dirigeait vers le lieu saint, guidés également par le son des cloches qui rivalisaient de zèle pour annoncer la naissance du Christ et par les faibles lumières éclairant les fenêtres de l’Église. On se reconnaissait à l’entrée du porche, on échangeait les politesses d’usage et en silence, chacun rejoignait sa place bien définie. Toute l’assistance attendait avec curiosité le moment où le chanteur désigné par le Prêtre, mais tenu secret jusque là, allait sortir de la sacristie pour se diriger vers le chœur et entonner le « MINUIT CHRÉTIEN ». C’était un instant émouvant, chacun suivait avec recueillement les paroles de ce chant qui était l’apothéose de cette soirée de NOËL, pour ces êtres humbles et pourtant si impressionnables.

Après la cérémonie on reprenait tranquillement le chemin du retour, toujours avec la lanterne qui précédait la Famille. Les Enfants se demandaient entre eux si, par hasard, on n’apercevrait pas les Rois Mages dans le ciel ; ces Rois Mages annoncés par le Prêtre dans son sermon.

Toute la famille allait se coucher en rentrant, mais auparavant les Enfants s’inquiétaient que la cheminée soit bien éclairée par les restes de la grande bûche et on demandait au Père de ne pas fermer la porte de la cuisine à clef (recommandation inutile car à cette époque rien n’était fermé à clef dans les Maisons et les clefs ne servaient qu’à de rares occasions).

Noël
© Essaillon

Les chaussures bien cirées étaient placées près de l’âtre, espérant de tout cœur la venue du Père NOËL. Souvent les Parents prétendaient l’avoir vu passer dans le ciel avec sa grande hotte, en revenant de la Messe de Minuit.

Malgré l’heure tardive à laquelle on s’était couché, de bonne heure, le lendemain matin les enfants s’éveillaient, comme tous les enfants, encore maintenant et, en catimini, allaient voir si le Père NOËL était venu.

Invariablement ils trouvaient dans leurs chaussures quelques oranges, des dattes, deux ou trois boules de chocolat à la crème. Si le Père était tant soit peu bricoleur et ingénieux, un jouet de sa confection qui faisait le ravissement des petits enfants.

Pas de ces jouets sophistiqués d’aujourd’hui ; pas de cadeaux somptueux ; pas d’envieux ; tous étaient à la même enseigne dans ce petit Bourg. Cela était­-il un bien, cela était-il un mal ? Je ne le sais pas.

Les enfants étaient heureux dans leur pauvreté ; les Parents les aimaient aussi bien que ceux d’aujourd’hui ; ils apprenaient de bonne heure que rien n’arrive sans travail et qu’il fallait compter plus sur eux-mêmes que sur leurs ascendants.

Les NOËL d’antan sont un souvenir lointain et inimaginable pour nos jeunes générations, car je parle aujourd’hui de ceux d’il y a plus de trois quarts de siècle.

Albert ARMAND
Originaire de Mévouillon,
M. Albert Armand
habite Bourg-de-Péage