Le tribunal de simple police du Canton de Séderon a rendu le jugement suivant [2] :
Entre M. le Maire de Séderon remplissant les fonctions de ministère public demandeur présent d’une part, et Jacques Jullien dit Voutière [3] propriétaire cultivateur demeurant audit Sederon, comparant volontairement sur simple avertissement, défendeur d’autre part.
La cause appelée M. le Maire a déposé sur le bureau un procès verbal dressé le 22 juin dernier par Dethès Garde Champêtre de la Commune de Séderon, constatant que le dit jour il a trouvé ledit Jullien qui avait attaché son ânesse dans une propriété appartenant à M. Reynaud Lacroze sise au terroir de Séderon, quartier du Défend, après avoir traversé une pièce d’avoine dont ledit fond se trouve ensemencé, duquel procès verbal dûment affirmé et enregistré lecture a été faite par le greffier.
Ouï le prévenu dans ses moyens de défense lequel a dit qu’il ne conteste pas le fait rapporté dans le procès verbal dont s’agit, que réellement il avait attaché son ânesse pour lui faire manger un peu d’herbe qui se trouvait sur un coin du fond de M. Lacroze, après avoir passé sur une longueur d’environ quatre mètres, sur un angle de la pièce d’avoine qui se trouve sur ledit fond, mais que le dommage qu’il a causé est insignifiant.
M. le Maire ayant résumé l’affaire a conclu à ce que par application de l’article 471 du code pénal le prévenu soit condamné à l’amende & aux dépens.
Sur quoi nous juge de paix siégeant en simple police, vu l’article 471 du code pénal ainsi conçu « seront punis d’amende depuis un franc jusqu’à cinq francs (…) ceux qui auront fait ou laissé passer leurs bestiaux, leurs animaux de trait, de charge ou de monture sur le terrain d’autrui & avant l’enlèvement de la récolte ».
Attendu que le fait rapporté par le procès verbal dont il s’agit n’est pas contesté mais au contraire formellement avoué par le prévenu
Attendu que la contravention dont s’agit présente peu de gravité, puisque le propriétaire du fond n’a rien voulu exiger pour dommage & intérêt
Par ces motifs, nous juge de paix susdit jugeant en simple police faisant droit aux conclusions du ministère public, condamnons le dit Jacques Jullien prévenu à l’amende de un franc pour avoir le 22 juin dernier fait passer une ânesse sur une propriété ensemencée en avoine, pour attacher cette ânesse & la faire paître dans la dite propriété & le condamnons en outre aux dépens liquidés à quatre francs soixante centimes y compris vingt cinq centimes pour l’extrait du présent à fournir par le greffier au Receveur de l’enregistrement.
Ainsi jugé & prononcé à Séderon en audience publique et en présence des parties le 10 août 1850.
C’est dans le code pénal de 1810 publié sous le titre « Code des délits et des peines », que l’on trouve l’article 471 cité dans cet acte de juge de paix.
Le premier code pénal français fut celui de 1791, adopté pendant la Révolution. En effet, soucieux de rompre avec la justice « arbitraire » de l’ancien régime, les révolutionnaires ont souhaité mettre en place un système juridique impartial, affirmant l’égalité civile devant la loi et équilibré : des peines proportionnelles aux délits.
Inspiré de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ce code fut néanmoins remplacé par celui de 1810 établi par Napoléon Bonaparte.
Le Code Pénal Napoléonien perdura (avec de nombreuses modifications) jusqu’en 1994 date ou il fut abrogé et remplacé par un nouveau Code Pénal lui-même modifié en 2010...
Durant près de 184 ans, le code pénal Napoléonien aura été la source majeure du droit en France, définissant tous les crimes et délits et les peines afférentes. Il marqua la société française au plus haut point, régissant les faits et gestes de générations de français et allant jusqu’à la condamnation à 5,60 francs d’un Séderonnais qui en 1850 avait attaché son ânesse au mauvais endroit...