Les moulins de Séderon ont vraisemblablement été construits à la fin du XVIᵉ siècle, alors que l’importance économique de la Communauté de Séderon devenait significative.
Sans doute à la suite d’un accord avec le seigneur de Séderon de l’époque, les moulins sont construits par Jacques de la Tour, seigneur de Saint Sauveur :
— le seigneur de Séderon met ainsi à disposition des habitants des moulins et peut y exercer son droit de banalité (obligation pour les habitants d’utiliser ces moulins dits banaux et de payer une rente féodale perpétuelle pour leur mise à disposition),
— Jacques de la Tour récupère son investissement en encaissant le droit de mouture des grains de cette clientèle captive (sans doute égal au 1/20 de la quantité de grains apportés, comme c’était le cas généralement en Provence).
Deux moulins sont construits :
— le moulin de Courbon à l’emplacement de l’actuel moulin de Sainte Barbe,
— le moulin du Champ Dolent à l’emplacement de l’actuel moulin de Saint Pierre.
Les dépenses d’entretien élevées des moulins poussent sans doute Jacques de la Tour à les revendre à la Communauté de Séderon le 27 février 1602 pour 3.000 livres (en 1640, la Communauté de Séderon reconnaît tirer des moulins un droit de mouture de 6.400 kg de blé mais déclare qu’ils sont de fort peu de rapport car leur entretien est sujet à une écluse en mauvais état).
En 1640, pour rembourser ses dettes, la Communauté de Séderon doit revendre les moulins au seigneur, et jusqu’à la Révolution les moulins resteront la propriété des différents seigneurs qui se succéderont à la tête du fief de Séderon.
En tant qu’ancienne propriétaire du moulin, la Communauté de Séderon effectue chaque année le versement de la rente féodale au seigneur (640 kg de blé froment) et se charge elle-même d’en faire la collecte auprès des habitants. Elle a pu négocier avec le seigneur une transaction qui confirme ses droits dans l’utilisation du moulin.
L’exploitation du moulin est de la responsabilité du seigneur de Séderon. Il embauche un meunier qui prélève le droit de mouture et qui, en recevant une partie de ce droit, fait fonctionner et entretient le moulin. Le meunier est généralement un étranger à la Communauté de Séderon (Jacques Chastel, de Sainte Jalle, reste meunier jusqu’à sa mort en 1770 à l’âge de 80 ans, Jean-Baptiste Doze d’Antonaves devient meunier en 1782, à l’âge de 30 ans). Au moulin, de par la transaction, les Séderonnais sont prioritaires (le meunier doit préférer les habitants aux étrangers). Le reproche fait au meunier en 1692 d’aller contre la transaction dudit moulin (en bâclant la mouture des grains séderonnais pour pouvoir moudre plus de grains étrangers) semble indiquer que le droit de mouture payé par les Séderonnais est inférieur à celui payé par les étrangers. C’est peut-être pour prévenir cet abus qu’un peseur est employé depuis 1687 par la Communauté. Aux termes de son contrat, celui-ci doit se tenir sur le chemin du moulin de six heures du matin de chaque jour jusqu’à dix et depuis deux heures après midi jusqu’à six heures du soir et noter sur un registre les quantités de grains entrantes et en conséquence de la farine. Il doit rester vigilant pour qu’aucune personne ne puisse passer par des chemins détournés et obliques pour le frauder. Il est payé par les habitants en proportion des quantités pesées.
L’entretien du moulin est à la charge du seigneur. Dans une convention passée en 1767 par le seigneur, il est rappelé que celui-ci doit faire entretenir les bâtiments et engins et les fossés et écluse du moulin.
Au XVIIIᵉ siècle, le moulin de Courbon est le seul moulin de Séderon en activité (en 1640, le moulin du Champ Dolent est déjà en mauvais état et n’est plus utilisé).
D’après un état descriptif du moulin rédigé en 1793, cette installation, déclarée comme propriété du seigneur de Séderon, est équipée de deux ensembles de meules horizontales et d’un gruaire (nom provençal du moulin à décortiquer). Ces trois appareils sont séparément actionnés par un rodet, terme utilisé à l’époque en Haute Provence pour désigner les roues hydrauliques à axe vertical, d’environ 2 m de diamètre équipées d’aubes en cuillères.
Le moulin est alimenté en eau à l’aide d’une prise au niveau de l’actuel Plus Bas Pont et du canal du quartier du Moulin. L’écluse actuelle est déjà existante (une muraille au devant de l’écluse est construite en 1773), l’eau qu’elle met en réserve est dirigée sur chacun des rodets par des gorgerouns, sortes de buses en bois étroites.
Ces dernières sont mobiles et leur déplacement permet d’arrêter la rotation des meules en dirigeant l’eau à coté du rodet. En aval, un fuyant évacue l’eau vers la Méouge. Le dénivelé entre ce fuyant et la prise du Plus Bas Pont (5 m) confirme que le fonctionnement des rodets ne nécessite pas une hauteur d’eau importante. D’après le bail accordé au fermier du seigneur, le canal et l’écluse doivent être curés tous les six ans.
Le moulin se trouve à l’intérieur d’une courbe de la Méouge, position qui permet de minimiser la longueur du canal d’amenée tout en bénéficiant d’un bon dénivelé et qui sans doute est à l’origine de son nom de Courbon.
Les deux ensembles de meules horizontales sont utilisés pour la mouture des grains. Dans chacun de ces appareils, l’axe du rodet traverse le centre de la meule inférieure qui reste fixe et met en rotation la meule supérieure appelée tournant. Une entremuyo, nom provençal d’une sorte d’entonnoir en bois, permet l’alimentation en grain au centre du tournant, elle peut être soulevée ou abaissée ce qui permet de modifier le débit d’alimentation en grain. Une robe en bois collecte la farine en périphérie des meules et la dirige vers une caisse. Les meules, d’un seul bloc, proviennent des carrières de Viens (à coté d’Apt), les différentes ferrures sont en bronze.
La mouture des grains se fait à la grosse, c’est-à-dire en un seul passage entre les meules, et la farine produite est plus bise que blanche.
Le mouvement des meules a tendance à polir les faces en contact et ces dernières doivent périodiquement être piquées à l’aide d’un marteau spécial qui figure dans l’inventaire des ustensiles du moulin.
Le réglage de l’espacement entre les meules dépend des céréales qui doivent être moulues et un ensemble de meules sert au broyage du froment (le moulin blanc), l’autre sert au broyage du seigle et du méteil (le moulin brun). Ces deux noms sont utilisés dans un devis de réparation des appareils du moulin établi en 1773 à la demande du seigneur de Séderon.
La capacité de production du moulin est d’environ 400 kilogrammes de farine par jour mais il semble que, dans les dernières années du XVIIIème siècle, elle devienne insuffisante pour satisfaire les besoins locaux. C’est en effet à cette époque que le seigneur de Séderon entreprend la rénovation du moulin du Champ Dolent, équipé à l’origine d’un seul ensemble de meules. En 1792 ce second moulin, qui est resté en activité jusqu’à une époque récente, n’est pas encore en état de fonctionner. Le bâtiment n’est qu’à moitié reconstruit, les meules ont été changées mais l’écluse et le fuyant sont plains. Le moulin du Champ Dolent (littéralement moulin du champ de la douleur) devait être voisin d’une terre demandant un dur labeur.
L’existence parmi les appareils du moulin de Courbon d’un gruaire et la présence parmi ses accessoires d’un arbre, d’une corde, d’une pierre à huile et d’une bansine en cuivre pour l’huile montrent qu’au XVIIIᵉ siècle le seigneur de Séderon a sans doute équipé son moulin d’une installation d’extraction de l’huile des noix produites localement. Un moulin à huile figure en tant que tel parmi les usines énumérées dans un bail du moulin de Séderon établi en 1833.
Le gruaire est utilisé pour broyer les cerneaux de noix. Il est certainement composé, comme les appareils rencontrés dans la région, d’une pierre circulaire creuse dans laquelle roule une meule tronconique à axe horizontal entraînée par l’arbre du rodet traversant le centre de la pierre.
Selon la technique pratiquée au XVIIIᵉ siècle en Haute Provence, la pâte obtenue est ensuite chauffée vers 60° C dans la bansine en cuivre, puis pressée pour en extraire l’huile, à l’aide d’un pressoir à arbre.
Ce type de pressoir, utilisé depuis l’Antiquité, fonctionne sur le principe du levier inter-résistant. L’arbre (grosse poutre horizontale de forte section constituant le bras de levier) prend appui à une de ses extrémités dans une encoche pratiquée dans un mur. La force motrice est exercée vers le bas, à l’autre extrémité, à l’aide de la corde, terme qui à l’époque semble désigner à la fois la corde et le treuil sur lequel elle s’enroule (en provençal, corde et cabestan ont la même racine). La force résistante est égale à la force d’écrasement d’un empilement de poches en chanvre tressé (en forme de béret basque) remplies de pâte, placé sous la poutre (à peu près au tiers de sa longueur, du coté du point d’appui). En 1773, le seigneur de Séderon fait faire au Buis une corde pour le moulin (le Buis est spécialisé à l’époque dans la fabrication des pressoirs à olives), le prix payé est élevé (environ 25 livres) et couvre plus que la fabrication d’une simple corde. La corde devait également être utilisée pour la manutention des meules du moulin.
Le treuil devait être identique à ceux qui équipaient les anciennes charrettes.
L’extraction de l’huile de noix devait avoir lieu au printemps (les noix ramassées à l’automne sont mises à sécher pendant 2 ou 3 mois puis, pendant les soirées d’hiver, elles sont cassées pour en recueillir les cerneaux). Il faut casser environ 200 noix pour obtenir un litre d’huile. A Séderon, au début de la Révolution, le prix du litre d’huile de noix est d’environ une livre.
La pierre à huile (bloc de pierre creusé en forme de récipient cylindrique équipé d’un couvercle) est de forte capacité (environ 40 litres) et devait permettre une bonne conservation de l’huile produite (ses parois opaques mettent l’huile à l’abri de la lumière, leur inertie thermique la maintient à une température moyenne constante). Le bourgeois Jacques Jullien qui est propriétaire de nombreux noyers possède également chez lui une pierre pour l’huile qui lui permet de conserver sa production.
Aucun document mentionnant le montant du droit de pressage, que certainement le seigneur de Séderon devait prélever, n’a été retrouvé.
C’est avec de l’huile de noix obtenue lors d’une seconde pression de la pâte qu’est alimentée la lampe du Saint Sacrement suspendue dans le chœur de l’église.
Le 2 novembre 1790, est proposé par les autorités séderonnaises le rachat de la banalité du moulin au moyen d’une contribution annuelle de 3 livres par chef de famille. Mais cette proposition est refusée par l’ensemble des Séderonnais le 20 février 1791 et il semble que dans les premières années de la Révolution le moulin soit utilisé librement.
Le moulin de Séderon est réquisitionné le 23 décembre 1792 par les autorités du département de la Drôme, il devient moulin national et est géré sous la forme d’une régie. Dans l’enquête du 24 octobre 1793, il est noté que le meunier fait valloir le moulin pour la Nation et les registres des autorités du département de la Drôme mentionnent que le meunier reçoit de leur part un salaire de 32 livres par mois.
En 1794, la régie du moulin national de Séderon étant déficitaire, les autorités du département de la Drôme décideront de se séparer du moulin ; il sera mis aux enchères le 12 octobre 1794 comme bien d’émigré. Le moulin haut (moulin de Courbon), le moulin bas (moulin du Champ Dolent) et une terre voisine de ce dernier forment un lot, mis à prix pour 5.000 livres et adjugé au cinquième feu à Jean-François Vigne, officier de santé à Nyons, pour 23.400 livres (couvrant les enchères portées par deux Séderonnais). Jean-François Vigne n’intervient dans cette vente que comme prête-nom. En mars 1795 est en effet passé à Nyons un acte de subrogation qui substitue au nom de Jean-François Vigne celui de Xavier Arnaud des Omergues.