La Petite Fontaine a commencé de couler le 10 juin 1684, et elle continuera d’être alimentée par la même source pendant environ 300 ans jusqu’à ce qu’elle soit connectée au réseau d’eau potable actuel du village de Séderon. Ne serait-ce que pour cette raison, elle mérite que lui soient consacrées cette tentative de reconstitution du début de son histoire.
La Petite Fontaine, située à l’endroit où le chemin de la plus basse passerelle rejoint le boulevard des jardins, constitue le premier système d’adduction d’eau potable en bordure du village de Séderon. Son aspect actuel est donné par la photo de la figure 1.
La création de la Petite Fontaine permet d’apprécier l’esprit communautaire des Séderonnais de l’époque (prise en compte de l’intérêt collectif, participation aux travaux de réalisation et d’entretien, partage des coûts de réalisation et d’entretien) et les qualités de leurs administrateurs (acharnement sur le projet, choix de l’emplacement, minimisation des coûts, prévision des travaux d’entretien et de réparation).
A l’époque de la création de la Petite Fontaine :
— Louis XIV est roi de France, le royaume est momentanément en paix (la guerre de Hollande s’est terminée par le traité de Nimègue le 10 août 1678, la guerre de la Ligue d’Augsbourg ne débutera que le 24 septembre 1688 avec l’occupation de Cologne par les troupes françaises),
— la terre de Séderon (le territoire de la Commune actuelle moins le vallon de la Saulce) appartient au seigneur Jean d’Astuard, marquis de Murs, elle fait partie du Comté de Provence),
— l’ensemble des chefs de famille (106 en 1693) constitue la Communauté de Séderon (unité administrative de la Provence), il représente une population d’environ 480 individus habitant le village de Séderon (limité à l’époque aux maisons situées entre le pont actuel et l’actuelle place du lavoir d’en haut), son faubourg (les maisons de l’actuelle Bourgade) et les écarts (pratiquement les hameaux et les fermes isolées qui existent encore actuellement),
— l’assemblée des chefs de famille (le Conseil Général) se réunit pour délibérer sur toutes les affaires qui intéressent la Communauté ; elle le fait sous l’autorité du lieutenant de juge (un des chefs de famille choisi par le seigneur pour le représenter) et fait appliquer les décisions qu’elle prend par deux consuls (élus parmi les chefs de famille, traditionnellement le lendemain de Noël de chaque année),
— les habitants du village vont sans doute s’approvisionner en eau potable à la source de la Coquette, située dans la gorge de l’Essaillon, sur la rive gauche de la Méouge, juste en aval de l’actuel plus bas pont (cette source n’est actuellement visible qu’après de fortes pluies car du fait de l’érosion elle est maintenant immergée dans l’eau de la Méouge).
En 1684, à la fin de travaux d’adduction d’eau à la Petite Fontaine, les consuls ont le souci de laisser dans le compte rendu de la délibération du Conseil Général un descriptif du réseau enterré en prévision, à l’évidence, de futurs travaux d’entretien ou de réparation. Ce descriptif (intitulé ce qui a été observé à la fontaine que la communauté a fait faire) se rapporte au système d’alimentation (canalisation, reposoir, regards) de la Petite Fontaine actuelle. Il fournit des renseignements (position du reposoir, alignement de l’axe de la canalisation sur l’axe d’une des ruelles du village, distances entre les regards placés sur la canalisation) dont la précision peut encore être vérifiée à l’heure actuelle grâce aux souvenirs de certains Séderonnais.
Le système d’adduction d’eau à la Petite Fontaine améliore un premier système d’adduction construit au début du XVIIe siècle et alimentant une fontaine ancienne, voisine de la Petite Fontaine, mais dont la disponibilité ne devait pas satisfaire les habitants.
Les deux systèmes d’adduction sont construits à partir d’une source, appelée source de mars qui, d’après le descriptif de 1684, se situe à Beauregard proche du rocher contre le chemin de Saint Baudille, c’est-à-dire sans doute à mi chemin entre les rochers de la colline de Beauregard et l’actuelle route du cimetière. La position de la source de mars semble être confirmée par l’existence au bas de cette zone d’une source qui coulait jusqu’à ces dernières années à coté d’un grangeon au quartier de Saint Charles (en 1628, la source est appelée fontaine de la grange dicte de mars).
La construction de la fontaine ancienne, décidée en 1612 par le Conseil Général, prévoit de faire venir l’eau de la fontaine qu’est au chemin public (la source de Beauregard) joignant la terre de Henry Gilly vers la cime du pré de la ville (le haut du Pré de la Cour) et icelle rendre par fossés sortant au pied dudit pré. Les travaux, confiés à un maître fontainier, ne semblent débuter qu’en 1628 avec la passation par les consuls d’un prix-fait pour creuser un vallat en forme de ton (du provençal touno, conduit souterrain couvert de lauzes pour l’eau). Ils se terminent sans doute en 1640 par la construction de la fontaine ancienne que le maître fontainier s’est engagé à faire sortir au pied du Pré de la Cour à l’aide de bourneaux (du provençal bourneu, tuyau de conduite) qu’il a fournis. Au début de 1681, sans doute parce que le système d’adduction de la fontaine ancienne s’est obstrué, le Conseil Général décide de faire des fossés aux endroits qui sera trouver bon. Les motifs invoqués pour justifier cette réparation rappellent la nécessité d’une fontaine pour les habitants du village (dans les pluyes on ne trouvent pas d’eau claire et dans l’hiver avec les glaces on ne sait où prendre d’eau).
La construction de la Petite Fontaine est décidée lors de la réunion du Conseil Général du 25 janvier 1682 (il est initialement prévu de l’alimenter à partir du puits qu’un particulier possède à Beauregard et qui l’a offert à la Communauté). Les travaux, confiés à Jacques Meysenc, sourcier d’Aiguians, ne débutent qu’en avril 1683 avec l’achat à Laragne de tuyaux de terre, l’organisation par les consuls du creusement collectif des fossés (une journée de travail pour chaque habitant sous l’autorité de dizainiers) et la décision de prise en charge par la Communauté des dommages qui se pourront faire aux particuliers en faisant les fossés (dommages évalués à l’amiable ou par les estimateurs vieux et modernes en cas de contestation). Fin octobre 1683, le Conseil Général, qui a advancé quelque argent au maître fontainier, presse les consuls pour que débute le creusement des fossés. Le premier juin 1684 il ne reste plus qu’à combler le reste des fossés. Une grande partie du montant des travaux (293 livres au total) a déjà été payée (prestation du fontainier et d’un maçon, indemnisation des habitants qui les ont aidés, achat des matériaux de construction). Le 10 juin 1684, le système d’adduction d’eau de la Petite Fontaine est achevé.
L’important délai (14 mois) entre la décision ferme de construire la Petite Fontaine (délibération du premier avril 1683) et son achèvement (10 juin 1684) peut s’expliquer par le fait qu’entre ces deux dates le Conseil Général a dû aussi s’occuper du logement de nombreuses troupes de passage (même si ce n’est que pour une nuit). Au cours de ces 14 mois, la Communauté voit en effet passer 4 compagnies de cavalerie (environ 140 hommes) en août 1683, 12 compagnies de cavalerie (environ 420 hommes) en septembre 1683, 16 compagnies d’infanterie (environ 720 hommes) en décembre 1683, 1 compagnie de cavalerie (environ 35 hommes) et 16 compagnies d’infanterie en deux fois (environ 360 hommes chaque fois) en janvier 1684, 6 compagnies de cavalerie (environ 210 hommes) en février 1684, 31 compagnies de cavalerie en 4 fois (environ 270 hommes chaque fois) et 16 compagnies d’infanterie (environ 720 hommes) en mars 1684.
Une reconstitution du tracé du système d’adduction d’eau de la Petite Fontaine, d’après sa description en 1684, est proposée sur la figure 2. L’emplacement supposé de la fontaine ancienne est indiqué sur cette figure (dans un procès-verbal de 1640 le chemin des aires de la figure 2 est mentionné comme limite Ouest du Pré de la Cour sous le nom de chemin allant à la fontaine). La position du grangeon du quartier de Saint Charles est également indiquée.
Le descriptif de 1684 signalant que l’eau de la source est conduite avec des canaux couverts de lauzes jusqu’à un reposoir, il est permis de supposer que la source de mars est une zone d’émergence répartie sur la pente (cette zone, après de fortes pluies, est repérable sur le terrain) et que ces canaux améliorent le captage de 1640 en permettant de collecter l’eau sur une plus grande surface et plus en profondeur.
Le reposoir (le grand repos) est de muraille (c’est-à-dire en pierres de taille). Il est voûté et bâti sur un fond étanche constitué par une grande pierre ronde de taille prise à la muraille du simetierre. Le descriptif de 1684, qui précise que le reposoir se situe à l’entrée du pred de la cour et donne sa distance à une grosse pierre plantée comme repère à l’extrémité de l’endronne des jardins, permet de situer ce reposoir à l’endroit où une construction ancienne était encore visible jusqu’à une époque récente, en bordure de l’actuel chemin du cimetière.
Une canalisation enterrée, alimentée par le déversoir du reposoir (la perte de la voute du grand repos), traverse le Pré de la Cour en s’alignant (au droit fil) sur l’endronne des jardins. Elle comporte deux regards (petits repos) également enterrés. La canalisation est constituée des tuyaux en terre achetés. La photographie d’un fragment de tuyau appartenant sans doute à la canalisation ancienne est donnée sur la figure 3 (le fragment, récemment déterré lors d’un labourage du Pré de la Cour, est conservé par Hélène Rispal). Le tuyau a un diamètre extérieur de 10 cm et une épaisseur de paroi de 1,5 cm. Un manchon à son extrémité (13 cm de diamètre extérieur) devait permettre l’emboîtement des différents tuyaux (la profondeur d’emboîtement est visible sur le médaillon de la figure 3).
Le descriptif de 1684 prend soin de donner la distance des deux regards enterrés à la grosse pierre servant de repère sans doute pour prévoir le curage de la canalisation et éviter un bouchage qui devait nuire à la disponibilité de la fontaine ancienne (le médaillon de la figure 3 met en évidence le fort dépôt de calcaire à l’intérieur du tuyau).
Au sortir du Pré de la Cour, la canalisation suit l’endronne des jardins jusqu’à une muraille que les habitants ont fait faire en bordure et qui sert de fontaine. Le coulant de la fontaine est constitué de trois canons de fer débitant dans un chamatas placé contre la muraille. Le mot de chamatas appartient au dialecte gavot et désigne à l’époque un abreuvoir en bois pour le bétail, réalisé par creusement d’un tronc d’arbre (le chamatas de la Petite Fontaine a été réalisé à la combe du Taix dans un tronc de chêne par deux Séderonnais, il a coûté 5 livres).
Le muret de la Petite Fontaine actuelle est sans doute un reste de la muraille constituant la Petite Fontaine ancienne. En effet, si actuellement la Petite Fontaine se trouve à l’intersection du chemin des jardins et du boulevard de la nouvelle gendarmerie, elle se trouvait à environ 8 m de cette intersection avant la création de ce boulevard.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, la Petite Fontaine est aménagée en second reposoir, pour alimenter en eau la fontaine qui est alors construite sur l’actuelle place du lavoir d’en bas. Cette extension terminée, la Petite Fontaine ne devient plus le point d’eau principal du village et reçoit sans doute son qualificatif de petite fontaine. En 1911, la fontaine de la place du lavoir d’en bas sera alimentée par le nouveau réseau d’eau en provenance de la source des Lébrières, mais la Petite Fontaine ne sera connectée à ce réseau que dans les années 1980.