L’amas de pierre visible actuellement au sommet de la colline de la Tour (photo ci-dessous) marque l’emplacement d’une ancienne forteresse qui a donné son nom à cette colline. Ce vestige n’est pas la conséquence d’une lente destruction par le temps mais bel et bien d’une démolition volontaire, à la fin des guerres de religion, décidée dans un traité d’alliance signé en 1588 entre les catholiques provençaux et les protestants dauphinois.
Les lignes qui suivent tentent de retracer l’existence de cet édifice destiné à tenir un rôle important dans l’histoire de Séderon.

L’intérêt stratégique du passage de Séderon, qui relie le Comtat Venaissin et la région d’Apt à la vallée du Buëch et au Haut Dauphiné, fut sans doute très tôt reconnu et justifia la construction d’un castrum (forteresse en latin) au sommet de la colline de la Tour qui commande ce passage. Il a donné ses premiers noms au fief de Séderon ( castrum de sedarono en 1293, castrum sadaroni en 1299).
La forteresse était constituée d’une tour carrée, sans doute d’une taille relativement importante (d’après une enquête sur la seigneurie de Séderon réalisée en 1324, sa construction aurait coûté 500 livres, soit le salaire pour 200 jours de travail de 10 maîtres maçons payés généralement 5 sols la journée au Moyen Âge).
La forteresse de Séderon, perchée au sommet de la falaise de la Tour, devait être assez impressionnante quand elle était vue à partir du Sud et devait sans doute apparaître comme inattaquable.
Des traces d’excavation au voisinage de la forteresse marquent peut être l’emplacement de bâtiments domestiques complémentaires plutôt que l’emplacement d’habitations d’un village primitif dont l’existence est difficile à imaginer à cet endroit dépourvu d’eau. La chapelle de Notre Dame de la Brune, située en contre-bas de la forteresse, devait à son origine dépendre du castrum de Séderon (en 1178 elle est appelée sancta maria de castro ) et devait remplir les fonctions de chapelle castrale (lieu de culte et d’inhumation privé pour les occupants de la forteresse).
Le même intérêt stratégique semble être à l’origine du castrum gaschetto (cité dans un document de 1247) qui désigne sans doute une tour construite sur la crête de l’actuel quartier de Gueisset, surplombant les passages donnant accès à la vallée de la Durance par la vallée du Jabron et à la région de Forcalquier par le col du Négron. A cet endroit, d’après la tradition séderonnaise, des ruines encore visibles actuellement constitueraient les restes d’un vieux village de Gueisset.
L’existence de ce village n’étant mentionnée dans aucun document ancien, c’est sans doute les ruines de cette tour qui ont été assimilées au cours des ans aux ruines d’un vieux village. La tour de Gueisset semble avoir été rapidement abandonnée (un document de 1388 signale que plus personne n’habite à Gueisset). Le castrum gaschetto n’était sans doute qu’une modeste construction mais, à l’instar des castra provençaux qui ont donné naissance à une agglomération, la tradition l’a peut être transformé en un vieux village.
Les tours de Séderon et de Gueisset, surveillant la plupart des passages situés au Sud-Est du fort de Mévouillon, faisaient sans doute partie d’un système de postes de guet pour cette forteresse, chef-lieu militaire des barons de Mévouillon (les tours de Séderon et de Gueisset sont en vue directe du fort de Mévouillon).
Les dates de construction des tours de Séderon et de Gueisset ne sont pas précisément connues, elles se situent sans doute vers le milieu du XIIe siècle (la construction de la forteresse de Mévouillon se situerait entre 1079 et 1095, celle de la chapelle de Notre Dame de la Brune remonterait à 1178).
Les fiefs de Séderon et de Gueisset ont peut-être pour origine les domaines alloués comme source de revenus par les barons de Mévouillon aux hommes d’arme qui assuraient dans ces tours leur protection d’avant-garde. Comme à Mévouillon, la participation des habitants de ces fiefs à des tours de garde dans ces castra faisait sans doute partie des redevances que ceux-ci devaient en contrepartie de la sécurité que leur apportaient ces hommes d’armes.
Après la perte d’hégémonie des barons de Mévouillon sur la région à la fin du XIIIème siècle, la forteresse de Séderon perd sans doute de son intérêt stratégique. Elle reste cependant une forteresse de frontière entretenue par les nouveaux possesseurs du fief de Séderon :
- famille de Baux, dont la dernière héritière, Alix de Baux d’Avellin, fait reconstruire la forteresse en 1324,
- comtes de Provence, dont l’un d’eux donne en usufruit en 1436 le fief de Séderon à Antoine de la Salle à charge pour lui de reconstruire la forteresse.
Au temps des guerres de religion, la forteresse de Séderon reprend toute son importance stratégique car elle se situe sur la ligne de démarcation entre les domaines des capitaines protestants locaux (Charles Dupuy-Montbrun, René de la Tour du Pin Gouvernet) et le comté de Sault, point d’appui solide pour le catholicisme.
En 1580, alors que les troupes catholiques provençales assiègent les protestants dans Sisteron, René de la Tour du Pin Gouvernet investit les places de Séderon, Montfroc, Saint Vincent et Peipin et demande 11 000 écus d’or aux autorités de Provence pour les restituer.
Les délibérations de l’Assemblée des Communautés provençales pendant cette période d’occupation, transcrites en détail grâce aux compétences en paléographie de Sandy Andriant, signalent que le versement de la somme de 11 000 écus par la Provence est en particulier conditionnée au démantèlement du fort de Céderon . Cette condition prouve sans doute qu’à cette époque la forteresse de Séderon est dans un état qui lui confère des qualités défensives non négligeables.
L’occupation des places de Séderon, Montfroc, Saint Vincent et Peipin prend fin le 14 août 1588, jour de la signature par Lesdiguières, chef des protestants du Dauphiné, et La Valette, gouverneur de Provence, du traité de Montmaur qui scelle une accord d’assistance entre les protestants du Dauphiné et les catholiques de Provence contre les ligueurs provençaux (catholiques intransigeants qui contestent les avantages accordé par le roi aux protestants).
La dernière clause de ce traité prévoit la démolition de la forteresse de Séderon, elle est ainsi formulée :
Et pour les forts de Céderon et la Breolle ils seront démolis au jour nommé.
Elle est sans doute immédiatement suivie d’effet à Séderon, comme à la Bréole dont la démolition de la forteresse est datée de novembre 1588.
Il ne serait sans doute pas étonnant que d’anciennes maisons du village de Séderon aient été construites avec des pierres de taille provenant de la démolition des murs de la forteresse de Séderon.
Il ne serait certainement pas inutile d’entreprendre des fouilles pour avoir une idée plus précise des dimensions de la forteresse de Séderon.