Le 25 mai 1720 un navire, « Le Grand Saint-Antoine », arrivait à Marseille, venant de l’Orient.
Ne respectant pas la quarantaine, il apportait dans ses soutes la peste qui tua la moitié des habitants de la ville. Cette maladie mortelle s’étendit à l’intérieur de la Provence et fut signalée dans la région d’Apt en septembre.
Le Royaume de France interdit alors tout passage et tout commerce entre le Dauphiné et le Comtat Venaissin.
Face à l’assaut de l’épidémie, on entreprend au début de l’an 1721 l’édification d’une muraille en pierre sèche du plateau de Sault jusqu’ à la Durance, afin d’éviter toute pénétration.
Cinq cents habitants des villages environnants sont réquisitionnés.
En mars les travaux commencent, en juillet ils sont terminés. 800 hommes des troupes royales de France et des troupes papales vont le garder. Des guérites ont été construites pour les abriter. Le commerce peut reprendre entre le Comtat, terre papale, et le Royaume de France.
Le mur fut-il efficace ? Plus qu’on ne l’a dit, certainement, moins qu’on ne le souhaitait toutefois. Méthamis, Venasque furent épargnés, la Roque et le Beaucet également. L’épidémie ne se termina vraiment qu’en janvier 1723, les progressions et les actions de grâce se multiplient dans les villes et villages épargnés, le mur est abandonné.
Marseille perdit ainsi environ 40 000 habitants, sur 90.000 âmes estimées.
C’est un bref résumé de la version officielle communément admise de cet événement désastreux. Mais nos ancêtres des Baronnies se sont-ils contentés de regarder passer l’histoire du haut de leurs montagnes sans y participer eux-mêmes ? La contagion les a-t-elle atteints ?
Les registres paroissiaux comme « chronique des événements locaux », sont source de nombreuses informations. Les curés notaient parfois les circonstances particulières liées à tel ou tel acte de baptême, de décès ou de mariage. Est-il fait mention d’un décès à cause de la peste dans ceux de Séderon et des villages voisins ?
Les noms de soldats faisant partie des régiments de Poitou et de Minervois [1] venus pour tenir « la ligne » apparaissent à partir de janvier 1721 dans les paroissiaux de Séderon, Barret-de-Lioure, Montbrun et Plaisians. (La construction du « mur » commence au début de l’année 1721). Ils semblent attester d’une présence militaire importante. On peut supposer que le « mur de la peste » décrit comme remontant de Cavaillon à Sault, en passant par Murs [2] s’est en fait étiré, au nord, jusqu’à nos villages. Ils se situent au bord du Plateau d’Albion, à l’ubac du Ventoux, c’est-à-dire dans l’exact prolongement de l’axe de la « ligne ».
Il faudra rechercher avec précision s’il montait à l’assaut des cols de l’Homme Mort et de Macuègne, en passant par Ferrassières ou s’il passait plus probablement par Aurel pour arriver à Montbrun d’où il se séparait en 2 branches. L’une montant à Barret-de-Lioure et Séderon en suivant les crêtes, et l’autre s’étirant à Reilhanette et Plaisians en suivant le Toulourenc. Du moins à défaut de vestiges de « mur de la peste », les paroissiaux nous indiquent-ils par les actes qu’ils transcrivent, l’ampleur du déploiement des armées chargées de surveiller la « ligne ».
Cette « ligne » marquait la frontière entre Comtat et Provence dont nos 4 villages faisaient partie. Elle était sensée éviter la propagation de la mortelle maladie au-delà de cette province méridionale. Infranchissable, elle entravait aussi bien la vie économique que spirituelle. Déplacements des personnes (curés compris) et transports de marchandises pour les foires étaient interdits [3]. On trouve dans les registres paroissiaux de Barret-de-Lioure plusieurs baptêmes ou inhumations déclarés avec retard (de 1 jour à 1 mois) « pour cause de ligne » (sic).
Le curé BARRUOL de Barret-de-Lioure, a noté que ça s’est produit au retour (comme éventuel pestiféré susceptible d’apporter la contagion), non pas à l’aller (comme déserteur).
« ...et avoir aporté du tabac de ce coté la, en celuy cy. »
(° 16/08/1721 à Barret-de-Lioure (26), de PASCAL Jeanne Marie)
(° 25/05/1722 à Séderon (26), de BONNEFOY François)
Et réciproquement :
Sr Louis François ENDIGNOUX de Plaisians, époux de Françoise VACHON) parrain d’un enfant de soldat. (Le titre de Sieur, indique un notable)
(°24/05/1723 à Plaisians (26), de CHAPUS Jacques)
Les liens devaient avoir été puissants au regard de la signification spirituelle du parrainage.
A moins qu’il ne se fût agi d’honorer famille ou officier, selon le cas.
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Lors des inhumations, il n’est pas fait mention de décès pour cause de peste.
On notera au passage les diverses origines de ces soldats qui venaient de la France entière, y compris de l’actuelle Belgique : Saarlouis, Namur ; et même de « iébleisquerit (?) » paroisse dans le Palatinat (actuellement Rhénanie-Palatinat, Land occidental de l’Allemagne réunifiée).
NB : on notera les abréviations communément admises par les généalogistes.
° : naissance ou baptêmex : mariage+ : décès ou sépulture, décédé(e)Fs : du latin Filius = filsFa : du latin Filia = fille
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+ à Montbrun (26) le 16/01/1721
de : BIGNON pierre, ° à St Pourçain diocèse de Clermont en Auvergne (63) ;
Sergent du Régiment de Poitou, Compagnie de Mr Le BRUN
Fs de BIGNON Daniel
et de DUMONT Marie
Témoins : St MARTIN, illettré ; Mr La GRANDEUR, qui signe
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x à Montbrun (26) le 18/02/1721
de : DELHOMME Jacques, 38 ans, travailleur de terre, veuf de feue Magdeleine PANCIN
Fs de : DELHOMME Jean, de Montbrun
et de : VALLIER Catherine +
avec : JAUME Esther, 37 ans,
Fa de : JAUME Daniel, de Montbrun
et de : CHABERT Marguerite +
Témoins : GIRARD Hilarion, de Montbrun ; PEPIN François, parisien, soldat de noble François Philippe de la ROUTIERE de Normandie ; DURON Joseph, illettré ; PARIS Alexandre, illettré
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+ à Montbrun (26) le 21/02/1721
de : ARBOUILLAND Fiacre, natif de Moithi en Brece (Mouthier en Bresse-71),
Soldat au Régiment de Poitou, Compagnie de DAMPIERRE,
Fs de : ARBOUILLAND Pierre
et de : PARONS Pierrette
Témoin : BANDRIMOND Rigobert, dit « La Rose », Sergent de la même compagnie, qui signe
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° à Séderon (26) le 20/03/1721
de : CHARITÉ Marie
Fs de : CHARITÉ Jean, Soldat dans le Régiment de Poitou
et de : POTEL Magdeleine
Parrain : RIVOLET Jacques, Sergent dans le Régiment de Poitou
Marraine : RENQUIN Marie x BALET Pierre, Sergent dans le Régiment de Poitou
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° à Plaisians (26) le 02/04/1721
de : GAUTIER Marie Anne,
Fa de : GAUTIER Bertrand, ° à Case de Mondanar (Cazes Mondenard-82) ;
Sergent du Régiment de Poitou, Compagnie de Mr FESQUEL
et de : SANTER Marie
Parrain : DAUPHIN Nicolas Sergent même Régiment, ° ’Reims, 51
Marraine : VAYHERIC Marie Anne ° Saarlouis
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° à Plaisians (26) le 03/04/1721
de : VERRONS Jean Baptiste
Fs de : VERRONS Michel, ° Ducey-50 ; Sergent du Régiment de Poitou, Compagnie de Mr VELLOTTE
et de : BOSERET Marie Anne, ° Namur
Parrain : SOLET Jean Baptiste Soldat Régiment Poitou, Cie du Serre
Marraine : VAYHERIC Marie Anne ° Saarlouis
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+ à Montbrun (26) le 26/05/1721
de NOIREAU Claude Milan, ° Ria (Rye-39), bailliage de Dolle en Comté (Dole en Franche-Comté), diocèse de Besançon,
soldat de la Compagnie de DAMPIERRE, qui signe
Témoins : CORDIER Vincent, sergent de la même Compagnie ; GISSAT Claude Christofle, soldat de la même Compagnie, qui ont signé
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° à Montbrun (26) le 09/07/1721
de : HOLBAUX Jean Baptiste
Fs de : HOLBAUX M° Jean,
cordonnier de la compagnie de BRADES au Régiment de Poitou, qui signe
et de : DUCASSE Froncette
Parrain : BERINGUIER Jean, tambour-major dudit Régiment
Marraine : HOLBAUX Elisabeth, sa soeur
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° à Barret-de-Lioure (26) le 16/08/1721
de : PASCAL Jeanne Marie
Fa de : PASCAL Jean
et de : EISERIC Angelique
Parrain : BOREL Jean, Soldat du Régiment du Poitou
Marraine : CONIL Clere, ° Barret de Lioure
+ 29/09/1722 à Barret-de-Lioure (26), à 11 mois.
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° à Montbrun (26) le 02/02/1722
de : PARIS Jeanne Marie
Fa de : PARIS Louis
et de : DELHOUME Anne
Parrain : DIEGO Jacques Antoine, de la ville de Tourlouse,
soldat de la compagnie DAMPIERRE, régiment de Poitou
Marraine : MOUREAU Jeanne, fille de Guillem, de Montbrun
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° à Montbrun (26) le 16/02/1722
de : AUBERT Pierre François
Fs de : AUBERT Claude, illettré
et de : PERRET Isabeau, mariés de Montbrun
Parrain : SEGON Pierre François, natif d’Orchis en Flandres (Orchies-59), qui signe
Marraine : SEGON Marie Barbe, du même lieu, illettrée
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° à Plaisians (26) le 23/02/1722
de : GHIMBERT Marie
Fa de : GHIMBERT Jean Valentin ,
Sergent Régiment de Poitou, Compagnie de Mr FESQUEL
et de : VAYHERIC Marie Anne
Parrain : DAUPHIN Nicolas, Sergent même Régiment
Marraine : SAUTER Marie
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° à Montbrun (26) le 05/03/1722
de : BABO Marguerite
Fa de : BABO Jean, de Pamiers-09, Comté de Foyx en Gascogne
et de : REYNAUD Agnès, de Montbrun
Parrain : ERUS Jullien, de la ville de Poichelin en Bretagne, Duché de Varesnes
Marraine : COGNE Marguerite, de la ville de Pierrepon, Duché de Treves en Lorraine
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+ à Montbrun le 16/04/1722
de : PORSIN Joseph, dit « Laurin »,
soldat de la compagnie de Mr BRADE, régiment de Poitou
Témoins : SORÉ Charles, dit « Bruli », sergent ; VEDRINE François, soldat ; VA-DE-BON-COEUR, soldat, tous de la même compagnie
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° à Montbrun (26) le 11/05/1722
de GUILLINI Jean
Fs de : GUILLINI Jeanne
et de père inconnu
Parrain : TISSIER Jean, soldat dans la compagnie de Mr BRADE,
Marraine : REIDESTERCH Eva, Evêché de Fresnes
+ le 15/05/1722, à 4 jours, enseveli en présence de son parrain
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° à Séderon (26) le 25/05/1722
de : BONNEFOY François
Fa de : BONNEFOY Dominique
et de : JOUVE Clere
Parrain : de la MOLINIER (Sr) Jacques François, Capitaine au régiment de Poitou
Marraine : JOUVE Virginie ° à Séderon
Tardillon d’une fratrie de 10 enfants, il est le frère de Sr Jean Louis BONNEFOY de BAÏS, lieutenant de juge et Bourgeois de Séderon. Pas de descendance connue à Séderon comme pour beaucoup de ses frères et soeurs.
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+ à Montbrun (26) le 09/06/1722
de : CORNU Jacques, soldat du présent régiment de Poitou
Fs de : CORNU Jean
et de : MICHEL Marie, mariés de Briançon, diocèse d’Ambrun
Témoins : La GRANDEUR, sergent de laditte compagnie, qui signe ; CORNU Pierre, frère dudit Jacques, illettré
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° à Montbrun (26) le 15/07/1722
de : DAUBINI Marie Anne
Fa de : DAUBINI François, soldat dans le régiment de Limousin, infanterie
et de : HANEBAUD Marie Marguerite, mariés de Beau... en Picardie
Parrain : FABRE Jean Maurice, sergent dans la compagnie DEFERRE rgt de Poitou
Marraine : VEIRIE Marie Anne, de Tiffle ( ?) archevêché de Frenes
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+ à Plaisians (26) le 25/07/1722
de : Jacques*, Soldat Régiment de Minervois
* « a été fusillé un soldat nommé jacques du regiment de minervois pour avoir passé la ligne contre la deffanse et avoir aporté du tabac de ce coté la, en celuy cy » (BMS)
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+ à Montbrun (26) le 25/07/1722
de : BELLAMAND Jacques dit Laniette,
soldat de la compagnie de Themery, rgt de Poitou
Témoins : Sr La FERNÉ, sergent audit régiment ; FRAPPE-d’ABORD, soldat
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+ à Plaisians (26) le 26/07/1722
de : BRISEMUR Fa, 01 mois
Fa de : BRISEMUR Pierre, Soldat Régiment de Minervois
et de : COQ Catherine
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° à Plaisians (26) le 15/09/1722
de : GUERNIER Marie
Fa de : GUERNIER Jean Baptiste, Soldat Régiment Minervois, Compagnie du Chevalier de DANRIBAN
et de : QUEILERET Anne Catherine ° à « iébleisquerit » paroisse dans le Palatinat
NB : Il existe Esquéhéries, une commune de l’Aisne ?...
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+ à Plaisians (26) le 22/09/1722
de : QUEILERET Anne Catherine 30 ans ° à « iébleisquerit » paroisse dans le Palatinat,
femme de GUERNIER Jean Baptiste
+ après avoir receu le sacrement de lextremonction nayant peu recevoir celuy de leucharistie pour avoir perdu tout dun coup la parolle
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° à Plaisians (26) le 24/05/1723
de : CHAPUS Jacques
Fs de : SALES, Officier du Régiment de Minervois
et de : CHAPUS Clere
Parrain : ENDIGNOUX Louis ° Plaisians ;
Marraine : illisible
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Les soldats de la « ligne » sont mentionnés dans 24 actes : 13 baptêmes, 2 mariages et 9 décès. Quelquefois comme parrain, d’autres parce qu’on enregistre leur décès ou leur mariage, le plus souvent comme témoins. Ces actes se trouvant en majorité dans les paroissiaux de Montbrun (plus de la moitié), il semblerait que ce village ait été le quartier général à partir duquel le mur se soit séparé.
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Hors chronologie parce que ce soldat a eu un destin différent de celui de ses collègues.
x 26/01/1723 à Séderon (26)
de MICHEL Pierre, ° Fleinac, Diocèse de Cahors, 46 ;
Soldat du régiment de Poitou*
Fs de : MICHEL Hugues
et de : TERON (LERON) Marie
et BLANC Anne, ° 30/01/1694 à Séderon, Diocèse de Gap
Fa de : BLANC Jean
et de : CHAUVET Jeanne
* « veu lattestation et congé du Sr de CRESSY capitaine au régiment de Poitou »
NB : Ce soldat s’est installé à Séderon où il a fait souche.
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x 15/02/1745 à Barret-de-Lioure (26)
de : Joseph MICHEL (°23/02/1723), son fils unique,
et : Marie Anne PASQUAL, (°09/09/1726, Barret-de-Lioure)
Fa de Suffren & de Louise MOUNARD
Le nom se perd avec leurs 2 filles :
2- Suzanne (1749-1750)
1- Jeanne Marie (° 1746)
x 23/05/1771 à Séderon
Pierre MORIER (°19/08/1736, Séderon),
fs de Pierre & Catherine BEAUCHAN
De cette union naîtront 3 enfants :
2°/ Pierre Joseph (°26/04/1775)
3°/ Vincent (°05/09/1782)
1°/ Catherine (°13/09/1772)
x 05/05/1790 à Séderon
François CHASTEL (°10/10/1767, Séderon),
fs de Marc & de Jeanne SIMEON
dont :
° 09/04/1791 à Séderon.
Marc CHASTEL
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En fin de l’article :
LE REGIMENT DE POITOU
paru dans le bulletin n° 30 de juin 2001
Georges POGGIO écrivait :
« Ce séjour eut encore des suites et l’année suivante le 26 janvier le curé de Séderon pouvait écrire : “après avoir reçu l’attestation et congé du sieur de Cressy capitaine au régiment de Poitou avec la lettre missive du seigneur Evêque et comte de Gap pour la permission du mariage cy-après ont été mariez en face de notre mère Ste Eglise Pierre Michel fils à Hugues et de Marie Teron du lieu de Pleinac diocèze de Cahors et Anne Blanc fille de Jean et de feue Jeanne Chauvet de ce lieu de Séderon diocéze de Gap auquel mariage ont été présents ledit Jean Blanc père y consentant et sieur Baudille Bonnefoy à feu Sr Dominique et Sr Pierre Julien diacre de ce lieu témoins requis et signez avec moy non les parties ny led Blanc père illeterez de ce enquis et requis”. Et le 23 février naissait et était baptisé Joseph fils de ce couple. »
Bilan
Les soldats de la « ligne » sont mentionnés dans 24 actes : 13 baptêmes, 2 mariages et 9 décès. Quelquefois comme parrain, d’autres parce qu’on enregistre leur décès ou leur mariage, le plus souvent comme témoins. Ces actes se trouvant en majorité dans les registres paroissiaux de Montbrun (plus de la moitié), il semblerait que ce village ait été le quartier général à partir duquel le mur se soit séparé.
Depuis la rédaction de cet article, j’ai appris l’existence de la branche orientale de ce mur de la peste qui s’étendait jusqu’à Sisteron en longeant la vallée du Jabron. Ce sera l’objet d’une autre étude. (17/05/2006)
02/01/2006
Une parution nouvelle évoquant ce mur du Jabron publié par la Société d’Histoire et d’Archéologie des Alpes de Haute-Provence, été 2008.
par J-Pierre JOLY | Société scientifique et littéraire des Alpes de Haute-Provence |