C’est Jeudi, courons au Patro !
Nos petites galoches et nos souliers vernis claquaient dans la poussière de La Bourgade, d’autres chantaient sur la passerelle, le petit pont de fer qui franchissait la rivière.
Nous courions tous vers cette maison plantée au milieu des jardins qu’on appelait « Le PATRO ». Nous nous retrouvions sur le petit chemin au pied de la haute grille et le portail s’ouvrait devant les cris joyeux qui s’enflaient peu à peu dans un tintamarre d’insouciance. L’allée bordée de fleurs nous accueillait comme si c’était notre fête, celle des petits bambins qui n’allaient pas à l’école ce jour là.
En haut de l’escalier d’entrée, sous la statue, Mademoiselle Brun, qu’on appelait « Petite Maman » nous attendait. Les cris cessaient tout à coup devant celle qui nous inspirait du respect et que nous saluions.
Alors commençaient les choses sérieuses : l’enseignement du catéchisme, de l’histoire sainte, de l’Evangile, des commandements, suivi des questions réponses de notre petit livret que nous devions connaître sur le bout des doigts.
Cet enseignement religieux, d’abord sous l’égide de l’abbé Durand évolua vers un endoctrinement plus ludique quand arriva l’abbé Du Pontavice. Il nous projetait des films racontant des scènes de l’histoire sainte. Délices pour nous les petits enfants qui ne connaissaient rien encore à ce 7e art et encore moins à ce qui devait bercer plus tard les générations futures.
Cet endoctrinement terminé, venait, en début d’après midi, l’heure du jeu, des activités, de l’éveil. Je me revois avec mes camarades autour de l’harmonium préparant les cantiques d’église, mais pas seulement, rondes et chansons de l’époque avaient aussi leur place. Nous chantions beaucoup. L’organiste, Mademoiselle Brun en profitait pour nous accompagner au son de cet instrument et pour nous faire découvrir les rudiments de la musique : portée, clés, notes n’avaient bientôt plus de secret pour nous les filles. Les garçons quant à eux s’adonnaient à des activités plus techniques : ils fabriquaient des « mirlitons » sorte de flûte fermée aux deux bouts, faite de matériaux glanés ici et là, roseaux, fin papier ou fine peau et assemblés par leurs mains d’apprentis bricoleurs.
Nous étions des musiciens en herbe et, à ce titre, nous ne pouvions ignorer la patronne de cette corporation : Sainte Cécile. Cet événement était fêté par un immense goûter. Pour l’occasion, nous étions reçus dans la grande salle à manger du Patro au premier étage et, quelquefois, dans la salle à manger de la cure où nous découvrions une longue table étalant de succulents desserts ; Belles tables quant à l’aspect artistique et quant au régal prometteur. Elle avait fière allure avec ses nappes empesées et brodées, sa vaisselle étincelante, ses décors fleuris, ses assiettes et compotiers remplis de délices que nous dévorions d’abord des yeux et où l’on devinait les gestes affectueux et le labeur soigné des femmes qui veillaient sur nous, les demoiselles Durand, Brun, Bergeret.
Une fois l’an, nous présentions un spectacle à nos parents. Sur les planches d’un modeste théâtre, nous nous produisions, nous, les artistes du coin. Le travail préalable, apprendre les rôles, donner la réplique, et puis répéter, répéter encore et encore pour trouver le ton et le geste sûr et pour finir, les déguisements achevaient de nous mettre dans la peau des personnages imaginaires que nous étions censés représenter. Nous découvrions la vie d’artiste avec toutes ses émotions : Le trac grandissant de jour en jour jusqu’aux trois coups solennels précédant le lever du rideau, la peur puis l’assurance, l’aplomb et enfin l’audace qui triomphait de la crainte. Les rires montaient de la salle, réconfort ultime, puis les applaudissements chaleureux.
Pour finir nous saluions nos spectateurs comme des « pro ». Nous étions peut-être un peu trop fiers, mais tellement heureux, valorisés par notre succès et beaucoup plus confiants en nous.
A ces grandes émotions succédaient des périodes plus calmes où, tranquillement, autour d’une longue table, nous apprenions les travaux d’aiguille : D’abord, point devant et point de croix et puis bien d’autres beaucoup plus compliqués : tige, chaînette, épine, chausson, qui nous demandaient beaucoup d’attention et d’application. Faire, défaire, recommencer cent fois avant d’acquérir un peu de maîtrise. C’était dur parfois avec nos petits doigts malhabiles, nos aiguilles piquantes, nos dés qui tombaient, nos fils qui s’emmêlaient, qui refusaient de passer par le chas et nos petites jambes qui nous agaçaient et ne demandaient qu’à courir, sauter, gambader au lieu de rester immobiles autour de cette table. Le tricot était plus facile et nous occupait bien aussi.
Tout allait beaucoup mieux lorsque s’étalaient sur cette même table les jeux de l’oie, nain jaune, dominos, mistigri, loto et autres divertissements qui ne demandaient pas beaucoup d’efforts et nous procuraient un réel plaisir. Il faut dire que, dans nos familles, on était loin, très loin de l’avalanche de jouets que connaissent les gamins d’aujourd’hui.
Tout changeait avec l’arrivée des beaux jours : Nous restions dehors dans les cours ou sous les ombrages du tilleul. La balançoire volait, le manège tournait, les boules du croquet claquaient et puis nous partions beaucoup en promenade dans tous les coins de notre campagne odorante pour nous enivrer des parfums de lavande, de l’arôme subtil des tilleuls en fleurs balancés par le vent, de la senteur des blés mûrs et de l’effluve des foins fraîchement coupés.
Au soir des jeudis de notre enfance, petites galoches et souliers vernis s’éparpillaient dans les ruelles du village en battant les chemins comme on bat la mesure du temps qui passe, forts d’avoir butiné au coeur des apprentissages prodigués avec beaucoup de talent par nos éducateurs dévoués, attentifs, affectueux, tandis que montait en nous la puissante sève qui nous faisait grandir.
Paule DELSART
Autour de la table, de gauche à droite : Thérèse Jullien, de dos, Lucette Gondre (Gabert), Joséphine Chauchard (née Aumage), et Fernande Pellat (Curnier) (photo collection Valérie D’Orta) |