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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 39
Auguste GRIVANNES
Article mis en ligne le 8 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par POGGIO André

Quelques livres, quelques images rencontrées au hasard des promenades, et voici que réapparaît cette figure séderonnaise dont je ne me lasse pas de vous entretenir (cf. Trepoun nos 24, 25 et 32). Grivannes, ancêtre de nos modernes phytothérapeutes, occupait dans la société de son temps une place primordiale qui intrigue — entre les expressions "remèdes de bonne femme" et "saler la soupe", il y a le même écart qu’entre la vie et la mort — et qui peut amuser si j’y fais peser le soupçon d’un possible amalgame entre vitalité et virilité.

Apprenti Pierre MAGNAN (Denoël - 2003)

Livre de « Mémoires » dans lequel Magnan raconte ses souvenirs d’adolescent. Il est alors apprenti chez l’imprimeur Mollet, place du Terreau à Manosque.

Nous sommes vers 1935 :

«  A neuf heures … arrivait le Gaby Eyssautier avec toute une hotte d’histoires salaces qu’il allait répandant de porte en porte... Il est agent d’assurance et sa femme tient boutique “Au chérubin” Grand’Rue. Son père c’est cet Auguste Grivannes herboriste qui me captivait tant quand il venait chez mon grand-père et que je l’observais depuis l’intérieur de la mastre. Cet homme sera le modèle de mon Brédannes, il vient lui aussi quelquefois à l’atelier, commande quelque prospectus à distribuer sur les foires.  » (p.100-101)

Magnan réaffirme ici le lien entre Félicien Brédannes, son personnage de roman, et Auguste Grivannes notre Séderonnais dont le prénom est indiqué pour la première fois.

Un monstre sacré Pierre MAGNAN (Denoël - 2004)

Le “monstre sacré”, c’est Thyde Monnier, femme dont Magnan partagea la vie durant une dizaine d’années et qui devint une célébrité du monde littéraire à partir du succès de son roman « la rue courte », paru en 1937.

Nouveau récit de mémoires, nouvelle allusion à Grivannes :

«  Elle [T. Monnier] est aussi la confidente de madame Brun, épouse Grivannes, l’herboriste qui cinquante ans plus tard me servira de modèle pour mon héros des “Charbonniers de la mort” et de “la Folie Forcalquier”  » (p.40)

Les marchands droguistes de la montagne de Lure Gisèle ROCHE-GALOPINI (Alpes de Lumière - 1998)

Ouvrage de recherche, consacré à la longue saga des herboristes de Saint Etienne les Orgues. J’en retiens des précisions intéressantes sur la réglementation régissant la profession d’herboriste au XIXème siècle :

«  avec la loi du 21 Germinal An XI (11 avril 1803), les apothicaires deviennent des pharmaciens,…la loi prescrit en outre que les droguistes et herboristes ne pourront désormais vendre que des drogues simples en gros et non en petites doses… les herboristes devront en outre passer un examen, qui se maintiendra jusqu’en 1941, date à laquelle ils n’auront plus de statut légal. L’examen, devant un jury de médecine et de pharmacie, doit prouver qu’ils connaissent les plantes médicinales et il leur est attribué un certificat leur permettant de vendre des plantes, vertes ou sèches, uniquement. Parallèlement est réorganisée l’inspection des pharmacies et des magasins de droguistes en vue de la répression des fraudes… Il est désormais interdit de vendre des drogues et préparations sur les marchés et les foires.

Revue et complétée à plusieurs reprises au cours des années qui suivent, cette loi est loin d’être vraiment respectée et nombreux sont les écarts dénoncés par les inspecteurs.  » (p.71)

«  En 1852, un rapport au Préfet [des Basses Alpes] signé Alphonse Brès, pharmacien à Riez, Yvan et Itard, docteurs en médecine, insiste sur le nombre des charlatans ambulants qui sévissent surtout dans les petits villages, à tel point qu’on pourrait croire que “poursuivis ailleurs, ils viennent dans les Basses Alpes exploiter la crédulité si naïve de ses habitants et ramasser un butin considérable”.  » (p.74)

Des Basses Alpes à Séderon, il n’y a pas loin. Grivannes faisait-il partie de ces charlatans ? Certes il avait besoin de publicité et nous avons vu qu’il n’hésitait pas à avoir recours à des procédés de camelot pour améliorer son chiffre d’affaire. Mais n’agissait-il pas alors comme tout bon commerçant ? Cela ne permet pas de juger de la qualité de sa médecine.

Contentons-nous de signaler qu’à cette époque, la pharmacopée est encore essentiellement à base de plantes. Témoin ce diplôme commémoratif, visible à la pharmacie de Montbrun où il est exposé dans un sous-verre de grandes dimensions (je n’ai pas noté le nom de la Société savante qui distribuait ce genre de diplôme), dédié à

Mr. Barral Joseph, pharmacien à Montbrun
en souvenir des légitimes encouragements qu’il a obtenus
pour une liqueur Microbicide
« liqueur concentrée du Curé des Abeilles »
marque déposée
le 19 octobre 1900

Notre-Dame-des-Abeilles, c’est une chapelle perdue dans les bois de la Gabelle, non loin de la route qui relie Sault à Villes-sur-Auzon. Il faut croire que le curé de l’endroit jouissait d’une fameuse réputation puisque Grivannes s’en recommandait lui aussi lorsqu’il affirmait que «  le plus gros de mes connaissances [en matière d’herboristerie] vient d’un manuscrit de Mr l’abbé Thoard qui fut curé des Abeilles, commune de Monnieux.  »

Résumons ce que nous savons de Grivannes :

Originaire de Manosque, il aurait passé de nombreuses années en Kabylie avant de s’installer à Séderon à la fin du 19ème siècle.

Herboriste et distillateur, il y acquiert une renommée suffisante pour que ses concitoyens l’élisent conseiller municipal sur la liste radical-socialiste de Lucien Bertrand, puis renouvellent son mandat en 1908 – (notons toutefois qu’il échouera dans une tentative pour le poste de conseiller d’arrondissement en 1910).

Il nous a laissé le souvenir de son négoce grâce à la publication d’une brochure vantant les produits et les recettes médicinales dont il faisait commerce (brochure dont on peut consulter une copie, agrandie et plastifiée, à la Maison des Plantes Aromatiques de Buis les Baronnies. Pour information je signale que cette Maison-musée présente de nombreux documents : sur une des photos illustrant le thème de la lavande et du tilleul, on reconnaît un séderonnais d’une autre génération, Fernand Blanchet).

Toujours dans « Les marchands droguistes de la montagne de Lure » et à la page 106, est reproduit in extenso l’inventaire des marchandises d’un de ces droguistes. J’en extrais cet article, fourni avec sa définition et ses propriétés :

« CANTARIDE, cantharide (Meloe vesicatorius), insecte, Espagne, stimulant, repousse des cheveux »

Cela semble nous éloigner du sujet. Et non. Parce que Grivannes / Brédannes apparaissait pour la première fois dans « Les charbonniers de la mort », autre roman de Pierre Magnan paru en 1982. Or ce roman, construit autour d’une “épidémie” de priapisme due à l’absorption de poudre aphrodisiaque mal dosée (et bien sûr à base de cantharide), met en relief le formidable pouvoir de vie et de mort des herboristes.

Là vient la tentation de mélanger fiction romanesque et réalité. N’est-il pas étonnant, si vous avez bien retenu les propriétés de la cantharide, de constater qu’elle est efficace aussi pour la repousse des cheveux ? Nous revoilà en présence du remède miracle de Grivannes.

André POGGIO
octobre 2004
Pierre MAGNAN lors d’une séance de dédicace au Buis le 6 juillet 2002
© Henri Barras