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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 30
Le régiment de Poitou
Article mis en ligne le 3 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par POGGIO Georges

En parcourant les registres paroissiaux [1] à la recherche de mes lointains aïeux, j’ai lu cette insertion qui m’a un peu surpris :

«  L’an 1721 et le vingt huitième jour du mois de mars a été baptisée dans l’église de Séderon en Provence diocèze de Gap, Marie Charité fille de sieur Jean Charité soldat dans le régiment de Poitou et de Marie Magdeleine Potel mariez estant née le vingtième dudit mois son parrain a esté sieur Jacques Rivolet sergent dans ledit régiment et sa marraine madame Marie Renquin femme de sieur Pierre Balet sergent dans le même régiment compagnie de Mohinier par moy Reynaud curé et archiprêtre en présence du sieur Louis Charras de Montauban et Charles Reynaud dud. Séderon  »

Quelle pouvait être la raison de la présence de ces soldats et de l’épouse de l’un d’eux à Séderon, ce qui implique un séjour assez long et non le passage d’une armée en campagne ? En 1721 le Royaume de France, gouverné par le Régent, n’est pas en guerre et les conversions forcées liées à la Révocation de l’Edit de Nantes ne sont plus qu’un très mauvais souvenir pour les protestants.

L’explication m’en sera fournie par la lecture du registre de la paroisse de Bevons, dans lequel le curé Mevolhon écrit : «  Le 21 octobre de l’an 1720 est arrivé dans ce lieu une compagnie des Grenadiers du second Bataillon du régiment de Poitou pour garder la rivière du Jabron afin d’empêcher la communication du reste de la Provence ou la peste est et fait de grands ravages depuis le mois de juillet de la susdite année en foy de quoi ay intesté le présent mémoire dans mon registre.  »

En effet la peste a éclaté à Marseille six semaines après l’arrivée du « Grand Saint Antoine » navire arrivant d’Orient et pour lequel, malgré la déclaration du capitaine sur l’état sanitaire de son navire, la quarantaine ne fut pas appliquée, car il aurait fallu brûler le navire et la cargaison qui appartenait à un échevin marseillais J.B Estelle ! La contagion se développa rapidement autour de la ville et remonta les vallées du Rhône et de la Durance atteignant Tarascon et Digne ce qui explique la mise en place d’un cordon sanitaire. A la différence des dispositions concernant la peste de 1630, si l’on se réfère aux numéros précédents du Trepoun, les mesures d’isolement sont le fait d’une autorité provinciale sinon nationale. Elles sont aussi plus draconiennes car le curé des Omergues note à la date du 13 novembre 1721 « Roumieu Jean 30 ans fut passé par les armes par les dits soldats du régiment de Poitou pour avoir passé la ligne de Jabron portant de la contrebande. »

Pour pouvoir franchir cette « ligne » les voyageurs devaient être munis d’un laissez-passer, nommé à l’époque « billette », dont voici un exemple : Nous consuls et Intendant de Santé de ce lieu [...] certifions que [...] est parti dudit lieu ou il n’y a (par la grâce de Dieu) aucun soupçon de contagion pour aller à [...]. Prions de le laisser passer librement. A [...] ce [...] 1722.

Il semble que cette « frontière » joua son rôle protecteur et que la peste ne s’étendit pas dans notre région. Le fléau fit ses ravages en Provence durant deux ans et ne disparut qu’au début de l’été 1722. Ce laps de temps permit aux soldats de créer des liens avec les habitants. Des nouveaux-nés ont des soldats pour parrains à l’occasion de leur baptême, ainsi à Bevons en 1721 le 22 septembre celui de Mouret Mathieu, dont le parrain est le grenadier Cabaret Pierre, et le 24 Octobre le soldat grenadier Delagrange Jean du 2ème bataillon Poitou est parrain de Girard Jean ; en 1722 baptême de Gautier Jean Baptiste, parrain Resmion Jean du régiment Poitou le 19 février, et le 22 juillet celui de Gautier François dont le parrain est le grenadier Robleau François.

Les relations sont parfois bien plus intimes : toujours à Bevons, le 10 décembre 1721 est baptisé Mouret Antoine fils de Passepartout grenadier et de Mouret Marguerite dont le parrain est un autre grenadier nommé d’Argonville ; à Séderon en 1723, le 25 Mai «  a été baptisé Jean Claude fils naturel et non légitime de Marie Raspail qui la donné à un soldat du régiment de Poitou nommé Marc  ». En l’occurrence, « la donné » doit se traduire par « en a attribué la paternité ».

Il y eut aussi des accidents : en février 1721 décès de Valentin Jean 3ème caporal tombé dans une ravine et enterré à Bevons. Un autre soldat appartenant à la compagnie de Mr. de Montargis sera enterré à Châteauneuf-Miravail à la même époque ; marié et âgé de 40 ans, il était originaire de Bisping prévôté de Dieuzé (Moselle). On peut au passage remarquer que pour un régiment appelé Poitou le recrutement n’était pas très régional. Rappelons que sous l’Ancien Régime, les régiments, comprenant un nombre variable de compagnies, étaient désignés par un nom de province ou par le nom de leur colonel.

Mais la contagion s’arrêta et le même curé de Bevons put inscrire dans son registre paroissial à la date du 20 décembre 1722 «  la compagnie des Grenadiers du second Bataillon du régiment de Poitou est grâce à Dieu partie et sortie de ce lieu de Bevons après avoir demeuré pendant deux ans et deux mois pour garder la rivière du Jabron à cause de la contagion qui était en Provence  ».

Ce séjour eut encore des suites et l’année suivante, le 26 janvier, le curé de Séderon pouvait écrire «  après avoir reçu l’attestation et congé du sieur de Cressy capitaine au régiment de Poitou avec la lettre missive du seigneur Evêque et comte de Gap pour la permission du mariage cy-aprés ont été mariez en face de notre mère Ste Eglise Pierre Michel fils à Hugues et de Marie Teron du lieu de Pleinac diocèze de Cahors et Anne Blanc fille de Jean et de feue Jeanne Chauvet de ce lieu de Séderon diocéze de Gap auquel mariage ont été présents ledit Jean Blanc père y consentant et sieur Baudille Bonnefoy à feu Sr Dominique et Sr Pierre Julien diacre de ce lieu témoins requis et signez avec moy non les parties ny led Blanc père illeterez de ce enquis et requis.  » Et le 23 février naissait et était baptisé Joseph fils de ce couple.

Et je terminerai en citant une inscription relevée dans un registre paroissial d’un village bien éloigné de Séderon puisqu’il se trouve en Ille-et-Vilaine et dans lequel le curé de La Fresnais a noté : «  cette même année (1720) et les suivantes furent funestes pour la Provence par une cruelle peste qui s’alluma à Marseille et y gagna pendant toute cette année 1720 y fit mourir presque tous les habitans tant de cette contagion que de la famine ; ensuite la peste sestendit à Aix Toullon et autres villes voisines ou elle fit le même ravage qu’à Marseille. On brûla à Saint Malo plusieurs vaisseaux venus de ces ports richement chargez dont les richesses très précieuses furent brûlez avec les bastiments et tous les autres n’entraient dans le port qu’après avoir fait quarantaine.  »

Georges Poggio