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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Quand nos ancêtres allaient chez le juge ou le notaire
Jugement de police – 8 février 1851
Article mis en ligne le 26 juin 2017
dernière modification le 3 janvier 2018

par DETHÈS Romain
Nous continuons d’explorer la vie des habitants de Séderon et du canton en publiant des transcriptions d’actes de notaires ou de juges de paix [1].
Dans cet acte du juge de paix du canton de Séderon, le tribunal doit trancher sur une infraction que l’on qualifierait aujourd’hui de « tapage nocturne »…

Canton de Séderon, N°15, à Séderon le 8 Février 1851
Le tribunal de simple police du Canton de Séderon a rendu le jugement suivant [2]

Entre M. le Maire de Séderon remplissant les fonctions de ministère public demandeur présent d’une part
Sieur Lucien Jullien, propriétaire et aubergiste comparant volontairement sur simple avertissement, défendeur d’autre part.

La cause appelée, M. le Maire a déposé sur le bureau un procès verbal dressé le 6 octobre dernier par les sieurs Valot, Barre et Bournoud gendarmes à la Brigade de Séderon, constatant que le dit jour à 10 heures et demi[e] du soir, ils ont trouvé dans l’auberge dudit sieur Jullien à Séderon plusieurs personnes de la localité attablées chantant et buvant, et ce en contravention à l’arrêté de police locale du 28 août 1849, duquel procès verbal dûment enregistré lecture a été publiquement faite par le greffier.
Ouï le prévenu dans ses moyens de défense, lequel a dit que le procès verbal porte bien que les gendarmes sont entrés chez lui à 10 heures et demi du soir ledit jour, mais qu’il serait bien difficile aux rédacteurs de prouver qu’il était 10 heures et demi[e], puisqu’il n’y a pas d’horloge publique et qu’alors on ne sonnait pas la retraite comme on fait à présent, et a conclu à être mis hors de cours.
M. le Maire, ayant résumé l’affaire, a conclu à ce que par application de l’article 471 du code pénal, sans s’arrêter aux exceptions proposées par le prévenu, celui-ci soit condamné à l’amende et aux dépens.
Sur quoi nous, juge de paix siégeant en simple police, vu l’article 471 du code pénal ainsi conçu « seront punis d’amende depuis un franc jusqu’à cinq francs (…) ceux qui auront contrevenu au règlement fait par l’autorité administrative et ceux qui ne se seront pas conformé aux règlements ou arrêtés publiés par l’autorité municipale (…) ».

Attendu que le fait rapporté par le procès verbal dont il s’agit n’est pas entièrement désavoué, que le prévenu soutient seulement qu’il serait impossible aux rédacteurs de prouver qu’il était 10 heures et demi[e] quand ils sont entrés chez lui,

Attendu que le procès verbal dont s’agit fait foi aux yeux de la loi jusqu’à preuve contraire et qu’il serait tout aussi difficile au prévenu de prouver qu’il n’était pas aussi tard que le procès verbal le porte, par les mêmes raisons que le prévenu fait valoir à savoir qu’il n’y a pas d’horloge publique et qu’alors on ne sonnait pas la retraite,

Par ces motifs, nous juge de paix susdit jugeant en simple police faisant droit aux conclusions prises par le ministère public, et par application de l’article ci-dessus visé, condamnons le dit Lucien Jullien à l’amende de 2 francs pour avoir ─ contrairement au règlement de l’autorité municipale ci-devant mentionnée ─ gardé dans son auberge le 6 octobre dernier à une heure indue une réunion de personnes qui buvaient et chantaient, condamnons en outre aux dépens liquidés à 4,60 francs y compris 25 centimes pour l’extrait du présent à fournir par le greffier au Receveur de l’enregistrement.

Ainsi jugé et prononcé à Séderon en audience publique et en présence des parties le 8 février 1851 et
avons signé avec le greffier.

Pour la petite histoire :
L’existence des auberges est attestée depuis l’antiquité. Toutefois, durant le haut Moyen-âge, les voyageurs et pèlerins faisaient surtout étape dans les monastères ou bénéficiaient de l’hospitalité des particuliers. Ce n’est qu’à partir du XIe siècle que le métier d’aubergiste connut un essor considérable avec le développement du commerce et des transports. Les auberges proposaient alors le gîte et le couvert, et des écuries pour les chevaux.
Aussi cette activité fut rapidement réglementée. Ainsi, dans le préambule de l’Edit du Roi Louis XIV daté de 1693, il est rappelé que « le Roi Henri III, voulant empêcher que des gens inconnus, sans aveu et de mauvaise vie, s’immisçassent de tenir hôtelleries ou auberges, ordonna, par son édit du mois de mars 1577, que tous ces particuliers seroient tenus de prendre nos lettres de permission, sur lesquelles, après avoir justifié à nos officiers ordinaires des lieux, de leurs bonne vie et mœurs, et prêté serment de bien et dûment observer nos ordonnances, ils seroient par eux, admis à jouir de nosdites permissions… ».
Après la Révolution, des patentes régissant la profession d’aubergiste furent complétées par divers arrêtés municipaux encadrant cette activité. L’auberge permettait donc de boire et de manger mais constituait surtout un lieu important du village : des affaires s’y négociaient, des débats parfois musclés s’y déroulaient, des réunions s’y tenaient. C’était un véritable carrefour où se rendaient les villageois car c’était un lieu d’échange entre les autochtones, les gens de passage et on y apprenait ainsi les dernières nouvelles du pays et d’ailleurs.
L’auberge était enfin un lieu de convivialité : on y fêtait des mariages et on s’y retrouvait pour marquer d’autres événements heureux ou douloureux qui jalonnaient l’existence de nos ancêtres.
Des amis s’y retrouvaient aussi simplement pour chanter et boire comme en ce 6 octobre 1850…
Romain DETHÈS