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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Les surnoms à Séderon en 1850
Article mis en ligne le 1er août 2016
dernière modification le 2 août 2016

par DETHÈS Romain

Il y a environ 800 ans, nos ancêtres n’avaient encore qu’un prénom. Au XIIe siècle, une première croissance démographique les amena à rajouter un surnom pour se différencier. Celui-ci devint héréditaire et fixa le nom que nous portons encore aujourd’hui [1]. Au XIXe siècle, une deuxième croissance démographique qui multipliait les homonymes dans les villages accentua l’attribution de nouveaux surnoms.
Fruits de l’inventivité, de l’espièglerie parfois et d’une certaine logique de nos ancêtres, ces surnoms, souvent héréditaires eux aussi, se sont donc rajoutés aux prénoms et noms. Ils ont d’ailleurs parfois encore cours aujourd’hui. Je vous propose d’exposer ici la liste non exhaustive des surnoms portés à Séderon entre 1845 et 1855, tels qu’ils étaient consignés dans les registres notariés [2].
Ces surnoms peuvent entrer dans diverses catégories. D’abord, les particularités physiques, les traits de personnalité. Nos ancêtres étaient railleurs et facétieux et ils savaient exploiter les caprices de la nature pour attribuer des surnoms parfois cocasses. Il s’agissait parfois de surnoms attribués à juste titre mais le plus souvent, ils étaient ironiques... « Lou Béou » était-il vraiment charmant ou bien avait-il été accablé par la nature ?
Ensuite les noms d’origine, de lieux d’habitation : un quartier par exemple. Pour différencier les homonymes, un Jean-Baptiste Dethès sera dit « de Lamourier », un autre Jean-Baptiste Dethès sera dit « de Liauron » ou encore une autre Jean-Baptiste Dethès sera dit « de Rivaine ».
Puis des noms de métiers : Joseph Bonnefoy, bâtier [3] de profession, verra ses proches surnommés... « batier ». Le surnom « parendier » [4] de Jean-François et Victor Mathieu correspond aussi à cette catégorie.
Une situation familiale : un rang dans la fratrie, filiatif (le père sera « dit l’ancien » par exemple), voire une alliance : Charles Dethès est dit « Gouiran(d) » (sans doute car son épouse s’appelait Elisabeth Gouiran(d)).
D’autres surnoms peuvent aussi correspondre à des diminutifs de prénoms transmis à toute la descendance.
Enfin, le surnom peut provenir d’une action, péripétie vécue par un individu et transmis à ses descendants :
le surnom est donc resté mais l’origine de celui-ci reste parfois très difficile à saisir...

PrénomNomSurnomObservations
Mathieu BERNARD Fisson surnom qui pourrait provenir de fisse : corbeille en osier pour égoutter le fromage, surnom de fromager ou de fabricant de fisses ?
François BLANC Molan
Augustin BONNEFOY Archer un membre de la famille a dû être sergent (« archer » en Haute Provence [5]) du seigneur
Dominique BONNEFOY Glaudeton dérivé du prénom « Claude » [6]
Germain BONNEFOY Granger
Jacques Jean Louis Joseph BONNEFOY Fatigue domicilié aux Routelles
Jean Baptiste BONNEFOY Granger domicilié jadis à Séderon et depuis plusieurs années au Revest-du-Bion
Jean Louis BONNEFOY Granger domicilié lieu-dit Pré de la Cour
Jean Louis Joseph BONNEFOY Fatigue domicilié aux Routelles
Jean-Baptiste BONNEFOY Bruno domicilié au lieu dit Bergiès
Joseph BONNEFOY Baron domicilié à la Goure
Joseph BONNEFOY Fatigue
Joseph Germain BONNEFOY Granger
Louis BONNEFOY Batier d’une famille de bâtier
Louis Mathieu BONNEFOY Batier d’une famille de bâtier
Paul Dominique BONNEFOY Glaudeton dérivé du prénom Claude, peut-être porté par un ancêtre de cette famille [7] domicilié aux Freissinières
Feu Joseph BORDEL Teste
Jean François BORDEL Fiscal domicilié à la Sousteiranne
Jean Jacques BORDEL Bayard
Joseph BORDEL Comte
Joseph BORDEL Fiscal un des membres de la famille a pu être procureur de la justice du seigneur (procureur fiscal) [8]
Joseph Martin BORDEL Chevalier
Marie BORDEL Fiscale version féminisée du surnom Fiscal ?
Joseph BOREL Comte
Antoine BREMOND Beinet diminutif du prénom Benoit, peut-être porté par un ancêtre de cette famille [9]
François CHAUVET Gendre domicilié aux Routelles
Jean Baptiste CHAUVET Gendre domicilié aux Freissinières
Pierre Paul CHAUVET Gendre domicilié aux Freissinières
Antoine DETHÈS de Rivaïne domicilié à Rivaïne
Charles Mathieu DETHÈS Charlon diminutif de son prénom
François DETHÈS de Lamourier domicilié à Lamourier
François DETHÈS Gouirand époux d’Elisabeth Gouirand
Jean Michel DETHÈS Barrier cultivateur domicilié au lieudit la Barrière
Jean-Baptiste DETHÈS Baptiston domicilié au lieu-dit Freissinières, diminutif de son prénom
Jean-Baptiste DETHÈS Bridier nom de métier désignant le marchand ou le fabricant de brides rêne, guide ?
Jean-Baptiste DETHÈS de Liauron domicilié au lieu-dit Liauron
Jean-Baptiste DETHÈS de Rivaïne domicilié au lieu dit Rivaïne
Joseph DETHÈS Quatre
Joseph Antoine DETHÈS Lamourier domicilié au lieu-dit Lamourier
Joseph Michel DETHÈS de Rivaïne domicilié au lieu dit Rivaïne
François DUMOND Sire
Antoine JEAN Sarnille
Joseph, Guillaume et Antoine JULLIEN Rigaud frères
Dominique JULLIEN Galimard
Jacques JULLIEN Voliere
Jean JULLIEN Volière
Jean Antoine JULLIEN Dansaïre danseur ?
Jean Michel JULLIEN de la Thomasse
Joseph JULLIEN Matteau
Louis JULLIEN de la Grange
Louis JULLIEN Rigaud dérivé du Provençal signifiant « rouge-gorge »
Jean Pierre MATHIEU Parendier domicilié au lieu-dit la Place ; Parendier = foulonnier qui foule, qui apprête le drap
Victor MATHIEU Parendier maçon
Antoine MICHEL Ramée
François MONNIER la palue
Dominique PASCAL Sabaillon
Jean PASCAL Tataï
Jean Baptiste PASCAL Menuisier berger demeurant à St Christol, natif de Séderon
Jean Baptiste PASCAL Tataï
Jean François PASCAL la Bataille demeurant dans le village
Jean Pierre PASCAL la Grosse Grange dont la famille avait habité à « la grosse grange » de Vers
Mathieu PASCAL Baron domicilié à Liauron
Mathieu PASCAL Baron domicilié quartier de Baïs
Pierre PASCAL Titele
Henri Frédéric PLAINDOUX Clamençon domicilié à la Goure
Jean Joseph PLAINDOUX Clamençon
Jean Louis PLAINDOUX la Gregue
Jean Pierre PLAINDOUX Clamençon
Victor PLAINDOUX Brayon
Joseph REYNIER Canari domicilié au lieu-dit la Bajole
Charles RICOU Garrigues

Ces surnoms, que nous avons relevés ici dans les minutes de notaires, figurent aussi parfois dans les registres d’état-civil, sur les matrices cadastrales, dans les registres matricules... Nous en rencontrons également dans les registres paroissiaux au 18ème siècle et les registres de délibérations consulaires du 17ème siècle ! Ainsi, le surnom « Granger » attribué à une branche de la famille Bonnefoy, a été retrouvé sur divers actes qui couvrent près de 5 siècles ! [10]
On peut donc nuancer l’origine de ces surnoms : un pic démographique n’est pas la seule explication.
D’une part, certaines familles sans homonymes pouvaient avoir des surnoms : l’attribution de surnoms relevait donc d’une forme de coutume. D’autre part, certains surnoms qui s’ajoutaient aux noms et prénoms existaient souvent depuis plusieurs générations. Au 19ème siècle les surnoms furent donc mentionnés expressément dans les actes administratifs car ces derniers s’étaient aussi multipliés...
Attribués à un individu puis à sa famille, ces surnoms faisaient donc partie de l’identité au même titre que le nom et prénom. Dans un acte notarié, il est écrit « Jean-Baptiste Bonnefoy dit Bruno décédé il y a environ 17 ans » [11]ou encore « Antoine Bonnefoy dit Bastian décédé à Séderon le 7 mai 1838 » [12] (soit 7 ans plus tôt).
Ces surnoms perduraient donc bien après le décès de ceux qui les portaient. Ils étaient non seulement écrits dans nombre d’actes administratifs de l’époque mais faisaient partie aussi de la mémoire collective des villageois.
Par ailleurs, deux frères pouvaient avoir un surnom commun, puis lorsqu’ils quittaient le domicile familial, ils se voyaient attribuer deux surnoms différents car habitant deux quartiers différents... Ces différenciations pouvaient avoir pour but de mieux identifier les familles homonymes ou faisaient parfois suite à des querelles familiales et il fallait alors « marquer » sa différence avec une autre branche de la famille. Ainsi, Jean-Baptiste Dethès « autrefois dit de Liauron et aujourd’hui dit de Rivaine » [13] changea de surnom lorsqu’il changea de quartier.
Il est important de noter que les Séderonnaises avaient certainement aussi des surnoms. Nous avons ainsi à Séderon un Joseph Bordel dit « Fiscal » et une Marie Bordel dite...« Fiscale » [14] De même dans une autre commune (Bédoin), nous trouvons François Blanc qui est dit « Catalot » et sa soeur Elisabeth Blanc est dite « Catalote » [15] Le fait que les hommes monopolisaient la plupart des actes administratifs, et que donc il soit plus rarement fait mention des femmes, n’implique pas qu’elles n’aient pas eu de surnoms. Une étude ciblée permettrait peut-être d’éclaircir ce point et de préciser également si les surnoms des Séderonnaises étaient la version « féminisée » de leurs conjoints ou parents.
Enfin, ces surnoms étaient tellement ancrés dans les esprits, qu’au 19ème siècle et encore au début du 20ème, nos ancêtres étaient souvent plus connus par leurs surnoms que par leurs noms qui tombaient parfois dans l’oubli : un comble !
Tous ces surnoms constituent une vraie richesse historique, linguistique et culturelle. Ils sont le reflet des mentalités, des modes de vie de nos ancêtres et des spécificités de leur village. Redécouvrir ces surnoms, retrouver leur origine, c’est un peu « ressusciter » celles et ceux qui les ont portés. Bien sûr, cet article est très loin d’être exhaustif : les surnoms étudiés sont limités aux années 1845 à 1855 d’une part et les Séderonnaises en sont absentes d’autre part pour les raisons évoquées quo supra. De plus, l’origine et la signification de certains surnoms restent encore difficiles à comprendre. Il faut alors étudier l’histoire familiale pour en saisir la genèse. Mais, si vous connaissez l’origine de ceux exposés ici, ou si vous avez connaissance d’autres surnoms, n’hésitez pas à nous en faire part, nous publierons vos informations et anecdotes...

Romain Dethès