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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 38
L’amicale Boule Séderonnaise
Article mis en ligne le 7 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par POGGIO André
Grâce aux archives de l’Amicale Boule Séderonnaise et surtout aux souvenirs de Georges Bonnefoy, Lucien Ghisalberti, Jean Touche et, pour Lachau, d’Albert Blanc, Emile Blanc et Emile Bosco.


Valence - 1922

La Fédération des Sociétés de Joueurs de Boules de la Drôme, dont l’objet est « d’encourager et soutenir les sociétés existantes, d’aider à la formation de sociétés nouvelles et développer le sport boules », vient d’être fondée.

Si dès 1930 la Fédération regroupe 124 sociétés réparties dans tout le Département, son influence dans notre région des Baronnies reste limitée puisqu’on n’y trouve alors que deux sociétés affiliées :« la Société Boulophile Nyonsaise » et « la Boule Mirabelaise ».

Boulophile, ça va bien pour la sous-préfecture. Le chef-lieu de canton se contentera d’une terminologie moins recherchée lorsque, en 1934, est enregistrée sous le numéro 127 :

l’Amicale Boule Séderonnaise

La société a pour présidents d’honneur MM. Sully Bernard, maire, Paul Roux, adjoint au maire, et Isidore Aumage. Voilà un parrainage prestigieux qui montre clairement la volonté commune de soutenir cette nouvelle structure sportive. Le bureau est présidé par Léon Pelloux, comporte deux vice-présidents Elie Richaud et Maurice Guilliny, le secrétaire Duval Bœuf et son adjoint Sylvain Girard, le trésorier Louis Reymond et son adjoint Arthur Moullet. Enfin la Commission de Contrôle est composée d’Augustin Roman, Auguste Saysse et Kléber Espieu.

L’Amicale, très confiante dans ses possibilités de développement, déclare 50 adhérents et règle en conséquence une cotisation de 50 francs à la Fédération. On verra plus loin qu’elle n’atteindra jamais un tel nombre de licenciés, mais que ses membres honoraires lui apportèrent un soutien financier non négligeable...

Les registres conservés (voir en fin d’article) retracent les opérations administratives et comptables de l’Amicale pendant quatre ans, de 1934 à 1937. Ils permettent d’intéressantes constatations :

  • que la Mairie subventionnait annuellement la Société à hauteur de 300 francs.
  • que les commerçants étaient sollicités pour doter les concours (en 1935, la comptabilité porte une ligne spéciale « minotiers » pour 69,40francs).
  • que le grand concours organisé en 1934 (ni la date exacte, ni le nom des vainqueurs ne sont connus) distribua 1310 francs de prix.
  • que le tour de ville pour annoncer ce concours fut payé 3 francs à Mr. Demus, crieur public.
  • que les adhérents, au nombre de 35 pour une cotisation individuelle de 15 francs en 1934, ne seront plus que 12 en 1937 malgré une cotisation réduite à 10 francs.
  • que la cotisation à la Fédération ne fut plus payée à partir de 1937.
  • que, pour le dernier concours organisé en 1937, seulement 20 joueurs s’inscrivirent, constituant cinq équipes.

20 joueurs pour 5 équipes ? Ils jouaient donc par équipe de quatre ? Hélas oui. Après avoir essayé de vous démontrer que le jeu provençal était le jeu de boules traditionnel de notre pays (cf. Trepoun n°26), je suis navré de constater que nous étions là en présence de « quadrette », la formation-reine de la « boule lyonnaise ». Car c’est bien le jeu de la boule lyonnaise que nos concitoyens pratiquèrent dans ces années-là (on dit aussi « jouer au cadre » parce que les aires de jeu sont délimitées par des lignes formant un rectangle lui-même partagé en plusieurs zones ; on dit également « jouer à la grosse boule » à cause du diamètre et du poids des boules, beaucoup plus importants que celui des boules de pétanque). Une mode venait de s’instaurer, supplantant la coutume ancestrale.

© Essaillon

Cette mode arriva par l’intermédiaire d’un marseillais qui passait ses vacances à Lachau. Il y fit aménager un terrain sur les bords de l’Auzance, terrain entièrement clôturé d’un haut mur et fermé par un large portail de fer à deux battants : le mur, les piliers du portail arborant chacun une des initiales du propriétaire-bâtisseur, Auguste Jouve, le fronton où était peint couleur bleu charrette « boulodrome », tout cela est encore visible, même s’il ne reste que quelques traces de couleur. A l’intérieur de l’enceinte, le boulodrome offrait des aires de jeu parfaitement tracées. Pour le confort des joueurs, il y avait un lavabo et des toilettes, des portemanteaux scellés aux murs permettant à chacun de suspendre ses effets personnels.

Il y avait surtout une buvette. Car Jouve était fabricant de pastis. Comme il offrait gratuitement son produit (aujourd’hui, on parlerait de promotion), ceux qui ont connu cette époque en sourient encore : « on en a bu, de la Jouvette ! » aiment-ils à se souvenir.

Le boulodrome fut inauguré en 1931. Chaque année, pour le 14 juillet, un grand concours était organisé et attirait à Lachau des équipes de Buis, de Gap et bien sûr de Marseille. Albert Blanc se souvient qu’il y vendait des brioches, au prix de 20 sous les trois.

L’exemple de Lachau fit naître des vocations à Séderon et cela aboutit à la création de l’Amicale. Les joueurs pratiquaient leur activité sur un terrain appartenant à Mr. Estellon (en face de la maison Delhomme), ou sur la place du Pont (devant la maison Déthès). Certains osèrent même participer à des concours jusqu’à Marseille (Léon Touche, Louis Reymond…).

Mais ce jeu venu du Nord n’arriva pas à s’implanter durablement dans nos villages.

En 1935, on labourait le boulodrome de Lachau ! L’animosité des patrons de bar, qui n’avaient jamais vu d’un bon œil la concurrence de la buvette, explique sans doute cette fin prématurée. Notons toutefois que l’Annuaire Fournier de la Drôme, année 1935, cite encore le boulodrome de Lachau (Société Bouliste Fédérale) parmi les associations en activité.

En 1937, nous avons vu qu’il n’y avait plus que 12 adhérents à Séderon et, en contrecoup, l’Amicale ne renouvela pas son affiliation à la Fédération. Bien sûr, les parties de jeu lyonnais ne disparurent pas du jour au lendemain. Un petit groupe de passionnés continua de se retrouver au café d’Arthur Moullet où des casiers spécifiques permettaient de stocker les « grosses boules ».

Quelles sont les raisons de l’échec ? Je pense simplement que les règles très strictes du jeu lyonnais, le « cadre » trop parfaitement délimité dont on ne peut sortir sous peine d’annulation, ne convenaient pas à l’esprit provençal qui préfère une pratique des boules libre, pouvant s’exprimer sur n’importe quelle place ou ruelle, qu’elle soit goudronnée ou sableuse, au gré de son envie. D’où la désaffection du plus grand nombre.

La mode était passée. L’Amicale s’endormit.

Elle allait se réveiller bien des années plus tard, mais ça c’est une autre histoire.

André Poggio
août 2004
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