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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 20
Le Missoun
Article mis en ligne le 28 septembre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par JOUVE Suzanne, ROSSIGNOL Jean-Baptiste
Un souvenir d’enfance

J’étais dans mes 14 ans (nous étions en 1912) et l’argent, à la maison, ne nous empêchait pas de courir ! J’avais besoin de gagner la paie d’un homme et l’on m’embaucha à la Compagnie des Salins du Midi , au salin de l’Abbé.

Là, il y avait une équipe d’une vingtaine de gens : des vieux de 60 à 75 ans, quelques maladifs et quelques jeunes adolescents comme moi. Le travail correspondait à nos forces ; nous gagnions trois francs trois sous par jour, vieux, convalescents ou jeunes.

Comme nous devions rester la semaine on nous portait nos provisions par une barquette. Chacun apportait une livre et demi de haricots que l’on mettait en commun au Mas du Saunier, et je crois que la Saunière percevait trois francs par semaine pour nous mettre à bouillir tous les soirs la soupe de haricots.

S’il n’y avait eu que la feuille de céleri et le sel -- qui ne manquait pas ! -- cette soupe aurait fini par être prise en aversion . C’est pour éviter cela qu’on y ajoutait chacun un petit quelque chose : qui un petit morceau de couenne de lard, qui un carré de petit-salé, mais c’était le missoun, cette saucisse de porc qui se fait en ménage, qui dominait, de mon temps. Seulement voila il y a missoun, petit missoun et gros missoun. Pour que chacun trouva le sien, on le marquait. C’est ainsi que, le premier jour que j’arrivais à l’Abbé, un des bons vieux me questionna :

-- Quelle marque prends-tu Rossignolet ?

-- Quelle marque ? dis-je

-- Pour ton missoun je veux dire. Nous avons tous une marque : moi, je mets une bûchette en travers ; lui enfile aussi une bûchette mais en long ; Jaquet lui, laisse un morceau de ficelle, Pierre fait un nœud au cordon qu’il lui laisse... le Batistet lui, fait deux nœuds, etc...

-- Et alors que faut-il que je fasse ?

-- Je sais moi ? trouve quelque chose... Lève-lui la peau, par exemple.

Ce que je fis.

A la dernière battue, pendant au moins une heure, on n’entendit parler rien que de soupe et du bon goût que le missoun ajoutait à celui des haricots.

Le soir, l’heure de se mettre à table vint. Un volontaire avait taillé les tranches de pain dur dans une très grande terrine. (Du pain dur il y en restait toujours. Pensez ! encore qu’il fut de la dernière fournée du dimanche, quand arrivait le samedi vous m’avez compris : zou ! pour la semaine prochaine). Un jeune allait donc avec son immense terrine chez la Saunière, à proximité, tremper la soupe.

Dans la marmite, il restait avec les haricots, les saucisses que vous auriez prises pour des petites poupées.

Mais on ne retrouva pas la mienne.

Le régisseur, sérieux dit :

-- Et maintenant ! quelle marque as-tu fait, Rossignolet ?

Je n’eus pas le temps de dire : « je lui ai enlevé la peau » que tous éclatèrent de rire.

Je compris alors que j’avais été dupé, et un peu mauvais je dis :

-- Vous ne m’aurez pas demain ! parce que si, vous (en me tournant vers un) vous y mettez une ficelle à laquelle vous faites un nœud, si, vous également, laissez la corde un peu plus longue pour pouvoir faire deux nœuds, moi je la laisserai assez longue et, si j’y fait trois nœuds, ce sera pour l’attacher à l’oreille de la marmite !...

C’est égal, si le bon Dieu a donné à tous ces braves vieux une place autour de lui dans son saint paradis, je puis vous assurer qu’ils l’ont bien mérité.

Jean-Baptiste ROSSIGNOL

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