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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Quand nos ancêtres allaient chez le juge ou le notaire
Article mis en ligne le 1er juillet 2019
dernière modification le 9 juillet 2022

par DETHÈS Romain

Nous continuons d’explorer la vie des habitants de Séderon et du canton en publiant des transcriptions d’actes de notaires ou de juges de paix [1]

Société entre les habitants du hameau des Maurin,
commune de Villefranche 18 mai 1862
Dans cet acte notarié, des habitants créent une “société” afin de chauffer et entretenir un four à cuire le pain [2].

L’an 1862 et le 18 mai, pardevant Joseph Charles Eugène Reynaud-Lacroze, notaire à Sèderon, chef-lieu de canton, arrondissement de Nyons (Drôme) ; assisté des témoins à la fin nommés et avec lui soussignés ;

Ont comparu : 1° Sieur Joseph Bordel ; 2° Sieur Joseph Sicard ; 3° Sieur Jean Antoine Espieu, père ; 4° Sieur Hypolite Fortuné Espieu, fils ; 5° Sieur Jean Pierre Meffre ; 6° Sieur Jean Joseph Espieu ; 7° Sieur Jean Joseph Gay ; 8° Sieur Pierre Meffre ; 9° Sieur Jean Joseph Moinier ; 10° Sieur Pierre Bruis ; 11° et Sieur Joseph Raspail.

Tous propriétaires agriculteurs, demeurant, savoir : les deux premiers à Mévouillon, lieu dit Chauvine, et tous les autres à Villefranche, hameau des Maurins. Lesquels ont convenu de ce qui suit.

Ils possèdent en indivis, à Villefranche, hameau des Maurins, un four à cuire le pain. Ce four sera chauffé par les comparants de la manière suivante.

© Essaillon

Joseph Bordel, le chauffera le premier pour cuire lundi, deux juin prochain. Il fournira, pour la cuisson de son pain, tout le bois qui lui sera nécessaire, comme si personne ne devait se servir du four après lui. Après que Joseph Bordel aura cuit, Joseph Sicard se servira du four, en fournissant le bois qui lui sera utile. Après celui-ci viendra, de la même manière, le tour de Espieu, père, et ainsi de suite chacun des comparants dans l’ordre qu’ils occupent dans la comparution.

Deux semaines après, c’est-à-dire le lundi seize juin, le four sera chauffé à nouveau par Joseph Sicard, comme il a été dit pour Joseph Bordel. Après que son pain aura été retiré, viendra le père Espieu, puis le fils Espieu, et ainsi de suite jusqu’à Joseph Bordel, qui cuira le dernier.

Toutes les deux semaines les comparants se serviront du four comme il a été expliqué ci-dessus, de telle sorte que celui qui aura cuit le premier cuira le dernier lors du tour suivant ; en suivant toujours l’ordre donné dans la comparution des parties. Ainsi le four sera occupé et chauffé la première fois par Joseph Bordel et la onzième fois par Joseph Raspail.

Dans le cas où après quinze jours celui qui doit chauffer le four ne le chaufferait pas, il serait chauffé à ses frais par les autres ; et le prix de ce chauffage est estimé trois francs. Si c’est avec le consentement des parties qu’il n’est pas chauffé, le tour de celui qui devait le faire ne passera pas pour cela ; mais sera renvoyé au lundi prochain ou au jour que les parties conviendront. Si elles ne s’accordaient pas pour le jour ce serait toujours au lundi suivant.

Dans les mois de janvier, février, juillet et août les règles établies ci-dessus seront suspendues. Si un des comparants n’habite pas le hameau de Chauvine ou celui des Maurins, il ne sera pas obligé de chauffer le four à son tour : mais il ne le chauffera que lorsque revenant chez lui, son tour sera de nouveau venu. Si Gay, par exemple, n’habitait pas le hameau et qu’il y vint lorsque c’est le tour de Joseph Bordel, il ne sera tenu de chauffer le four qu’après celui-ci et les cinq suivants.

Dont acte, fait, passé et lu aux parties, à Séderon, en l’étude ; le tout en présence de M. M. Jean Auguste Payan médecin et Louis Artaud, huissier, tous deux demeurant à Séderon, témoins qui ont signé avec les parties et nous notaire ; à l’exception de Joseph Sicard, Jean Joseph Gay, Pierre Meffre, Jean Joseph Moinier, Pierre Bruis et Joseph Raspail, qui requis de signer par nous notaire ont individuellement déclaré ne le savoir étant illettrés.

Bordel Espieu Espieu Meffre Espieu Artaud Payan
Reynaud Lacroze

Pour la petite histoire :
Les premiers fours sont apparus en Mésopotamie environ 9000 ans avant J-C. Ils furent ensuite perfectionnés par les Égyptiens et diffusés par les Grecs. Le droit féodal s’empara de cet “appareil” incontournable. Ainsi, sous l’Ancien Régime, le seigneur, se réservant certaines prérogatives et monopoles, contraignait ses sujets à venir moudre leur grain au moulin banal, presser leur raisin au pressoir banal et cuire leur pain au four banal… Pour utiliser ce dernier, les paysans payaient une redevance dite “fournage”. Ces banalités furent abolies avec les autres privilèges féodaux le 4 août 1789 [3]. Des communautés possédaient parfois aussi ces fours et moulins et les louaient en “fermage” (via des enchères) aux personnes offrant la gestion la plus avantageuse et moyennant une rente la plus élevée possible à la communauté et un prélèvement sur les pains cuits pour chaque habitant le plus modeste possible. Les fours, moulins, furent ensuite achetés par des “particuliers” ou gérés par les communes. De nouveaux fours furent parfois construits dans des villages, hameaux et par le jeu des alliances, successions, se retrouvèrent en indivision comme ici, dans le hameau des Maurins à Villefranche…
Romain Dethès
© Essaillon

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