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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Souvenirs de la Libération de Séderon
Article mis en ligne le 17 décembre 2015
dernière modification le 6 septembre 2018

par DASPRE André

Je voudrais présenter ici quelques uns de mes souvenirs sur la libération de Séderon. Nous avons en effet de nombreux témoignages sur les tragédies du maquis d’Izon et du bombardement du 10 août mais nous en avons très peu sur la libération du village, qui est pourtant un évènement de première importance.

Je n’écrirai pas une histoire, un récit suivi, ce qui m’aurait demandé de recueillir d’autres témoignages que le mien et des documents. Je ne rapporterai que des souvenirs fragmentaires, ceux qui sont encore très présents pour moi et qui concernent la vie quotidienne du village du début 1944 à la fin du mois d’août. J’avais alors quinze ans et j’habitais avec ma grand-mère dans la vieille maison familiale au 31 de la Grande Rue. Jusque là j’habitais avec mes parents à Avignon et j’allais entrer en seconde au lycée.

Mais mes parents se sont inquiétés de voir que la vie devenait de plus en plus difficile dans une grande ville et ils ont craint aussi qu’Avignon ne soit très exposé dans les combats qui suivraient forcément le débarquement des Alliés en Provence, que l’on croyait beaucoup plus proche qu’il ne l’a été. A Séderon j’ai vécu avec plaisir la vie du village que je connaissais bien puisque j’y passais mes vacances d’été depuis mon enfance. Pendant ces années-là, les camarades de mon âge et moi nous étions passionnés par l’actualité et nous étions bien renseignés sur ce qui se passait au village et aux environs. Avec cependant une importante restriction : nous étions trop jeunes pour que ceux qui étaient passés dans la clandestinité nous donnent des informations sur leurs activités. Je ne ferai donc aucune révélation sur la Résistance et je ne rappellerai que ce que tout le monde avait vu ou entendu mais dont on ne souvient plus guère aujourd’hui.

Et, d’abord, de quand dater une «  libération  »  ? Pour les historiens, une ville, une région est libérée quand les Allemands, ou les Italiens, en sont définitivement chassés par les troupes alliées ou par les maquisards. Alors l’administration de Vichy est remplacée par celle du Gouvernement provisoire dirigé par De Gaulle  ; la légalité républicaine est rétablie. En réalité, ces évènements ne se sont pas du tout passés de la même façon ici et là parce que les conditions de la lutte variaient beaucoup selon les régions.

La carte reproduite en fin d’article indique très précisément les différentes zones d’occupation de la France après l’armistice de juin 1940. Car il n’y a pas eu de traité de paix avec l’Allemagne. En fait, la République est liquidée à Vichy par Pétain qui devient chef de l’Etat Français mais ce sont les Allemands qui délimitent les différentes zones de leur occupation à partir de leurs intérêts à court ou long terme. C’est ainsi que le pays est coupé en deux entre le Nord et le Sud par une «  ligne de démarcation  » que l’on ne pouvait franchir qu’avec une autorisation spéciale – ou clandestinement  ! L’occupation a été plus ou moins brutale selon les régions et la situation des Français a donc été très variable : entre l’Alsace qui était annexée au Reich et la Provence qui se trouvait en zone dite «  libre  » (jusqu’en 1942) la vie quotidienne n’était pas du tout la même. Dans notre région, l’administration était celle de Vichy et, bien entendu, le gouvernement «  collaborait  » activement avec les Allemands par exemple dans la lutte contre la Résistance mais presque tous les fonctionnaires, malgré des «  épurations  », étaient toujours ceux de la république  ; même s’ils n’appartenaient pas à un réseau de Résistance, ils s’efforçaient au moins de perturber l’application des décrets de Vichy.

En zone Sud, il y a eu pendant de longs mois, une certaine liberté d’action pour les Républicains qui a favorisé le développement de luttes plus déterminées contre l’occupation.

A Séderon, comme dans les autres villages du canton (et même au-delà) la résistance s’est manifestée d’abord par une désobéissance spontanée, puis organisée, aux directives de Vichy, surtout en ce qui concerne le ravitaillement. Les paysans livraient le moins possible leurs produits aux réquisitions.

Un jour d’hiver, un détachement d’infanterie alpine italien est venu «  réquisitionner  » des mulets.

Ils ont restés toute la journée à leur recherche. Les soldats ont pris leur repas de midi en plein air près du monument aux morts  ; nous avons pu échanger quelques mots avec eux  ; les officiers se sont installés au café Beauchamp (de l’Europe), le soir leur chef était furieux de n’avoir pas trouvé une seule bête en état de marche  !

Les paysans cachaient leur blé qu’ils livraient au moulin et le meunier produisait une farine «  illégale  »  ; il a même été arrêté un jour ou deux. Les trois boulangers Imbert, Moullet et Espieu avaient de quoi faire quelques fournées hors de contrôle. Les deux bouchers Léon Michel et Gaston Girard tuaient des moutons dans les fermes loin des abattoirs contrôlés. Une sorte d’économie parallèle s’est ainsi développée qui a permis au village de ne pas trop souffrir des «  restrictions  » qui ont été si pénibles à supporter dans les villes.

La résistance prit une forme beaucoup plus active quand Vichy organisa le Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne. Les jeunes du canton qui étaient concernés ont refusé de partir  ; ils sont restés chez eux sans se cacher, et les gendarmes ne les ont jamais inquiétés. Par la suite quand se formèrent des unités de maquisards, ces jeunes «  réfractaires  » les ont souvent rejoints tout à fait naturellement. En même temps, Séderon (et les autres villages aussi) devenait un véritable refuge pour les hommes et les femmes que les milices de Pétain et les Allemands recherchaient. C’était le cas de trois familles de républicains espagnols (bien intégrés dans le village, d’ailleurs), de deux jeunes Italiens qui étaient mobilisables chez eux, et surtout d’une dizaine de juifs, célibataires ou en famille, venus de grandes villes, qui habitaient dans le village lui-même  ; un ou deux étaient pensionnaires à l’hôtel Bonnefoy. Ils vivaient sans se cacher la vie du village où ils étaient accueillis sans problème, un peu comme des estivants qui prolongeraient leur séjour… Il n’y a jamais eu de délation contre eux et les gendarmes ne se sont pas intéressés à eux. A noter que la doctoresse qui soignait tout le canton, Madame Egoroff était juive  ; or elle a toujours laissé son nom sur la porte de son cabinet  ; elle pouvait compter sur la sympathie de tout le village.

Ces «  réfugiés  » restaient cependant sur leurs gardes et quand nous étions prévenus que les Allemands risquaient de faire une opération à Séderon, ils quittaient le village pour gagner une ferme ou une bergerie éloignée. Il faut souligner que les fermiers, malgré les risques qu’ils prenaient, n’ont jamais refusé de les aider. Nous avons toujours été prévenus à temps du danger. Par exemple, des ami(e)s de Carpentras avertissaient (discrètement) par téléphone que des camions allemands prenaient la route de Sault. Le maire lui-même, Sully Bernard, quand il était au courant, prévenait directement ceux qui devaient l’être.

Quelque temps après l’exécution des maquisards d’Izon, un matin d’hiver 1944, un convoi d’Allemands arrive de nouveau à Séderon, venant du Nord  ; deux ou trois camions s’arrêtent sur la place Reynaud-Lacroze (moins grande qu’aujourd’hui) donc à deux pas de notre maison, au 31 de la Grande Rue. Un sous-officier et deux jeunes soldats entrent chez nous et demandent à manger. Peut-être ont-ils pris notre maison pour un petit café, à cause de notre porte vitrée qui était celle d’une ancienne épicerie  ? Ma grand-mère ne sait plus ce qui nous arrive mais elle n’ose pas protester et leur met la table. Ils posent leurs fusils contre un mur et placent leurs imperméables trempés par la pluie près du poêle. Ils mangent de bon appétit mais ils s’arrêtent net quand on entend dans la rue des coups de sifflets impératifs. Ils se rhabillent en hâte et prennent leurs armes mais avant de sortir, le sous-officier pose un billet de 10 francs sur la table. Ma grand-mère, très étonnée, lui dit : «  Mais monsieur je n’ai pas fait cela pour de l’argent  !  » A quoi le sous-officier répond, en assez bon français : «  Je paye toujours  !  ».

Pour moi, j’assiste à toute la scène, assis sur une chaise, en face des Allemands  ; je fais semblant de lire mais je suis inquiet : visiblement ils reviennent d’une opération menée contre un camp de maquisards des environs  ; repartent-ils sans avoir réussi  ? Sont-ils de passage à Séderon ou préparent-ils autre chose  ? En fait dès que nos trois soldats sont montés dans leur camion, tout le convoi redémarre, en direction du Sud. Sans attendre, les voisines accourent pour nous questionner. Mais, à peine commencée notre conversation s’arrête et les voisines disparaissent car on entend des commandements (en français cette fois) et les bruits de pas d’une troupe : une vingtaine de maquisards remontent la rue au pas accéléré  ; leur chef, en avant au milieu de la rue, pistolet au poing, les hommes armes à la main longent les murs des deux côtés. Ils avancent vite, sans précaution  ; ils cherchent le contact et leur détermination est impressionnante.

Je n’ai pas su d’où ils venaient mais il était évident qu’ils avaient eu affaire avec les Allemands qui venaient de partir. Ils les avaient tenus en échec et maintenant ils les pourchassaient. A quelques minutes près, ils les affrontaient dans le village. Mais quand les Allemands ont su (je ne sais comment  ?) que les maquisards s’approchaient, ils ont préféré se retirer plutôt que de livrer un combat dans des conditions qui ne leur étaient pas favorables. De leur côté, les maquisards sont vite retournés dans leur camp qui était peut-être à l’écart d’un village sur la route du Buis  ?

Le débarquement, tant attendu, des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944 a suscité un enthousiasme extraordinaire. La joie, l’espoir étaient si grands que l’on a cru que cette victoire était décisive et que nous étions libérés. Nous n’avons pas été les seuls à prendre nos désirs pour des réalités et cette illusion a eu des conséquences tragiques. Ici et là, en effet, les Résistants ont occupé une ville et pris le pouvoir. Mais les Allemands étaient assez forts pour contrattaquer et repousser les maquisards. Après quoi ils organisaient une répression extrêmement violente  ; par exemple dans notre région, à Valréas où il y eut 53 tués, le 11 juin. C’est pourquoi le général Koenig, qui commandait les Forces Françaises de l’Intérieur (les FFI) donne l’ordre de ne pas tenter des libérations prématurées.

Séderon était devenu un centre important de rassemblement pour différentes organisations de Résistance. Les chefs logeaient à l’hôtel  ; il y avait un secrétariat à l’école et des camps aux environs, à la Tuilière. Le 14 juillet, un détachement d’une vingtaine de maquisards en uniforme kaki a défilé puis présenté les armes devant le monument aux morts. Ils étaient commandés par Marin qui était le propriétaire de la ligne des cars Le Buis-Séderon que les maquisards empruntaient volontiers, le temps d’une mission.

Plus tard, dans l’après-midi, un détachement de 20 à 30 maquisards a fait halte au bas du village, près du pont. Ils étaient sans uniforme et n’avaient qu’un armement léger. Ils nous ont dit qu’ils venaient du Vercors, après avoir échappé à l’encerclement, donc après le 23 juillet qui a été le dernier jour du combat. Mais le Vercors est à plus de cent kilomètres : comment sont-ils venus jusqu’à Séderon et pourquoi  ? Je ne l’ai pas su. Ils ne sont pas restés longtemps au village. Ils étaient tous en bonne forme et bien décidés à se battre  ; un de nos gendarmes s’est engagé avec eux.

Peu après le 15 août, les maquisards amènent trois prisonniers sur la place de la gendarmerie. On leur avait donné des pommes de terre à éplucher. Ce qu’ils faisaient paisiblement. Pas de gardiens mais beaucoup de curieux quand je les ai vus. L’un d’eux parlait assez bien le français et répondait volontiers aux questions. Il n’était pas inquiet et paraissait au contraire content d’être maintenant à l’écart des combats. Par la suite ils ont été conduits à Buis. Ce qui m’a frappé, et me fait réfléchir aujourd’hui encore, c’est que personne ne les a insultés ou menacés pendant leur séjour à Séderon, alors que les traces du bombardement étaient bien visibles et que notre ressentiment à l’égard des Allemands était toujours aussi fort… Nous avions sans doute tendance à les considérer comme des victimes de la guerre eux aussi, plutôt que comme des responsables de nos malheurs.

Un matin on voit arriver, dans une traction avant noire, avec ses gardes du corps, une «  personnalité  » portant la casquette et le costume d’un préfet. C’était sans doute le sous-préfet de Nyons. Il s’est arrêté devant l’atelier de Reymond, puis il a gagné la mairie. Cette visite avait une grande signification politique : désormais nous étions débarrassés de Vichy et nous étions administrés par des délégués du Gouvernement provisoire. Il était essentiel de le faire savoir car les Américains avaient eu d’abord l’intention de placer la France sous l’administration civile d’officiers américains nommés par Eisenhower. Certains avaient déjà reçu leur affectation  ! De Gaulle avait eu beaucoup de peine à affirmer son autorité et l’indépendance politique de la France. C’est pourquoi, dès qu’un peu de territoire français est libéré par le débarquement en Normandie, il prononce à Bayeux, le 14 Juin, un discours où il se présente comme le président légitime d’un gouvernement français.

La population avait le sentiment d’être déjà libérée. Mais les Allemands ne pouvaient pas laisser se développer un tel mouvement de Résistance. Ils ont tenté de reprendre le contrôle du canton. A la veille du 15 août, à partir de Sault, ils ont voulu attaquer Montbrun mais ils ont été accrochés dans les gorges par un détachement de maquisards et ils ont été obligés de reculer.

Cet échec et le fait que le milieu était particulièrement propice à la guérilla ont poussé les Allemands à abandonner une attaque par la route et à préférer employer l’aviation.

On a déjà très bien expliqué comment s’est passé le bombardement et je n’ai rien de plus à ajouter sur les évènements eux-mêmes mais je voudrais souligner que le comportement de la population a été remarquable. Nous étions tous bouleversés mais je n’ai assisté à aucune scène de désarroi. Au contraire, tout de suite l’entraide s’est organisée entre tous les Séderonnais la solidarité a été très forte. Je soulignerai la générosité des fermiers qui ont accueilli le mieux possible ceux qui fuyaient le village. Par exemple, les Espieu ont reçu à Lamourier des dizaines de personnes qui avaient pris la route de la Saulce. On connaît les conséquences du bombardement : ce sont des maisons qui ont été détruites et des civils qui ont été tués. Du côté des maquisards on n’a eu à déplorer qu’un mort et un blessé grave et donc, du point de vue militaire leurs capacités sont restées intactes. Ce raid a été en réalité essentiellement une action terroriste destinée à effrayer la population et à la punir de l’aide qu’elle apportait à la Résistance. L’armée allemande a eu le même comportement dans bien d’autres villes ou villages pendant ces deux mois.

Cependant à Séderon, la Résistance prenait une nouvelle forme et les FFI intégraient des éléments de l’armée française. Peu après la visite du sous-préfet, il y a eu à la mairie un conseil de révision tenu selon les règles républicaines, avec la présence de la doctoresse. Les jeunes qui ont été mobilisés ont rejoint un maquis plus important, peut-être celui de la Lance près de Nyons. Ils ont participé, sous la direction d’officiers venus d’Alger, à des combats de harcèlement contre les troupes allemandes qui remontaient la valle du Rhône, sans doute entre Montélimar et Valence. Sur la rive droite ce sont les maquisards de l’Ardèche qui opéraient de la même façon. Et l’aviation américaine bombardait les troupes en retraite qui ont subi de lourdes pertes dans cette région, notamment à Montélimar, ce qui les a empêchés d’aider d’autres régiments en difficulté autour de Lyon.

Le débarquement des Alliés en Provence a lieu le 15 août. Dans la nuit du 14 au 15 août, 4000 hommes sont parachutés autour du Muy et de La Motte pour prendre à revers les défenses allemandes et les empêcher de recevoir des renforts. Le 15 au matin, débarquement du 6ᵉ corps d’armée américain sur la côte varoise ente le Dramont et Cavalaire  ; le 16 au soir, c’est au tour de la 1ère armée française de De Lattre de Tassigny. Ces troupes vont progresser plus rapidement que prévu grâce à l’aide des FFI, dans trois grandes directions : les Français longent le littoral et libèrent Toulon et Marseille le 28 août avec un mois d’avance sur le plan de l’Etat–Major. Après avoir libéré l’arrière pays varois le 21, les Américains se divisent en deux : les uns se dirigent vers la vallée du Rhône par où sont obligés de passer les Allemands en retraite vers le Nord  ; les autres vont dans les Alpes en remontant la vallée de la Durance. Le 19 août Château-Arnoux et Sisteron sont libérés par les troupes de la colonne Butler qui est une force motorisée rapide, partie le matin même de Draguignan. Après Sisteron, ils sont scindés en deux : les uns libèrent Laragne et remontent la valle du Buech vers Grenoble  ; les autres se dirigent vers Gap. Ils savaient que la région était vide d’Allemands d’après les renseignements fournis par les FFI mais par mesure de précaution ils ont tout de même envoyé des éclaireurs pour s’assurer qu’aucune menace ne pesait sur le gros de l’armée. C’est évidemment une mission de ce genre qu’avait le petit détachement d’Américains qui nous ont libérés le 20 août.

Ce jour-là, en fin de matinée, arrive à Séderon un détachement d’avant-garde d’une dizaine d’Américains avec un véhicule blindé léger (un VAB comme on dit aujourd’hui) et deux jeeps, chacune avec une mitrailleuse montée sur affût. Le blindé stationne en tête, devant l’hôtel, et les deux jeeps un peu plus haut devant l’atelier de Reymond.

Non sans mal, nous avons réussi à nous comprendre (au moins pour l’essentiel  !) avec le jeune officier très sympathique commandant le groupe : ils venaient de Sisteron et, depuis leur débarquement, ils n’avaient pas tiré un coup de fusil. C’était surprenant mais tout à fait possible : ils étaient arrivés à Sisteron sans rencontrer d’opposition parce que les Allemands avaient dû abandonner cette zone devant la montée en force des maquisards. Le détachement américain n’est pas resté longtemps avec nous, guère plus d’une heure.

Ils voulaient arriver à Grenoble, leur prochain objectif, le plus tôt possible, dans la journée  ! Nous avons expliqué que nos routes de montagne ne permettaient pas d’aller si vite…

Nous n’avons plus eu de leurs nouvelles mais ils ont certainement gardé un bon souvenir de notre rencontre car nous les avons reçus très chaleureusement, comme nos libérateurs  ! Leur présence prouvait que, dans notre région, les Alliés avaient gagné la partie et que nous n’avions plus rien à craindre des Allemands. Au moment où ils nous ont quittés il y a eu, pour eux comme pour nous, une très grande émotion.

Dans les semaines suivantes nos relations avec l’armée américaine ont été beaucoup plus limitées  ! De temps en temps nous avons vu passer à Séderon des camions isolés, avec un ou deux chauffeurs, sans chargement  ; souvent ils s’étaient égarés. Ils ne faisaient que de courtes haltes mais quelques uns prenaient le temps de se reposer. En fait, quand les Allemands ont été repoussés au nord de Lyon et que la vallée du Rhône a été libre, les Américains n’avaient plus rien à faire dans les Alpes. De plus en plus la guerre s’éloignait de nous…

Une remarque très importante pour terminer : je n’ai parlé que de Séderon puisque c’est là que j’habitais mais il faut absolument préciser que tous les villages du canton (et même au-delà) se sont trouvés dans des situations analogues et ont réagi de la même façon. En fait, il y a eu une très forte solidarité entre tous les habitants de notre région et l’on comprend facilement que, dans un tel milieu, les réseaux de Résistance organisés étaient dans les meilleures conditions pour développer leurs activités.

Je regrette de n’avoir pu dater avec précision les événements de ce récit mais j’ai dû aussi faire des erreurs ou oublié d’autres aspects de la vie de notre village. Je serais très heureux si des lecteurs voulaient bien corriger mes maladresses ou ajouter des informations complémentaires à partir de leurs souvenirs personnels ou ceux de leur famille. Car je crois que l’histoire de Séderon pendant la guerre mérite d’être bien connue.

André DASPRE – octobre 2012

Notes :

  • la carte de la France occupée a été publiée dans le journal de la Résistance, «  France d’abord  ».
  • sur les opérations militaires alliées après le débarquement, j’ai utilisé des renseignements que m’a donnés Jean-Marie Guillon, professeur émérite d’Histoire à la faculté d’Aix, spécialiste de la Résistance.

«  en évoquant mes souvenirs, je me suis aperçu qu’il y avait beaucoup à dire mais j’ai retenu ma plume et je me suis efforcé de rester dans des proportions qui me paraissent raisonnables  ! J’aimerais vraiment que ce texte soit corrigé et enrichi par d’autres souvenirs sur cette période  »

(lettre d’André Daspre du 10 octobre 2012)
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