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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 35
Le pèlerinage de Saint Côme
Mémoire du pays
Article mis en ligne le 5 octobre 2013
dernière modification le 13 décembre 2014

par CHARROL Jean-François

C’était chaque année, vers la fin septembre, avant la rentrée des classes traditionnellement fixée au premier octobre, une agréable rencontre à Vers, dans la campagne aux environs de Séderon. La petite chapelle, humblement accroupie parmi les champs et les prairies avec son petit cimetière adjacent semblait assoupie dans la douceur automnale.

Cependant, le clocheton rustique, visible de loin avec son chapeau de tuiles rondes attestait une présence religieuse entre les bois perchés sur les hauteurs de Chassenayes et de Gonson qui captaient le regard par leurs étranges flancs de marne grise dénudés et profondément ravinés.

St Côme & Damien
© Essaillon


Mes souvenirs les plus précis à ce sujet se situent vers le milieu des années trente alors que je participais au groupe des enfants de chœur, heureux, à cette occasion, de sortir du rituel banal de l’église paroissiale.

Le curé Chalon annonçait les événements en chaire au moins une semaine à l’avance. Il évoquait solennellement « le pèlerinage de Saints Côme et Damien ». Le premier nom était bien dans les mémoires, connu comme celui d’un quartier de la commune de Vers, « San Coïme » dans le langage du pays ; le second était plus surprenant car peu employé dans les conversations. Cependant, les souvenirs de l’année précédente aidant, l’expression « et Damien » sonnait comme un écho de ladite chapelle.

DEUX SAINTS POUR UNE FETE

De fait, le Grand Larousse encyclopédique dans son tome III des éditions de 1951, réunit les deux saints dans le même article :

« Côme (ou Cosme) et Damien (Saints) martyrs sous Diocletien (morts à Tyr, Syrie, vers 295 ?). Ils étaient frères et d’origine arabe. Médecins tous les deux, leur désintéressement leur avait fait donner le surnom d’anargyres [1] (ennemis de l’argent) –. Cités devant le proconsul Lysias, ils eurent la tête tranchée. Ils sont nommés au canon de la messe et sont les patrons des chirurgiens. Fête le 27 septembre. »

Précisons que le Grand Larousse en 5 volumes édition de 1990 donne, résumées, les mêmes indications.

De nos jours, il semble que la formulation : Saint Côme ET Saint Damien se soit substituée à celle de jadis, plus resserrée : Saints COME et DAMIEN. Je préfère personnellement cette dernière appellation qui rassemble mieux les deux frères unis par le même destin glorieux et tragique. Mais laissons à l’Eglise catholique, compétente en la matière, la responsabilité de la dénomination. Quoi qu’il en soit, l’énonciation Saints Côme et Damien ravive dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue le souvenir d’une journée de réelle communion, entre les participants, l’esprit du lieu et la nature environnante.

LE PELERINAGE TRADITIONNEL

Dès l’annonce en chaire, on commençait à envisager le déplacement à VERS qui constituait pour la population (même non pratiquante) un événement notable, signal de la venue de l’automne. Pour se rendre au lieu de culte distant de quelques kilomètres à partir de Séderon, trop éloigné pour que le commun des paroissiens essaie de parcourir à pied l’aller et retour, il fallait envisager un moyen de transport. Les gens pressés (déjà !) ou soucieux d’élégance amenaient leur famille en jardinière, voiture attelée plus légère que la rustique et grinçante charrette. C’est sur l’un de ces derniers véhicules que j’ai vécu mes premières participations au pèlerinage. J’allais, avec mon ami Paul Raynaud, neveu de la famille Cotton amie et proche voisine de la mienne, et qui chaque année se rendait à « Saint-Côme ».

La charrette, tiré par une mule rétive nous emmenait, assis sur le plancher parmi les sacs contenant les provisions nécessaires aux repas de la journée. Sur la route goudronnée (nationale à l’époque) dont la chaussée était relativement unie, tout se passait bien. On avait le temps de regarder le paysage, d’apercevoir les premiers signes de la venue de l’automne. Après le croisement du « Quatre », on apercevait, comme l’indice d’une frontière, le moulin du Lilet, avec ses roseaux surmontant la levée de l’écluse ; on passait le pont de la rivière de Villefranche et c’était le chemin de terre avec ses cailloux et ses ornières qui nous infligeaient de durs cahots retentissant douloureusement sur nos séants ; il fallait alors se cramponner aux ridelles. En arrivant à la remise de « La Bataille », propriété de la famille Raspail (de Chassenayes) deux solutions s’offraient aux conducteurs : soit débarquer passagers et sacs et laisser les gens continuer à pied, soit les conduire jusqu’à la chapelle et revenir à vide avec le véhicule que l’on pouvait garer près de la remise, tandis que la bête était attachée à l’intérieur, avec sa provision de foin. La bâtisse constituait ce qu’on appelait une « écurie sans garantie » [2], c’est-à-dire ouverte à tous, le propriétaire des lieux étant dégagé de toute responsabilité – Pratique d’une époque révolue où liberté et responsabilité pouvaient s’exprimer sans accroc. Mon camarade et moi allions à pied à partir de La Bataille. C’était bien plus agréable !

Plus tard les autos remplacèrent les voitures à cheval et les jeunes utilisèrent le vélo. Parfois « les demoiselles du patronage » et leur groupe d’enfants bénéficiaient du transport gratuit par le « car Michel » (desservant Laragne) jusqu’au « Quatre » et continuaient le voyage au pas de promenade.

Le curé Chalon arrivait de bonne heure, à bicyclette, avançant par de rudes efforts de pédalage, car il était gêné par sa longue soutane. Il pouvait ainsi veiller à l’arrivée des instruments du culte amenés par des paroissiens dévoués : vêtements sacerdotaux et ceux des servants, objets précieux utilisés pour la célébration. Ce jour-là, comme lors des grandes fêtes, les enfants de chœur revêtaient la grande tenue, robe rouge et surplis blanc. Avant de nous habiller nous surveillions le déballage de la sonnette, celui des hosties des burettes et du vin de messe avec la tentation espiègle d’y goûter un peu. Puis, disposant de quelques moments avant les préparatifs de l’office, nous redécouvrions la chapelle. Nos sarcasmes, à l’étage, allaient à la petite tribune qui nous paraissait ridicule comparé à celle de notre église paroissiale. Par les trous forés dans le ciment du plancher passaient les cordes reliant la cloche à l’espace du sonneur au rez-de-chaussée. Ainsi nous pouvions saisir la corde à son passage et accompagner le mouvement que lui imprimait le prêtre qui, d’en bas, tirait pour sonner l’appel aux fidèles ; il ne manquait pas de deviner notre malicieuse manœuvre et nous intimait l’ordre de descendre. Les gens venus de Séderon ou des villages voisins se rassemblaient dans la petite nef sur des bancs rustiques. On pouvait aussi rester debout. La messe se déroulait selon le rituel des fêtes auquel la magie du lieu et l’évocation des Saints conférait une solennité particulière. Les jeunes filles et les « demoiselles du patronage » entonnaient des cantiques, repris par une partie de l’assistance.

Après l’office, on se dispersait autour de l’édifice, c’était le moment attendu du repas en pleins champs, sorte de pique-nique inspiré, où l’on dégustait avec appétit les provisions apportées. Chaque famille avait son propre menu traditionnel. Chez toutes on trouvait l’omelette, la charcuterie familiale, les fromages avec pommes et poires de saison. Tandis que les adultes conversaient, nous, les enfants, nous relevions à la dernière bouchée pour aller jouer à cache-cache autour de la chapelle et dans le bosquet de lilas qui s’étendait sur un côté.

Lors des premiers pèlerinages auxquels j’ai participé le cérémonial allait au-delà de la demi-journée. Nous attendions sans impatience les vêpres (tombées plus tard en désuétude). Ce dernier office se déroulait comme un au revoir nostalgique à ces lieux chargés de souvenirs et d’émotions… Puis on se préparait, sans hâte, à repartir et on prenait la route du retour par les mêmes moyens qu’à l’aller. Nous nous retrouvions à Séderon, un peu dépaysés, avec l’impression très prégnante d’avoir vécu une journée mémorable, et fiers d’annoncer à ceux qui étaient restés au village : « On arrive de Saint-Côme !... »

J.F. CHARROL

P.S :

Il existe à Gigondas, au cœur des « Dentelles de Montmirail » une église rurale dénommée : Saints Côme et Damien ; elle est répertoriée comme édifice roman vauclusien.

St Côme & Damien
© Essaillon