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L’Essaillon
« Entre la Tourre et lou Crapoun,
I a moun païs, qu’ei Sederoun »
Alfred Bonnefoy-Debaïs

Etudier, préserver et faire connaître le Patrimoine Historique, Naturel et Culturel de Séderon et de sa Région

Lou Trepoun 41
Première chronique
Séderon dans les livres
Article mis en ligne le 16 octobre 2013
dernière modification le 30 décembre 2019

par POGGIO André

Malgré le titre, je n’ai ni la prétention ni la possibilité de retrouver tous les livres où Séderon apparaît : il a été édité beaucoup d’ouvrages qui, peu ou prou, ont évoqué notre village et son environnement. Leur recherche systématique ne manquerait pas d’intérêt et toutes les informations sur ces guides, traités scientifiques, romans ou autres seront les bienvenues et permettront d’enrichir la bibliothèque de l’Essaillon.
Pour l’heure, contentons-nous de suivre l’actualité littéraire : après avoir déjà évoqué dans le Trepoun certains romans de Jean Giono, d’autres de Pierre Magnan, je continue mon petit compte rendu de lecture avec ce dernier, avant d’aborder une encyclopédie et un album.

Laure du bout du Monde - MAGNAN
© Essaillon

Laure du bout du monde - Pierre MAGNAN (Denoël - 2006)

Des montagnes escarpées, quelques terres peu fertiles étagées sur les pentes, la ronde du soleil et des saisons qui règle le rythme de la vie : lorsque le décor naturel a été dessiné, le romancier peut commencer à nommer les fermes dans les écarts, et enfin descendre jusqu’au village d’Eourres : voilà les gens, et toute la dureté de leur vie, de leur survie. Nous voilà au cœur du livre et Pierre Magnan peut nous prévenir ("Nous autres, les pauvres femmes d’Eourres") : il va prendre le ton et le regard d’une femme pour raconter les 14 premières années de la vie d’une femme.
Laure du bout du monde n’est pas le roman de Magnan que je préfère. La trame m’en paraît même directement adaptable par France 3. Pourtant je suis encore une fois séduit par les descriptions des âmes et des mœurs de notre pays, comme toujours magnifiquement écrites, avec cette outrance qui les caractérise (je parle à la fois de notre pays et de l’écriture de Magnan). Magnan écrit en notre nom à tous, qui ne savons pas le faire, et laisse à la postérité un nouveau témoignage, historique et sociologique, sur la vie de nos villages des Baronnies.

Le roman est bien daté : nous sommes dans l’immédiate après guerre, au temps des premiers tracteurs mais aussi aux temps où la montagne était encore peuplée de bergers, de coupeurs de lavande et de bûcherons italiens. Au fil du récit, nous vivrons le terrible hiver 1956, les fluctuations des cours de l’essence de lavande…
Le bout du monde de Laure, là où elle tente de survivre, c’est Eourres. Il est donc normal que, lorsque l’action romanesque se déplace dans les environs, Séderon apparaisse : le nom est cité 9 fois. Séderon est présenté comme un centre important (tête de ligne pour les transports – résidence du docteur, du croque-mort), jouissant d’une certaine richesse (l’hôtel restaurant permet de trouver du travail et les grives prises à la lèque s’y vendent plus cher qu’à Eourres).
Les alentours du monde de Laure, c’est aussi Laragne, toujours désigné comme le chef-lieu et qui possède la pharmacie, et Buis-les-Baronnies qui est la ville où les enfants vont au collège. Sont également nommés Mévouillon, Eygalayes et quelques autres villages.
Tout ceci serait très conforme à la réalité géographique et sociale s’il ne manquait Lachau, le village où débouche la vallée d’Eourres. Bizarre ? Peut être pas tant que ça. J’ai l’idée que Magnan s’en interdit l’usage simplement parce que Jean Giono, il y a longtemps, avait déjà utilisé le nom : la 3ème partie de «  Deux cavaliers de l’orage  » porte le titre Les courses de Lachau. Giono en avait fait une ville mystérieuse, carrefour de toutes les routes, ceinte de tours et de remparts colorés [“Lachau, c’est la ville rouge”], où règne une effervescence et une activité sans repos [“Il ne fait jamais nuit à Lachau”].
L’ombre du géant continue de hanter le haut pays. Magnan la respecte.

Ma Provence d’heureuse rencontre - MAGNAN
© Essaillon

Impossible de fermer ce paragraphe sans dire aussi un mot de Ma Provence d’heureuse rencontre (Denoël - 2005)Magnan, tel un conteur à la veillée, évoque sans fin ses souvenirs et son amour du pays bas-alpin. On sait que pour Magnan les Basses Alpes n’ont jamais eu l’étendue des Alpes-de-Haute-Provence : les Alpes et leurs hautes montagnes, il les aperçoit au bout de la vallée de la Bléone mais elles appartiennent à un autre monde où il ne s’aventure pas. Sa Provence, terroir exigu limité aux plateaux et montagnes jouxtant le sillon de la Durance, avait pourtant su engendrer une civilisation particulière. Que ce mode de vie ne soit plus maintenant qu’un souvenir, dommage, mais Magnan, c’est un grand-père qui raconte et il faut vite qu’il le fasse avant que tout soit oublié. J’ai dit plus haut que Magnan écrivait pour nous, qui ne savons pas le faire. Et je suis persuadé que son travail d’écrivain devra être la documentation de base pour tout chercheur qui se penchera sur l’histoire de notre pays pendant la première moitié du XXème siècle.

Dans un chapitre intitulé "pourquoi j’ai écrit La Folie Forcalquier" il m’offre ainsi la description de ce Grivannes qu’il a connu, qui vivait à Séderon il y a une centaine d’années et y soignait nos aïeuls. Je m’empresse de copier :

« … il entrait en criant « oh la maison » et sans avoir frappé… Cet homme avait de grands bras, de longues jambes. Il ne marchait pas. Il arpentait. Dans cette cuisine longue et large d’à peine cinq à sept mètres, il occupait tout l’espace à la fois, ne s’arrêtant jamais, ne se posant jamais… Il était vêtu de madapolan noir éclairé de manchettes et d’un col en celluloïd. On ne savait si c’était un notaire, un instituteur ou quelque bureaucrate… Son étonnante maigreur m’était un sujet d’alarme tant on m’avait habitué très tôt (mon grand-père pesait 105 kilos) à confondre maigreur et mauvaise santé. Or cet homme était maigre et il était gaillard comme un Turc. J’étudiais ses méplats accusés, son nez fort, ses sourcils en bataille. Parfois son regard traversait, droit sur moi,… Et je recevais cet éclat, froid, attentif, à mille lieues de ce que ce personnage gesticulant avançait en paroles péremptoires pour se faire bien voir. Et soudain il partait. Il était là l’instant auparavant et tout d’un coup, pour ainsi dire, il s’escamotait. Jusque-là, il avait occupé de sa forme tangible tout le terrain disponible jusqu’au plafond sous lequel il se voûtait un peu afin de donner à croire qu’il était plus long qu’il n’y paraissait. »
Encyclopédie de la MONTAGNE DE LURE - Alpes de Lumière
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Pour compléter cette rubrique, il est nécessaire de présenter un ouvrage plus scientifique, l’Encyclopédie de la MONTAGNE DE LURE (collectif - Alpes de Lumière - 2004).

Cela me permet d’abord de faire une liaison (toujours ma vieille marotte) avec Grivannes et son métier, puisque j’y trouve un article de Gisèle Roche-Galopini : L’émigration des marchands droguistes

« Originaires de "l’immense apothicairerie" qu’est la montagne de Lure, les marchands-droguistes sont à la fois herborisateurs parce qu’ils cueillent les plantes médicinales et aromatiques, droguistes parce qu’ils fabriquent les drogues : tisanes, onguents, pommades, etc… et colporteurs parce qu’ils vont les vendre dans les villes proches ou lointaines. Leur activité est florissante de la fin du XVIIème siècle au milieu du XIXème… On les rencontre dans les foires, à Beaucaire par exemple au mois de juillet, dans les rues et sur le port de Marseille, où ils échangent leurs marchandises contre les épices qu’ils vendent à leur retour… » [p.101]

Il n’y a qu’à transposer fin du XIXème – début du XXème, et voilà un résumé de la vie professionnelle de Grivannes.

Ensuite parce que, dans cette encyclopédie, Séderon est souvent cité. Bien calé dans sa cuvette, notre village semble pourtant contempler de loin la montagne de Lure. Mais il fait partie intégrante de l’espace géographique étudié puisque le territoire communal atteint, au col de Négron, la longue crête sommitale qui part des Bons-Enfants pour finir au Gour des Oules, entre Montbrun et Sault.

Voici les références des citations et, pour les plus originales d’entre elles, leur transcription :

  • p.37 – à Séderon, la grotte des Renards (215m) et à Barret de Lioure, la grotte de Barret (110 m) [les valeurs indiquent le développement de la grotte - qui peut me dire où se trouve cette grotte des Renards ?]
  • p.38 – source de la Méouge ou Font Leydier (captée pour alimenter Séderon)
  • l’étude des ressources agricoles est faite à partir des données des communes bas-alpines, la partie drômoise étant complètement négligée. C’est le cas pour le chapitre sur la lavande [p.112-123], avec une exception pour l’élevage des chèvres [p.140].
  • Séderon est également oublié, en ce qui concerne le Tourisme et les Loisirs, non pour son Office du Tourisme, mais pour ses aménagements : camping, piscine, tennis et même pour son village vacances [p.161].
  • p.169 – Séderon est cité comme point de départ de circuits de petites randonnées.
  • p.174-175 – Les cadres politiques et religieux
  • Le haut Moyen Age et le Moyen Age
  • p.179 – Ces habitats, qualifiés de castra aux XIIème et XIIIème s., sont souvent des châteaux à motte entourés d’un modeste village : c’est le cas de… la Tour (cote 917) à Séderon
  • p.196 – Il y a aussi les villages qui ont été abandonnés, les uns dès la fin du Moyen age – des villages fossiles où l’on ne perçoit plus que des tas de cailloux (… La Tour à Séderon)
  • p.189 – Statistiques de la population par commune (XIXème - XXème siècles)
    • Les communes de la Drôme ne sont renseignées que des chiffres de 1982 et 1999, alors que les informations commencent en 1836 pour celles du 04
  • L’électrification des communes
    • p.198 - En 1928-1930, l’électricité est installée dans pratiquement tous les villages du versant sud de Lure, mais en 1935 seulement à Noyers, entre 1936 et 1939 à Séderon et dans la haute vallée du Jabron
  • L’oronymie, c’est à dire la toponymie du relief [p.220-221]
    • La crête des Serrières à Séderon (à propos de l’appellatif "serre" qui aurait le sens de chaîne de montagne), les montagnes de Palle et de Bergiès (à propos du toponyme "montagne", désignant aussi bien une hauteur qu’un lieu de pâturage)
      Les côtes (les pentes qui forment les côtés des collines) ont été le plus souvent cartographiées sous leur forme française : côte de Cheny (Séderon)… la forme occitane est plus rarement présente : Costadret (Séderon) qui combine deux oronymes (côte + adret)
  • Itinéraires traditionnels [p.209 à 211]
    • C’est la partie la plus intéressante de l’ouvrage, puisqu’elle apporte des éléments de datation sur la construction du réseau routier au sud de Séderon :
      Ce n’est que dans les années 1850 qu’à l’initiative d’Abel Eysseric, conseiller général de Noyers, et du marquis d’Aulan, conseiller général de Séderon, fut aménagé le tronçon de route reliant Les Omergues à Séderon par le col de la Pigière. C’est vers la même époque que l’ancien itinéraire passant par le Vieux Curel fut abandonné, entre le carrefour de Lange et les Etangs, au profit d’un nouveau tracé par les Remises. Mais il faudra attendre 1873 pour que la section des Omergues à Montfroc soit détournée du col de Lun pour franchir la cluse des Baumes… Sur la carte d’Etat Major de la fin du XIXème s. cette route (désormais nationale) qui longe le Jabron est bien matérialisée de Séderon à Sisteron (actuelle D 946 ; elle ne sera goudronnée que dans les années 1930), mais celle qui relie le col de Macuègne à Montbrun n’est encore qu’un mauvais chemin. En 1878, une voie ferrée fut même envisagée entre Orange et Sisteron par la vallée du Jabron, avec tunnel sous le col de la Pigière…
      Ce n’est qu’à compter de la fin du XIXème s. que deux routes carrossables ont été aménagées à l’ouest du massif (par les cols de l’Homme Mort et du Négron).
      A l’ouest… la crête de Lure était franchie par le col de Négron (1 242 m) entre le Revest-du-Bion et Séderon : une route y a été construite à fin du XIXème s. à l’initiative d’Amédée Barruol, maire du Revest (elle n’est pas encore dessinée sur la carte d’Etat Major révisée en 1887 ; sur la carte du Ministère de l’Intérieur au 1/100 000ème elle est en construction en 1888 et construite sur l’édition de 1896). Plus à l’ouest encore, les cols de l’Homme Mort (1 211 m) et de la Croix Blanche (1 229 m) correspondent aux points culminants d’une route aménagée au cours du XIXème s. entre Ferrassières et Séderon (actuelle D 63), tronçon d’un vieux chemin reliant la Provence et le Dauphiné.
  • Jean Louis Carribou, à la page 266 et à propos de randonnée, Jacques Mény, à la page 274 et à propos de réalisation cinématographique, évoquent chacun leur tour le premier voyage que Jean Giono fit de Banon vers Séderon à travers la montagne de Lure, lorsqu’il était enfant. Mais, grâce au Trepoun, c’est un sujet sur lequel vous savez déjà tout !
  • enfin, à la page 296, figure une courte monographie de Séderon : quelques généralités sans intérêt particulier.

On aura compris que Séderon n’est qu’un tout petit élément dans cette encyclopédie de 320 pages, et qu’il y est même parfois mal traité (cf. l’électrification). Mais il y a évidemment beaucoup d’autres choses passionnantes à découvrir, accompagnées d’une documentation photographique très réussie sur la belle montagne de Lure et sur la vie des hommes qui l’ont peuplée.

Pour terminer, je signale un album édité il y a plus de 10 ans :

La Drôme de sud autrefois - Marie-Georges LAMARQUE
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La Drôme du sud autrefois de Marie-Georges LAMARQUE
(La Fontaine de Siloé, 73 Montmélian – 1995).

Cet ouvrage évoque la vie quotidienne dans nos pays grâce à une sélection d’articles des journaux locaux parus entre 1880 et 1920, sélection illustrée de photos et cartes postales anciennes.

Pour notre canton, j’ai relevé :

  • une carte postale d’Eygalayes « Place de la Fontaine et Grande Rue » (sans doute un cliché Camille Jullien) [page 8] ; et la magnifique photo, prise à Ballons La Calendre, d’une automobile à l’arrêt mais dont le conducteur tient fermement le volant [page 139].
  • quelques articles du journal « le Pontias », que je récapitule en suivant l’ordre chronologique :
    • le 3 septembre 1895, deux courtes rubriques qui évoquent les perspectives d’exploitation minière d’une pierre à usage lithographique à Ballons, et d’une mine de charbon à Eygalayes [page 136].
    • le 10 août 1897, le Pontias relate le voyage à Nyons de M. Félix Faure, Président de la République, et mentionne qu’à l’occasion du banquet à la Sous-préfecture, les palmes sont remises à M. Reynaud-Lacroze, maire de Séderon [page 92].
    • le 5 juin 1900, plus d’une demi-page est consacrée au récit du triple assassinat du Maire, M. Reynaud-Lacroze, de son épouse et du garde de la commune, M. Constantin [page 73].
    • le 2 avril 1905, le Pontias signale un concert « vocal et instrumental » qui s’est tenu avec succès le dimanche précédent à Séderon [page 184].
    • le 1er octobre 1911, relation du voyage de M. le Préfet de la Drôme, pour étudier « la création d’un service subventionné d’autobus de Sisteron à Nyons par Séderon et Le Buis ». Au passage à Séderon, M. le docteur Payre-Ficot, conseiller général, se joint au cortège [page 154].
    • enfin, le 17 décembre 1911, un article traite des horaires des voitures assurant le transport du courrier postal et des voyageurs entre Séderon, Buis et Nyons, article illustré par une carte postale « Drôme – SÉDERON – Entrée côté Nord – MODERN-HOTEL » (Edit. C. Jarjayes, cl. Morand) [page 152].

Le livre est consultable au local de l’Essaillon.

André POGGIO - octobre 2006